Arsène Welter, homme fort et à tout faire durant près de 25 ans d’une Fédération luxembourgeoise de handball (FLH) qu’il a modernisée, a pris sa retraite le 30 avril. Portrait d’un bénévole dans l’âme.
À la question «Qui fait-on en portrait?», son nom est sorti comme ça, comme une évidence. À peine l’a-t-on prononcé, on regrettait presque aussitôt de ne pas s’être mordu la langue. De ne pas avoir réfréné cette pulsion car vouloir dresser le portrait d’Arsène Welter, c’est comme s’attaquer à un coffre-fort armé d’un marteau et d’un burin. « Sa communication est codée », confie Dominique Gradoux, directeur technique à la fédération luxembourgeoise de handball.
Lundi, Maison des sports à Strassen. Si son nom figure toujours sur la porte d’entrée du bureau réservé au secrétaire général de la FLH, Arsène Welter n’est plus en activité depuis le 30 avril. Ce jour-là, lui l’hyperactif consciencieux et dévoué passa officiellement dans le camp des pensionnés. Officiellement, car en ce début de semaine, il est donc là, bien présent, filant ses dernières consignes à Christian Schmitt, son successeur.
« En tant que bénévole », précise d’emblée le sexagénaire qui, pour rassurer ceux qui s’inquiètent déjà des éventuelles conséquences de son départ sur la destinée de la fédération, convoque Georges Clémenceau : « Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables… » Si c’est sans doute vrai, son absence laissera des traces. Plus ou moins visibles. À plus ou moins long terme. Jeannot Kaiser, président du HC Schifflange avec lequel il joue au tennis tous les jeudis depuis vingt ans : « La fédération perd tout son savoir-faire. »
Le métier, Arsène ne l’a pas appris dans les livres. Fils de parents restaurateurs, l’aîné de la fratrie a toujours mis la main à la pâte et ce même s’il se dit « incapable de cuisiner ». Au Casino de Dudelange, « la cantine des dirigeants de l’ARBED », le gamin passe une partie de ses week-ends derrière le bar à servir des pressions. D’où peut-être sa préférence indéfectible pour la Bofferding bien fraîche à laquelle il ne fait aucune infidélité si ce n’est de temps à autre pour un petit Ricard. Gradoux, amusé : « C’est son petit côté franchouillard. Le seul qu’il ait. »
Un pays où les guerres de clocher sont bien présentes
Ce à quoi il faudrait peut-être ajouter ce goût pour la contestation, son franc-parler et ses coups de gueule. Un caractère affûté qui contraste avec une silhouette qui l’est un peu moins. « Je ne sais pas cuisiner mais j’aime bien manger », déclare en tâtant sa bedaine ce gaillard à l’aspect bourru capable d’alpaguer un journaliste dont il doutait de l’honnêteté des écrits. « Il y en a un notamment à qui Arsène avait mis les points sur les i », se souvient Kaiser avec délectation ajoutant que son ami était « ouvert à la critique si celle-ci est fondée et constructive ».
Arsène Welter est un chêne en bois brut. Sans laque ni vernis. Gradoux : « L’une de ses grandes qualités est de n’avoir jamais mâché ses mots. Devant personne. » Une gouaille renforcée d’une connaissance pointue de ses dossiers. Tant sur le plan national qu’international. Ce qui lui avait valu d’être désigné comme le porte-parole des petits pays lors des Congrès de la fédération européenne (EHF). Au Grand-Duché, son bureau était souvent celui des plaintes ou des réclamations.
« Je ne pouvais pas toujours les résoudre, mais, parfois, rien que le fait d’écouter permet d’en régler une partie », déclare cet ancien ailier international passé par le Fola, Rumelange (dont Erny le père fut l’un des membres fondateurs) et Bettembourg où il exerça le rôle d’entraîneur (hommes et dames) et de secrétaire. Un parcours qui, à défaut de lui constituer un palmarès, lui aura permis dans sa fonction de secrétaire général d’échapper en partie aux soupçons de conflits d’intérêts. Ce qui n’est pas rien dans un pays où « les guerres de clochers sont bien présentes » et où l’on se plaît à crier au complot à la moindre décision arbitrale défavorable. Justifiée ou non. « En quinze ans, jure Gradoux, je n’ai jamais pu lui arracher un rictus ou battement de paupières pour tel ou tel club. »
Mais Arsène Welter est au-dessus de ça, comme tend à le prouver sa longévité malgré le passage de cinq présidents (Hastert, Kaiser, Olk, Gira et Epps) sans que sa présence ne soit remise en question. « Pourtant, si les gros clubs avaient voulu ma peau, ils auraient pu l’avoir », rappelle celui qui n’est toutefois pas qu’un simple employé.
