Eléonora Molinaro, le plus grand espoir féminin actuel luxembourgeois, a l’intention de jouer cet été des tournois pros. Accompagnée de son futur ex-entraîneur, Jordane Doble, elle parle de ses ambitions.
Le 4 septembre, Eléonora Molinaro aura 16 ans et fera donc officiellement partie d’une catégorie juniors dans laquelle elle a déjà brillé en remportant certains tournois.
Le Quotidien : Wimbledon vient de se terminer. Votre ambition, c’est d’être présente lors des Internationaux de Grande-Bretagne dans un an?
Eléonora Molinaro : Oui, l’an prochain, je voudrais y participer! Mon but est de jouer tous les Grand Chelem juniors en 2017. Actuellement, je suis 157 e au classement mondial juniors et je voudrais incorporer le top 100 avant la fin de l’année. Et pourquoi pas essayer de déjà prendre part au prochain US Open, à la fin de l’été.
Avez-vous un plan de carrière?
E. M. : On va dire que pour le moment, j’essaie de passer déjà les tours dans les tournois juniors Grade 1, ensuite, j’essaierai de le faire dans des Grades A (NDLR : qui reprennent les cinq plus gros événements hors Grand Chelem) et dans les Grand Chelem. Et puis je vais participer à des tournois pros, en prenant part aux qualifications de ceux-ci cet été.
Jordane Doble : Elé commence à avoir un classement suffisant pour figurer dans des petits événements pros estampillés ITF, comme des 10 000 dollars. Et surtout, elle possède le niveau pour passer des tours. C’est pour ça qu’on a pensé que ce serait bien qu’elle profite du pied-à-terre de ses parents dans le sud de la France pour tenter sa chance dans quelques tournois pendant les vacances.
Les juniors, c’est pas mal. Cela permet d’avoir un bon repère. Mais il faut être dans les tout meilleurs pour que cela vous rapporte en termes de wild card, sponsors… Si vous êtes dans le gratin de la catégorie, jouer toute la saison à ce niveau-là peut être intéressant. Si ce n’est pas le cas, si vous restez aux environs de la 90 e , 100 e place, il est, à mon sens, plus intéressant de partir assez rapidement sur le circuit seniors pour remporter de « vrais » points. Ceux qui comptent vraiment.
Pour Elé, tout dépendra de ses résultats. Imaginons qu’elle fasse la demi-finale chez les juniors à l’Open d’Australie en janvier et qu’elle monte dans le top 15 mondial, là, cela vaudra la peine de jouer les premiers rôles dans cette catégorie.
Des jeunes comme Alex Knaff ou Raphaël Calzi ont choisi de rejoindre une université américaine pour continuer à progresser. C’est une option à laquelle vous pensez aussi?
E. M. : Oui, j’aimerais assez. Mais mon objectif principal, c’est de passer pro et de réussir à cet échelon-là.
Mais dans deux ans, lorsque je serai en âge d’aller à l’université, si cela ne s’est pas encore concrétisé, cela me plairait assez d’aller aux États-Unis.
Vous suivez l’école par correspondance. Ce n’est pas trop compliqué à vivre pour une jeune fille de 15 ans?
E. M. : Cela fait cinq ans que je suis ce programme. Étudier seule à la maison, c’est dur, oui. Mais maman est prof de français, ça aide. Et mon papa est là pour les maths. Cela me permet de passer une vingtaine d’heures par semaine à jouer au tennis ou à faire du fitness.
Ma vie sociale? Au début, les jeunes de mon âge me manquaient. Aujourd’hui, cela me manque toujours un peu, mais c’est pas mal aussi de découvrir d’autres pays, d’autres cultures, d’autres personnes. Cela apporte beaucoup.
Je m’adresse à vous, Jordane. À quel âge a-t-on décelé un potentiel tel qu’Eléonora pouvait rêver réussir dans le tennis?
J. D. : Quand à 12 ans, elle battait, en France, déjà des joueuses classées ou qu’elle me racontait avoir gagné contre une fille avec tel ou tel classement, je me suis forcément dit qu’elle avait un certain talent. Aujourd’hui, je la situe dans le top 5 français de son âge. Elle a d’ailleurs déjà pris le meilleur sur des filles « numérotées » (NDLR : c’est-à-dire faisant partie des 60 meilleures Françaises). C’est très encourageant, même si cela n’est pas une garantie de réussite.
