De ses débuts en karting à dimanche où il pourrait, à Monza, être sacré champion, Guillaume Pereira (54 ans) évoque son fils Dylan (23 ans) et sa trajectoire, au fond, pas si surprenante.
Dimanche dernier, deuxième à Spa-Francorchamps, Dylan a repris la tête du championnat de la Porsche Supercup. Qu’avez-vous ressenti?
Guillaume Pereira : J’étais à la maison avec le reste de la famille. Se retrouver devant la télé, c’est dur. Normalement, je suis avec lui. Je sais ce qui se passe. Je vois ce que lui et les ingénieurs font, quels sont leurs choix quant aux pneus, à la préparation de la voiture et à la stratégie de course… Là, je ne suis au courant de rien. Ou pas grand-chose. Je ne téléphone pas tout le temps à Dylan car je sais qu’il a besoin de se concentrer. D’ailleurs, il n’appelle pas beaucoup sa copine non plus (il rit)… Quant à cette course à Spa, je pense qu’il aurait pu mieux faire…
Et s’imposer pour la deuxième année consécutive sur le mythique circuit belge?
Oui. Il aurait pu s’élancer d’une meilleure position sur la grille de départ. Au 2e tour des qualifications, il comptait deux dixièmes d’avance sur son meilleur temps jusque-là. Mais à la suite d’un écart, il a perdu plus de trois dixièmes et, au final, s’est contenté du troisième chrono à huit centièmes de Güven. Sans cet écart, il serait parti en pole et la course aurait été très différente.
Dylan a dû patienter quelques tours avant de réussir à dépasser Jaxon Evans, son propre équipier chez BWT.
Dylan m’a expliqué après coup qu’ils avaient l’accord suivant : celui qui se retrouvait derrière Güven après le premier virage devait l’attaquer. C’est ce que fera Evans durant plusieurs tours sans parvenir à dépasser le Turc. À un moment, Dylan lui a fait des appels de phares pour qu’il le laisse passer, mais bon… Il a dû batailler pour le dépasser et a perdu ce temps qui lui aurait peut-être permis de dépasser Güven. Après, il faut savoir qu’Evans est pilote Porsche Junior et a donc tout le soutien de Porsche. Je suis d’avis que l’écurie aurait peut-être pu donner un coup de pouce supplémentaire à Dylan en disant à Evans de le laisser passer. Mais bon, au moins, si Dylan vient à remporter ce championnat, personne ne pourra l’accuser d’avoir bénéficié d’un passe-droit. Cela étant, Walter Lechner (NDLR : patron de Lechner Racing), qui est un homme droit et qui n’a qu’une parole, a pris Dylan sous son aile.
Je suis impressionné par l’expérience qu’il a accumulée. C’est vraiment beau de le voir piloter
Dimanche prochain, à Monza, il partira avec quatre points d’avance sur Larry ten Voorde. Cette avance ne lui laisse toutefois pas une grande marge de manœuvre…
Oui, enfin les avoir ou ne pas les avoir, c’est complètement différent.
Si Larry ten Voorde venait à s’imposer à Monza, il remporterait quoi qu’il arrive le championnat…
Oui. Dans ce cas, et même si Dylan finissait deuxième, Ten Voorde l’emporterait pour un point. Après, s’il n’y a pas plus d’une place qui les sépare, alors Dylan sera titré. Ce serait fou qu’ils se retrouvent à égalité de points. Fou car pour arriver à une telle situation, il faudrait que Ten Voorde finisse 2e et Dylan 4e ou alors 5e et 8e. Ou bien, si Ten Voorde ne fait pas mieux que 6e, Dylan devrait pointer à quatre places derrière…
Dans quel état d’esprit se trouve Dylan avant de disputer l’ultime manche de la saison?
Je le trouve très bien. Depuis trois ans, Dylan travaille avec Stefan Schroeder, un préparateur physique et mental allemand basé à Luxembourg. Stefan me disait que Dylan était bien et devait rouler ce week-end sans songer une seconde au championnat. Le principal risque justement serait de trop y penser…
Et de partir à la faute de peur justement d’en commettre une… À ce propos, Dylan semble commettre moins de fautes cette saison, non?
Dylan aime aller vite. Et samedi, lors des qualifications, son objectif sera évidemment de réaliser la pole position. L’année dernière, à Barcelone, dans le premier tour, au freinage, il était parti à la faute et avait perdu cinq-six places. Après, il y a eu Monaco où il avait eu un accrochage dès le premier virage et avait dû abandonner. Alors, quand je le vois rouler aujourd’hui, je suis impressionné par l’expérience qu’il a accumulée. C’est vraiment beau de le voir piloter.
En tant que père, quelle est votre attitude après une course manquée?