« J’étais le seul et unique salarié. Mon boulot était de simplifier la vie des autres »
Arrivé à la demande de Raymond Hastert, qui le repéra pour ses qualités de maître d’œuvre lors du Beneluxis (NDLR : tournoi international qui réunissait la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et l’Islande) organisé par le club de Bettembourg, c’est lui qui, alors que la maison est en train de brûler, est à l’origine de l’arrivée aux commandes de la FLH de Jeannot Kaiser. « C’était la crise! Il m’a appelé et m’a demandé de le rejoindre. Le 5 mars 1991, lors de l’assemblée générale extraordinaire, j’étais élu et, à partir de ce jour, avec Arsène on a tout reconstruit. Et ce n’était pas une mince affaire. On bossait jusqu’à 3h du matin. Pour vous donner une idée, on n’avait aucunes archives. Un gars de l’ancienne équipe était reparti avec le disque dur… »
Le 1 er février 1995, Arsène est officiellement engagé à la FLH. Dans la foulée, il vend le Paper Land, kiosque à journaux qu’il tenait à la Belle Étoile avec Serge, son frère, patron aujourd’hui du Why Not à Dudelange, pour enfiler son bleu de chauffe et se coiffer d’une casquette dont il ne parviendra plus à se défaire. Celle de «l’homme à tout faire». « C’est de ma faute », consent-il tout en réfutant un quelconque manque de confiance : « J’étais le seul et unique salarié. Mon boulot était de simplifier la vie des autres membres de la fédé qui, eux, étaient tous bénévoles. » Lors de la finale de la Coupe de Luxembourg, à la Coque, on l’a vu s’activer durant un arrêt de jeu pour réparer le filet cassé sur l’un des buts. Et quand il n’est pas de réparation, il est de préparation. « Il y a des choses qu’un vieil homme comme moi ne peut plus faire : ou alors, j’ai mal au dos pendant une semaine… »
« Le handball luxembourgeois fait partie de son être »
Sa bosse, Arsène Welter l’a roulée un peu partout. En tant que délégué de l’EHF sur des matches de Coupe d’Europe, il partait « toutes les deux semaines » vers des destinations improbables et plus ou moins chaudes. « Lors d’un Croatia Zagreb – Barcelone, si j’avais ramassé toutes les pièces que les supporters m’ont jetées, j’aurais été riche », s’amuse celui qui n’a jamais fait de l’argent une question essentielle. S’il évoque son refus, il y a quelques années, de rejoindre l’EHF à Vienne pour « un nombre insuffisant de zéro avant la virgule », la raison véritable serait surtout d’ordre sentimental.
« Il ne voulait pas quitter le Luxembourg , croit savoir Gradoux. Le handball luxembourgeois fait partie de son être. Il suffit de le voir lors d’un match de la sélection… » À cet instant, Arsène l’imperturbable redevient un supporter comme un autre. À la différence près qu’il connaît parfaitement le règlement. Du coup, quand il a l’impression que l’équipe nationale se fait rouler dans la farine, ce «sanguin» monte illico dans les tours. « Il ne faut pas toucher à sa sélection , confie le DTN. Je dis « sa » sélection car il l’a dans la peau. Durant ou après un match, il souffre comme nous tous. Je me souviens qu’après la défaite contre Chypre (NDLR : défaite 16-17 le 3 avril 2013 lors des éliminatoires de l’Euro-2016) , en rentrant chez lui il a fait un malaise. Ce n’était pas anodin… »
« C’était un travailleur énorme, ne calculant jamais ses heures »
Chez lui, à Dudelange, Arsène Welter retrouve Angèle, son épouse, et ses deux filles Jil et Chris. Un foyer où l’on dort, mange et vit handball puisqu’elles y ont toutes joué. « Ma famille, je la voyais de temps en temps », confie le patriarche qui, après sa journée de bureau, enchaînait régulièrement avec des réunions du conseil d’administration de la fédération ou des rencontres de championnat qu’il supervisait en tant que délégué. « C’était un travailleur énorme, ne calculant jamais ses heures. » Quand le règlement de l’EHF le permettait encore, il embarquait parfois ses filles avec lui. À la Sparkassen-Arena de Kiel par exemple, où il faillit percuter Nikola Karabatic. « On voulait la même place. Finalement, on s’est arrangés. On s’est serrés un peu et on s’est garés l’un à côté de l’autre… »
Au volant de sa Peugeot 308, Arsène peut passer de longues heures comme l’illustre ce road trip de 2 100 bornes effectué avec l’aînée afin de rallier l’appartement familial situé à Nerja, en Andalousie, plutôt que de prendre l’avion avec le reste de la troupe. « Ça reste un super souvenir », confie Jil, pressentie fut un temps pas si lointain comme son successeur au poste de secrétaire général.
« La question s’est posée , reconnaît le père, mais je n’avais pas envie de la voir dans cette position. » Comprendre : pas envie de la voir sous le feu des critiques et des coups plus ou moins bas. C’est que le blindage, chez les Welter, c’est lui qui le porte. Et puis, comme ça, il pourra faire ce à quoi tout retraité aspire : voyager. « Ma femme travaille chez Luxair, c’est plus facile », sourit cet amoureux des États-Unis qui rêve de les traverser d’est en ouest. En train. Pourquoi en train? « Je ne sais pas. Comme ça… »
Avant de se quitter, à la question de savoir ce qu’il compte faire désormais de ses journées, Arsène Welter ne surprend guère : «J’aimerais travailler pour un club à qui je pourrais faire profiter mon expérience…» Et rester ce qu’il est et a toujours été : un bénévole dans l’âme.
Charles Michel