Nico Langehegermann est un artiste luxembourgeois connu pour ses œuvres abstraites. Cet ancien cycliste qui aurait aimé pouvoir faire carrière s’est mis à peindre les professionnels du pays voici quelques années. Rencontre dans son atelier…
Dès l’entrée de l’atelier parfaitement éclairé, les odeurs des acryliques, laques et vernis délivrent leur parfum. Une musique douce s’échappe des enceintes. Les toiles et tôles sont rangées selon un ordonnancement savant. L’impression d’un désordre très ordonné. Les peintures sont rangées.
Seul le sol témoigne des allées et venues frénétiques. On y lit un mouvement singulier. Le propriétaire des lieux est assurément un peintre actif et si nul désordre ne saute aux yeux, la somme d’œuvres qu’il se propose d’entrevoir est impressionnante. Elle témoigne de la vie très créatrice du jeune cycliste formé aux Arts et Métiers devenu artisan reconnu dans le domaine de l’art décoratif, du lettrage, du design et de la création graphiste, puis artiste tout court.
Fan du Français Pierre Soulages et de son si fameux «noir lumière». Nico Langehegermann, 75 ans, a encore des tonnes de toiles à peindre, comme il a hâte d’enfourcher son Trek Domane qui patiente dans une pièce adjacente. Une machine qui n’attend donc plus que son heureux propriétaire récupère complètement de sa fracture de la clavicule survenue à la fin de l’été lors d’une banale cabriole. Simple question de temps.
«Toute ma vie, j’ai eu le vélo et la peinture, ce sont mes deux passions…» En quittant l’atelier de Nico Langehegermann, situé à Foetz, cette phrase résonnera encore longtemps.
Mais c’est bien de peinture que nous sommes venu nous enquérir, puisque depuis quelques années déjà, il s’est proposé de peindre des toiles plus figuratives des champions cyclistes luxembourgeois, de Charly Gaul à Kevin Geniets…
D’ailleurs, sur le podium du dernier Tour de Luxembourg, on l’a vu remettre à Ben Gastauer, qui venait de clôturer sa carrière, son tableau personnalisé…
Tout d’abord, comment s’est construite votre vie professionnelle?
Nico Langehegermann : Mon père était peintre, il disposait d’un petit atelier et il composait des polychromes. Nous étions quatre garçons et j’ai commencé à treize ans. J’allais à l’école à vélo, il n’y avait pas de bus. Tous les jours, par tous les temps, même sous la neige, j’effectuais le trajet Bridel-Limpertsberg. Je participais aux courses de la Lasel avec mon vieux vélo.
Et la première course, c’était un cyclo-cross au Bambësch où j’avais terminé deuxième. J’y ai rencontré Marcel Gilles (l’ancien président de l’ACC Contern, qui fut longtemps reporter à RTL radio, décédé en avril 2014), qui courait également. Je suis devenu champion de Luxembourg chez les étudiants.
Puis vous êtes devenu peintre à votre tour?
Oui, le vélo, c’était à part. J’ai continué de rouler jusqu’à 22 ans. Je savais que je devais travailler le plus vite possible. J’ai pu faire l’école des Arts et Métiers et, à 23 ans, je travaillais à mon compte dans l’atelier de mon père.
J’étais peintre décorateur et peintre en carrosserie. Pendant 25 ans, lorsque j’étais à fond dans mon entreprise, je n’ai plus touché un vélo.
Certes, mais comment relier votre parcours à ces tableaux qui représentent des sportifs comme Charel Grethen, du sport auto, mais surtout des cyclistes?
À trois ans, je dessinais déjà. Cela a toujours été mon hobby. C’était de famille, je crois, l’une de mes grand-mères avait la mémoire photographique. De mémoire, elle parvenait à dessiner. C’était incroyable.
Elle avait été par exemple capable de réaliser un superbe portrait de la Grande-Duchesse Charlotte qui était venue poser spécialement dans sa maison de retraite à Mertzig. Je ne sais plus ce qu’est devenu ce tableau.
