Panos Katsaitis, vice-président de la Jeunesse, fait le point après six mois de présence grecque à la tête de la Vieille Dame.
Quand Panos Katsaitis a pénétré pour la première fois dans les entrailles de la Frontière, il y a six mois, juste après avoir été intronisé vice-président de la Jeunesse Esch, il est tombé en arrêt devant l’une des très vieilles photos qui ornent les couloirs. Hier encore, il s’est arrêté devant ce vieux cliché et noir et blanc, datant du 30 septembre 1970 : « Vous voyez, là ? C’est le match Panathinaïkos – Jeunesse (NDLR : 5-0 en match retour de la Coupe des clubs champions, après une défaite 1-2 à l’aller). Et moi, j’étais là, juste là, dans cette tribune (NDLR : il pointe avec son doigt) , avec mon père. J’avais quatre ans. Je ne m’en souviens pas bien sûr, mais des fois, la vie… » Le bras droit du président Poulinakis, dont le très bon français a été travaillé des années durant au Zaïre, où il a en partie grandi, nous a reçus dimanche pour une interview mi-bilan mi-perspectives après une demi-année de gestion hellène. C’est meilleur pour sa santé que le match prévu initialement samedi sur la pelouse du Racing, puisqu’il avoue « fumer deux paquets de cigarettes avant chaque match, à cause du stress »…
Reprendre une équipe évoluant dans un championnat quasiment à l’arrêt complet – une rareté au niveau européen – depuis quatre mois, c’est un bon investissement ?
Bon, ce projet que nous menons est à long terme, on n’est pas là que pour deux ou trois ans. Non, on est là pour des années. On savait en reprenant qu’on entrait dans une période compliquée, mais on ne pouvait pas prévoir non plus qu’il y aurait tant de soucis. Mais notre comité travaille beaucoup, on trouvera des manières de s’arranger. Après, chaque pays a ses règles, ses façons de réagir à une situation donnée, mais à la Jeunesse, nous sommes d’avis qu’il nous faudrait suivre les règlements européens. Personne ne connaît mieux le foot que l’UEFA. Suivons leurs règles. Nous avons fait des suggestions cet hiver pour que le Luxembourg suive le mouvement. Dix-huit joueurs sur la feuille de match, cinq remplacements, un mercato hivernal normal… On devrait prendre tout ce que propose l’UEFA, pas seulement ce qu’on veut et ce qui nous arrange, comme les subsides.
La question, c’était de savoir combien d’argent il fallait injecter pour que le club n’ait pas de problème cette saison et on en a mis pas mal
Ce coronavirus vous coûte-t-il cher ?
Oui. Pas de fans, pas de recettes. Les sponsors, on est heureux quand ils restent avec nous et c’est dur d’en trouver de nouveaux. On est un des seuls pays d’Europe sans droit télé, d’ailleurs nos matches ne sont même pas télévisés. Mais bon, le plus grave, pour un club comme la Jeunesse, c’est quand même de jouer sans supporters. C’est peut-être moins grave pour beaucoup de clubs, mais pour nous, si. Notre force, c’est notre public.
Et un investisseur qui met de l’argent sur la table ?
(Il sourit) Manthos Poulinakis travaille dans l’import-export de fruits et légumes, les médias, les centres de sport et les supermarchés. Ceci étant dit, nous pensons que la Jeunesse Esch est la seule équipe du Luxembourg qui pourrait générer assez d’argent pour se tenir financièrement sur ses deux pieds. Mais avant d’atteindre cet équilibre, oui, il est nécessaire pour nous d’investir.
Dans quelles proportions ? Il se murmure que « racheter » la Jeunesse à Jean Cazzaro vous aurait coûté entre 150 000 et 200 000 euros.
Pour Jean Cazzaro, cette affaire n’était pas une question d’argent. La question, c’était de savoir combien d’argent il fallait injecter pour que le club n’ait pas de problème cette saison et on en a mis pas mal.
C’est combien, « pas mal » ?
Beaucoup plus que la somme que vous évoquiez. On a fait venir des joueurs pros, on a investi pour du personnel de bureau, pour l’académie… Avant de conclure l’accord, nous avions discuté de tout ça. Moi-même, je ne fais que ça, m’occuper du club. C’est énormément de travail. Ces six derniers mois, nous avons beaucoup bossé autour de l’équipe et de l’organisation.
Vous disiez qu’il est difficile d’attirer de nouveaux sponsors. Ressentez-vous une certaine défiance vis-à-vis de cette gestion grecque ?
Je n’ai jamais eu un seul problème ! Dès qu’on utilise le nom de la Jeunesse, toutes les portes s’ouvrent. Derrière, Jean Cazzaro, qui est un gentleman, reste toujours disponible pour partager son expérience. Les Luxembourgeois sont des gens très ouverts.
Toujours dans cette idée d’une hypothétique défiance envers l’investisseur, avez-vous hésité, par peur qu’on vous fasse un procès en communautarisme quand vous avez décidé de remercier Marcus Weiss et d’installer Georgios Petrakis à sa place ?
Mais le pays d’où vient l’entraîneur, pas plus que les joueurs, n’est pas important. Nous voulions juste un entraîneur à plein temps capable de faire des séances le matin et qui sache comment trouver l’équilibre entre le fait d’avoir, dans un même effectif, des professionnels et des amateurs.
Ce changement de coach a été l’occasion d’une de vos premières banderoles de supporters à la Frontière. Les « messages » des spectateurs, quand il y en avait encore, vous vous les faisiez traduire ?
Oui. Oui je demandais. Mais nous sommes très heureux d’avoir des fans qui ont des opinions et surtout qui les expriment. À nous, derrière, de faire en sorte que cela se transforme en bonne coopération.
