[NATIONS LEAGUE] Gerson Rodrigues, indéniable talent brut, cristallise aujourd’hui de plus en plus de critiques, que ce soit pour son attitude ou pour son jeu. Lundi, Luc Holtz est monté au créneau pour défendre sa star.
C’est sans doute à ça qu’on se rend compte que le football luxembourgeois est entré dans une nouvelle ère : il peut désormais se permettre de s’inventer des débats enflammés sur… le comportement de ses joueurs stars. Cela avait commencé piano il y a quelques années avec le coup de la bouteille d’alcool retrouvée dans la chambre d’un Joël Kitenge, viré d’un rassemblement, cela s’était poursuivi avec le départ en catimini de Lipperscheid de Christopher Martins, pas encore sûr de vouloir s’élancer au niveau international et qui avait récupéré son passeport avant de monter dans une voiture sans que le sélectionneur le sache, il y avait eu une incartade réjouissante quand Vincent Thill avait shooté dans la glacière installée à côté du sélectionneur lors de son remplacement et d’un match raté aux Pays-Bas. Mais là, avec Gerson Rodrigues, on franchit un cap majeur. Les réseaux sociaux s’en mêlent, les coaches et anciens joueurs aussi. Parce que le pays se retrouve confronté à quelque chose qu’il ne connaissait pas encore : l’un des siens qui évolue dans un club des sommets et qui est payé à l’avenant. Le Luxembourg, en fait, découvre le star system…
Gerson Rodrigues n’est pas étranger à l’avalanche de réflexions qui s’abattent sur lui depuis quelques semaines. Dans un pays comme le Luxembourg, tout se sait, tout se dit, tout se déforme. Mais quand un joueur hisse son train de vie à la hauteur même des fantasmes, comme l’a dit un Luc Holtz très irrité par le sujet lundi, «ça crée des jalousies».
On n’était pas dans ce registre-là, lundi, quand certains coaches de DN se sont penchés à notre demande sur le match disputé à Chypre. «Je n’aime pas quand des joueurs essayent de faire du cirque au lieu de jouer un football simple. Vous voyez de qui je parle», s’est élancé Henri Bossi. «Il y en a derrière lui qui travaillent dur et lui ne fait pas le boulot en équipe», s’est aussi irrité Neil Pattison. Les attaques restent au-dessus de la ceinture et Luc Holtz a répondu aussi à celles-là : «Si vous regardez bien, samedi, le latéral droit de Chypre n’est pas monté que pour pouvoir le gérer. En général, ils s’y mettent à deux ou trois pour le museler et ça ouvre des espaces. Quant à son rendement défensif, il a été le premier à lever la main pour dire ses erreurs quand on en a parlé.»
L’argument de ce joueur qui parvient toujours à mettre assez l’adversaire sous tension pour qu’il soit utile même en étant médiocre, s’entend. Mais il a l’inconvénient de ses avantages : en disant cela, Holtz admet en creux qu’effectivement son ailier est un peu moins performant que fut un temps. Question d’usure peut-être : il participera ce soir à sa vingtième rencontre depuis la fin août, en un peu plus de dix semaines.
La vie de groupe en question
Le souci, c’est que cette petite baisse de régime bien excusable pour un garçon qui a dû lâcher pas mal d’influx contre la Juventus Turin ou le FC Barcelone en Ligue des champions, se heurte de plein fouet aux mœurs locales en matière de vie privée. Gerson Rodrigues la met beaucoup trop en scène au goût de certains, s’affichant avec montres de luxe et deux Lamborghini. Ce ne serait pas un problème si nombre de joueurs des Roud Léiwen ne commençaient pas à y déceler, aussi, l’occasion de passe-droits qui sont souvent incompatibles avec la vie de groupe. Il y a eu notamment l’autorisation de voyager avec son bagage personnel quand le reste de l’équipe utilise les sacs mis à leur disposition par la FLF, ou encore la requête pour se voir attribuer le numéro 10 que Luc Holtz en personne avait mis sur les épaules de Vincent Thill, qui n’avait à l’époque rien revendiqué. L’insistance de Gerson pour ce mythique numéro a essaimé dans le milieu, qui ne bruisse que de cette dépossession un peu puérile. Il y a aussi ces gestes d’humeur vis-à-vis des coéquipiers, un peu plus récurrents quand cela va moyennement. C’est cette somme de petits détails qui a un peu fait dégoupiller l’ancien international Marc Oberweis, consultant pour RTL. «C’est un grand joueur et je serais ravi qu’il aille encore plus loin, mais là, il commence à perdre les pédales. Il se met trop en scène sans que les prestations suivent.»
La critique est dure, mais elle ne dénature pas ce qu’une partie de plus en plus large du public commence à penser (et à dire dans l’anonymat malsain des réseaux sociaux). Dans la foulée, la diaspora cap-verdienne en particulier et lusophone en général s’est abattue sur l’ancien gardien de but, l’accusant de «jalousie». «J’ai dû recevoir 1 500 messages», se désole Oberweis. «En fait, tout ce que j’ai voulu dire, c’est que j’aime cette sélection, que j’adore voir ce qu’elle devient et que je ne voudrais pas que le comportement d’une personne puisse tout fragiliser. Et Gerson doit apprendre à vivre avec les critiques vu son statut actuel.»
Luc Holtz est lui monté au créneau avec la plus extrême des fermetés pour défendre son joueur. «Je sais qu’il y a beaucoup de discussions sur sa vie. Mais ce n’est pas une bille ou un caillou qu’il a là (NDLR : le sélectionneur se touche la poitrine). C’est un cœur. Et il a un cœur gros comme ça! Tout ce qu’il a, il se le doit! Il peut bien avoir un bateau ou un avion, je m’en fiche. Et quand il entend ces remarques négatives, cela doit lui faire mal. D’ailleurs non, je sais que cela lui fait mal, surtout quand on connaît son passé. Je ne sais pas si on a déjà eu un joueur de sa qualité au pays, alors j’aimerais qu’on le soutienne.» Soutenu, Gerson Rodrigues l’est par tout un pan de cette population qui voit en lui un modèle de réussite et ne lui tient pas grief de l’exposer. «Cela ne l’exempte pas d’avoir un devoir de responsabilité vis-à-vis des jeunes de la FLF», conclut Marc Oberweis.
Tout, cependant, peut très vite s’oublier. Un magicien comme lui, doté d’une gentillesse évidente même lorsqu’il maugrée à cause de critiques qu’il estime infondées, a tant dans les pieds que dans ce sourire constant les moyens de retourner une opinion pour l’heure contraire. Tout ne tient qu’à lui. Il doit porter cette sélection, pas la faire sienne.
Julien Mollereau
Prochain match : Luxembourg-Azerbaïdjan, mercredi soir à 20h45 à Josy-Barthel