J’étais tout seul dans ma section Arts et Métiers, avec deux professeurs, deux sculpteurs. J’ai appris toutes les techniques
Vos premiers tableaux n’étaient pas sportifs?
Non, c’est vrai. Lorsque j’avais treize ans, j’ai peint des tableaux abstraits dans le cadre de mes études aux Arts et Métiers. Nous étions en 1962. Il s’agissait de dessins à main libre. J’en ai encore plein dans mon grenier.
J’étais tout seul dans ma section Arts et Métiers, avec deux professeurs, deux sculpteurs. J’ai appris toutes les techniques.
Cette pratique de la peinture en dehors de votre activité professionnelle a été le fil rouge de votre vie?
Non, j’ai arrêté pendant un moment et un ami, Jean Goedert, un ancien professeur des Arts et Métiers, qui a réalisé de superbes toiles du pistard Lull Gillen, m’a passé le flambeau.
On peut directement lier votre production actuelle à ces tableaux de sportifs peints à l’époque par Jean Goedert?
Oui, c’est ça. C’est une sorte d’inspiration. Et ensuite, il y avait la galerie Becker au Limpertsberg, qui n’exposait que des toiles représentant des cyclistes. J’avais lu un article dans le journal et je m’y suis donc présenté. À cette époque, j’avais peint deux tableaux de coureurs cyclistes et ils se sont tout de suite vendus.
Peu de temps après, le galeriste m’a suggéré d’en refaire. Nous étions en 2002. J’avais alors toujours mon entreprise de lettrage publicitaire (NDLR : que son fils Tom a reprise à Ehlerange). Mais je me suis dirigé vers des tableaux abstraits. J’ai beaucoup exposé, à New York, Paris, jusqu’en Corée. J’avais d’un côté mon activité de chef d’entreprise, que j’ai stoppée voici une dizaine d’années, et, de l’autre, ma passion pour la peinture.
L’abstraction semble ne rien avoir affaire avec ces tableaux de cyclistes?
Si, moi je vois le rapport, je le ressens. J’ai aussi beaucoup travaillé dans les églises, avec un peintre très connu au Luxembourg, Adolphe Deville. Pour les églises, je respectais les consignes de restauration imposées.
Mais je me suis toujours dit que je devais faire ce que je voulais, ce que je ressentais. Alors, j’ai commencé mes tableaux abstraits.
Vous travaillez avec quelles matières?
Figurez-vous que la plupart de mes tableaux sont peints avec de la peinture pour les carrosseries des automobiles, de la laque. Mais j’utilise également l’acrylique.
Mais l’idée de peindre les cyclistes de ces dernières années vous est venue comment?
J’en reviens à Jean Goedert. Je garde d’excellentes relations avec son épouse. Avant qu’il ne décède, malheureusement, je lui ai dit que je prendrais son relais. Lui ne peignait que des sportifs, beaucoup de coureurs à pied.
Ces cyclistes qui apparaissent dans ces tableaux figuratifs, j’ai commencé à les peindre depuis environ quatre ans seulement.
En peignant ces sportifs du sport luxembourgeois, les ressources semblent inépuisables, non?
Oui, pour le sport, je m’inspire de photos. Il faut savoir mémoriser des mouvements. La dynamique.
Un de ces tableaux demande généralement combien d’heures de travail?
C’est différent de l’un à l’autre. Mais je dirais une cinquantaine d’heures. L’arrière-fond est réalisé au pistolet, les finitions au pinceau.
L’inspiration est-elle sans fin?
Je le crois, oui, tant que je parviendrai à trouver la force. Quelquefois, il me faut faire une petite pause, mais ça revient vite. J’ai en tête de réaliser encore une cinquantaine de tableaux sur le cyclisme.
Pour vous, le plus grand plaisir, c’est de se lancer dans une belle sortie à vélo ou peindre un tableau?