Pour en revenir à votre question, cela se voyait donc dans les résultats, mais aussi dans sa façon de jouer. Elle a toujours été costaude dans ses frappes, les balles partaient bien de sa raquette. Et puis, elle a toujours vite compris les choses. Avec certains enfants, il faut répéter les mêmes consignes tous les jours. Elle, au bout d’une heure, tout était en place. Il y a donc toute une série de petits facteurs qui ont fait qu’elle était intéressante.
Eléonora, il y a derrière vous toute une (petite) structure. C’est la seule véritable manière de percer dans le tennis au Luxembourg?
E. M. : Je le pense oui. Dans une académie comme celle où j’ai joué pendant deux ans dans le sud de la France, vous travaillez en groupe, c’est moins individualisé. Ici, Jordane, avec qui j’ai travaillé ces trois dernières années, et les gens du club des Arquebusiers (qui m’aident beaucoup), comme Claudine, savent voir ce qui va mais aussi ce qui ne fonctionne pas. Et on peut travailler spécifiquement pour améliorer les choses.
J. D. : Le Luxembourg est un petit pays. Il n’y a pas de « pure » académie de tennis. La fédération entraîne les meilleurs, mais ne peut pas, d’après ce qu’elle nous a dit, supporter financièrement, par exemple, un projet comme celui qui existe autour d’Eléonora. Du coup, les jeunes doivent se retourner vers des académies à l’étranger, les clubs (qui font souvent le maximum pour aider leurs joueurs) ou d’autres options comme les universités américaines.
Julien Carette
Elle va changer d’entraîneur
Eléonora l’a annoncé sur son compte Facebook, sa collaboration avec Jordane Doble va se terminer.
« Mon boulot me prend trop de temps et physiquement, avec mes problèmes de dos, cela devenait trop dur pour moi », explique l’ancien 400 e à l’ATP, originaire de Bordeaux. « Et puis, c’est peut-être le moment pour «Elé» de changer, de faire évoluer son entraînement. Ce dont je ne me sentais plus vraiment capable. Il faut savoir reconnaître la fin d’un cycle. Mais quoi qu’il arrive, nous resterons proches. Si elle a besoin d’un conseil, elle connaît le numéro. » On devrait savoir dans les prochaines semaines le nom du nouvel entraîneur.
«Je ne peux pas dire qu’elle restera encore trois ans au Luxembourg»
Ses parents accompagnent «Elé» du mieux qu’ils peuvent.
Derrière Eléonora Molinaro, on retrouve forcément ses parents, Gilles et Manon. Ce sont eux qui rendent ses rêves possibles en les finançant. « On ne parle jamais d’argent avec elle. On ne veut en aucun cas qu’elle ressente la moindre pression par rapport à ça », sourit son papa. « Vous savez, c’est Eléonora qui a décidé de tout. Sa mère et moi, nous n’étions pas intéressés par le tennis. C’est elle qui a fait le choix de persévérer dans ce sport voici quelques années. Nous n’avons fait que l’accompagner et l’aider au mieux. Si elle veut dire « stop » demain, elle peut. »
Ils lui ont permis de passer deux ans à l’ISP Academy dans le sud de la France, puis de travailler aujourd’hui au Luxembourg dans une structure qui comprend un coach, un préparateur physique, mais aussi un kiné et les médecins du suivi médical du comité olympique… On est loin de la mentalité luxembourgeoise habituelle. « Je sais que, chez nous, c’est habituellement les études qui passent en premier. Mais nous, nous ne considérons pas les choses comme ça. On a la mentalité italienne, pas luxembourgeoise. Le plus important, c’est de faire ce que vous aimez », sourit-il.
Et cette mentalité se retrouve aussi lorsqu’on évoque l’avenir. « Je ne peux pas dire qu’Eléonora restera encore trois ans au Luxembourg. Le club des Arquebusiers est vraiment super. Il nous aide beaucoup. Mais ici, c’est avant tout un but qu’il faut poursuivre. Et si, à un moment donné, elle ressent des besoins qu’elle ne peut pas assouvir ici, elle partira sans doute. »