(Il rit) Je ne vais pas le critiquer, il roule 100 fois mieux que moi! Alors, quand il fait une erreur, je laisse passer l’orage et ensuite, s’il en a envie, on peut en discuter. Et ce, toujours dans le but de ne pas la répéter. Ça fait 19 ans qu’on travaille pour ça…
Après Spa, j’ai reçu plus de 200 SMS de félicitations! Une vraie reconnaissance est en train de se faire et ça fait plaisir
Lorsque vous l’avez installé pour la première fois dans un karting, à l’âge de 4 ans, imaginiez-vous le voir faire carrière dans le sport automobile?
Quand un parent met son enfant dans un club de foot, il veut le voir s’amuser, progresser et peut-être faire carrière. Avec Dylan, c’est la même chose. Je me souviens du temps passé ensemble lors de nos déplacements en Belgique pour des compétitions de karting. Il rêvait de devenir pilote de F1, mais quand tu vois que la plupart qui y sont doivent payer pour rouler, ce n’était pas possible.
Sa trajectoire est allée crescendo…
Pour sa première saison en Porsche Supercup, il était tombé dans la plus mauvaise Team du championnat (NDLR : MOMO Megatron). Depuis, c’est allé de mieux en mieux. L’an dernier, lors des huit séances tests sur le Red Bull Ring, Dylan avait réussi le meilleur temps à six reprises. Après l’accident à Monaco, il y avait un petit problème sur la voiture qu’on n’arrivait pas à régler. Alors j’ai envoyé un message à Monsieur Lechner pour savoir pourquoi on ne lui donnait pas la voiture avec laquelle il avait roulé en Autriche. Deux jours plus tard, je recevais une photo de cette fameuse voiture avec le nom de Dylan inscrit dessus. Résultat, il part avec cette voiture à Hockenheim, où il gagne après interruption de la course et où il n’y a pas eu de podium. À Spa, le week-end est marqué par l’accident tragique d’Antoine Hubert que Dylan connaissait depuis des années. Avant le départ, le directeur de course vient nous voir : « Si Dylan gagne, vous savez, il n’y a pas de fête. On a eu un mort ce week-end… » Cette deuxième victoire, Dylan n’a pas pu la fêter…
Et cette saison, il en a ajouté deux autres, mais le Covid-19 est aussi venu quelque peu gâcher la fête…
J’aurais aimé l’accompagner, mais ce n’est pas possible. Marc Joseph (NDLR : président de l’ACL Sport) m’a appelé lundi matin pour me dire qu’il avait contacté la secrétaire de Jean Todt (NDLR : président de la FIA) pour voir si je pouvais avoir une autorisation, mais là encore, pas de passe-droit. Ça se comprend.
Dimanche, dans quelles conditions allez-vous suivre cette ultime manche du championnat?
Comme d’habitude, on va la regarder en famille. En comité restreint. Je pense que la réussite de Dylan s’explique aussi par ça. Par cet équilibre familial. Il sait qu’on est tous derrière lui, qu’on le soutient. Je suis vraiment fier de mes enfants. De ma fille aussi qui fait des études pour devenir dentiste. Ça confirme ce que je pense : si tu es prêt à travailler et à consentir à bien des sacrifices, tout est possible. Et puis, au garage, tous les jours, on me parle de mon fils. Lundi, une femme me dit : « Le pilote, c’est votre frère? » Dimanche, après Spa, j’ai reçu plus de 200 SMS de félicitations! Une vraie reconnaissance est en train de se faire et ça fait plaisir.
Un titre de champion, dimanche, offrirait à Dylan de nouvelles perspectives de carrière…
Oui. Normalement, et c’est comme ça que ça marche chez Porsche, le vainqueur de la Supercup est engagé en tant que pilote d’usine. Dans ce cas, Dylan serait envoyé par Porsche sur des épreuves comme les 24 Heures de Daytona, les 24 Heures du Mans, etc. Mais pour l’instant, on n’a absolument pas parlé de ça avec personne. Ce n’est pas le moment. Chaque chose en son temps.
Dylan nous confiait que Monza n’était pas son circuit de prédilection…
C’est un circuit rapide. Les qualifications vont donc être importantes. S’il arrive à prendre l’aspiration des meilleurs, Dylan peut réussir la pole. Et je pense qu’il peut gagner cette course. Ce serait bien d’entendre l’hymne luxembourgeois…
Entretien avec Charles Michel
Les positions
Championnat Porsche Supercup : 1. Dylan Pereira (LUX/BWT) 134 pts; 2. Larry ten Voorde (PBS/Team GP Elite) 130; 3. Ayhancan Güven (TUR/Martinet by Almeras) 113; 4. Jaxon Evans (NZL/BWT) 96; 5. Florian Latorre (FRA/CLRT) 85…
Dylan Pereira champion si…
• Il finit devant ou à moins d’une place de Larry ten Voorde.
• Il finit 6e et Ten Voorde 4e.
• Il finit à moins de 4 places de Ten Voorde si celui-ci se classe 5e.