L’hiver, je ne touche pas le vélo, mais dès que le soleil arrive, je sors beaucoup. Il y a trois ans, j’ai encore fait 10 000 kilomètres.
Qui sont vos copains de cyclisme?
Lucien Rischard, Fernand Urbany, Roger Thull, Norry Fischer, d’autres. Pendant longtemps, j’avais des bons copains dans l’ancien club de Pignon Bonnevoie.
Vous semblez nostalgique de votre carrière de cycliste. Quel genre de coureur étiez-vous?
Je me souviens qu’à 16-17 ans, j’ai remporté 40 victoires en Belgique. J’étais plutôt grimpeur, je pesais 59 kilos.
Quel est l’accueil du milieu cycliste et plus largement sportif à votre activité picturale?
Si je suis franc, lors de ma dernière exposition (courant mai à Oberkorn), j’avais envoyé une invitation à la fédération et au ministère des Sports, mais personne n’est venu jeter un œil.
En plus, j’avais l’intention d’effectuer une donation de mes tableaux à la fédération, de l’ordre de 50 000 euros. J’étais forcément déçu.
Qu’en disent les sportifs?
Les frères Schleck m’ont acheté un tableau. Je suis très ami avec Johnny, avec qui j’ai passé des moments très agréables. Ben Gastauer a semblé apprécier. C’est un coureur que j’apprécie.
Sa maman Yvette est aussi artiste et, plus jeune, j’allais rouler à Schifflange avec son père, Romain. C’est surtout cette ambiance qui me plaît dans le vélo.
Je regrette souvent de ne pas être passé professionnel. Le père de Lull Gillen, Maurice Gillen, qui avait lancé Charly Gaul, avait pourtant insisté
La plupart des cyclistes ont voulu leur tableau?
Pas forcément. Par exemple, la toile qui représente les cyclistes allant de Benoît Joachim à Kevin Geniets, avec les frères Schleck, Kim Kirchen, Jempy Drucker, Bob Jungels, Christine Majerus, c’est le bourgmestre de Remich qui l’achète, car en 2022, la ville va recevoir une étape du Tour de Luxembourg. C’est aussi un fou de cyclisme.
J’ai aussi l’exemple de l’historien Henri Bressler. Il voulait le tableau Charly Gaul. Mais il était trop grand par rapport à la pièce choisie pour l’exposer. Je lui en ai peint un autre, plus petit…
Et vous, vous êtes donc ouvert à d’autres sports?
Oui, je me suis intéressé à Charel Grethen, avant son exploit aux JO de Tokyo. Sa maman doit venir chercher le tableau. Bob Haller m’intéresse aussi, j’ai une idée de peinture…
Vous connaissez d’autres peintres luxembourgeois dans ce registre?
Pour le moment, je n’en connais pas.
Quel serait le tableau qui resterait à peindre, une fresque?
Alors, oui, une fresque qui représenterait le désordre et le stress du Tour de France par exemple. Moi, je me souviens avoir couru le Tour de l’Avenir, je crois que j’ai passé le Tourmalet dans le premier groupe avec (Cyrille) Guimard et (Joop) Zoetemelk. Mais je n’avais pas un bidon, rien, vraiment rien à boire…
On sent que cela reste votre grande passion…
Oui, c’est ça, c’est la grande passion. Je regrette souvent de ne pas être passé professionnel. Le père de Lull Gillen, Maurice Gillen, qui avait lancé Charly Gaul, avait pourtant insisté.
Il me disait que je devais passer professionnel et je lui expliquais que je ne pouvais pas, que je devais travailler. Et j’ai fait le choix du travail.
Et cette passion que vous exprimez est toujours restée?
Oui, j’ai toujours suivi. Avec le travail, je n’avais plus le temps, certes, mais je m’y intéressais toujours. Et je compte en faire beaucoup encore sur le vélo et dans mes tableaux. Mais ces peintures, c’est le rêve que j’ai pu réaliser…
Denis Bastien