Vous étiez aller les rencontrer dans leur local, pour une séance d’échange à bâtons rompus. Qu’aviez-vous retenu, principalement, de ce dialogue ?
Le message, c’était que nous sommes nouveaux ici et qu’il faut bien que nous comprenions à la fois la grandeur de ce club, de cette équipe, mais aussi son côté familial.
Il vous a d’ailleurs fallu montrer patte blanche en multipliant les initiatives à caractère local, notamment en vous alliant à la Caritas ou en lançant le projet d’un musée de la Jeunesse Esch.
Dès notre premier jour ici, c’était l’idée. On croit fermement que quand on parle de grandes équipes, cela sous-entend qu’il y a des traditions à respecter et de faire partie intégrante de la société. De nombreux points, dans notre projet, sont liés à cet ancrage local. Ce musée n’était pas dans les cartons quand nous sommes arrivés, c’était vraiment notre idée. Nous sommes en train de collecter tout ce qui a trait à l’histoire de notre club et la prochaine étape sera de trouver le lieu qui nous permettra de la faire partager. Il y a trois piliers à respecter : les fans, l’histoire, l’équipe.
Conseilleriez-vous à un investisseur étranger de venir reprendre une équipe de BGL Ligue ?
Vous savez, on ne peut rien conseiller. Chaque investisseur a son plan, son projet. Et puis, nous, attention, on n’a pas acheté la Jeunesse, hein ! Personne ne le peut. Elle appartient à la ville et à ses supporters. On est juste là pour aider. Et notre objectif, c’est de la ramener là où elle doit être dans les années à venir, c’est-à-dire en position de remporter le championnat. Mais je ne peux pas fixer de calendrier pour ça. Il faut faire de petits pas, mais on compte y arriver le plus vite possible.
Avez-vous des projets pour le stade de la Frontière ?
Nous avons entamé des discussions préliminaires avec la commune, qui a établi un programme. Les travaux ne devraient plus tarder à commencer. Ce n’est pas à nous de décider ce qui sera fait, puisque nous ne sommes pas propriétaires, mais le plus important, c’est de travailler sur le confort des spectateurs, donc sur les gradins, qui sont vieux, mais aussi sur la buvette. Ce serait bien d’en avoir une en intérieur, qui permette un accueil à l’abri. Il nous faudrait aussi des bureaux au stade.
Ce n’est pas un drame si nous ne sommes pas européens, mais on va quand même essayer d’aller le plus haut possible
Il paraîtrait également que vous cherchez à nouer des accords avec des clubs professionnels de la Grande Région ?
On parle beaucoup, oui, mais pas seulement avec des clubs de la Grande Région. Je pense que nous pouvons être très intéressants pour pas mal de clubs. Nous n’avons pas encore d’accords de coopération concrets, mais cela pourrait survenir cet été.
En Grèce ?
On a des réseaux dans beaucoup de pays d’Europe. En Espagne, en Belgique… et, oui, en Grèce. Ce serait bien que nos jeunes puissent en profiter. Pour prendre des joueurs, à chaque mercato, il faut aussi pouvoir en donner. Et on serait heureux de les y aider.
Pour prendre des joueurs, luxembourgeois notamment, ne faudrait-il pas aussi enrôler un directeur sportif, puisque, après le départ de Pascal Molinari au mois de mai, Petz Biergen, aussi, est parti ?
Il n’y a jamais eu, officiellement, de directeur sportif à la Jeunesse. Petz Biergen n’était pas investi officiellement de cette fonction. Au comité, nous avons un groupe de travail qui a le mandat que pourrait avoir un directeur sportif. Alors oui, c’est une position très importante et il faudrait qu’on trouve le profil idéal, mais ce n’est pas non plus le travail le plus important que nous ayons à mener. On pourrait aussi rester comme ça un petit temps. Parce qu’il faut faire très attention à qui l’on prend.
Sans directeur sportif, donc, vous avez attiré Stelvio Cruz et Moussa Maazou cet hiver. Quelle était la ligne directrice ?
Des joueurs d’expérience. Dans cette fenêtre hivernale, c’était crucial. Nous avons de très bons joueurs que l’expérience de nouveaux garçons va bonifier.
Maazou ne reste jamais bien longtemps dans un club. Cela veut-il dire qu’il faudra en tirer le maximum en un minimum de temps ?
(Il sourit) Nous, on espère le garder avec nous. On verra, au printemps, comment cela a marché, mais on n’a pas de doute, car c’est un garçon sérieux et intelligent.
L’un des joueurs marquants des neuf premières rencontres de la saison s’appelle Georgios Xenitidis, un meneur dont l’entrejeu avait bien besoin. Restera-t-il avec vous à la fin de la saison ?
Georgios a un contrat avec une très grande équipe qui s’appelle l’Olympiakos. Il est en prêt et on n’a pas notre mot à dire, a priori. Si l’on souhaite le garder, on doit en discuter avec l’Olympiakos, et croyez-moi, on veut garder beaucoup de gens, pour lesquels nous avons entamé les discussions. L’idée est de parvenir à garder tous les garçons que l’on veut garder, s’inscrire dans la durée avec eux.
Qu’espère faire la Jeunesse dans cette deuxième partie de la saison ?
Ce n’est pas un drame si nous ne sommes pas européens, mais on va quand même essayer d’aller le plus haut possible. Après tout, il est encore très tôt dans notre projet. On va surtout essayer de jouer le mieux possible.
Les litiges que vous pouviez avoir avec différents joueurs remerciés autour de l’été dernier – notamment Arsène Menèssou – sont-ils réglés ?
Il n’y a pas de litiges. Quelques affaires ouvertes, des problèmes de contrat qui se règlent en en parlant avec les joueurs.
Entretien avec Julien Mollereau