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Où en est le projet de tournoi ATP sur gazon au Luxembourg ? [dossier]


Gilles Muller, n° 1 luxembourgeois et n° 38 mondial, serait censé devenir l'ambassadeur de ce nouveau tournoi. (photo AFP)

Voilà presque un an qu’un projet de tournoi ATP sur gazon au Luxembourg est dans l’air, mais aujourd’hui, ses promoteurs n’ont toujours pas trouvé de terrain. Et le temps presse…

L’idée est séduisante sur le papier. Pourtant, après une première annonce dans la presse au printemps, Yvon Gérard, patron du Moselle Open et porteur de ce nouveau projet, peine à trouver de l’écho au Luxembourg.

Quand on lui a parlé pour la première fois d’un projet de tournoi ATP sur gazon au Luxembourg, Gilles Muller était entre Estoril et Rome. On était début mai. L’information avait été révélée par nos confrères du Républicain lorrain , et celui qui était alors proche de la mi-saison n’était encore au courant de rien. Yvon Gérard, le patron du Moselle Open, qui compte porter conjointement le projet avec le patron de l’Open 13 de Marseille, Jean-François Caujolle, affirmait pourtant déjà vouloir faire du n°  1 luxembourgeois (n°  38 mondial) l’ambassadeur de ce nouveau tournoi. Un autre nom sortait dans la presse, celui de l’éventuel directeur  : Olivier Mutis, entraîneur à la Fédération luxembourgeoise de tennis (FLT).

«Bien sûr que je serais très content de pouvoir participer à un tournoi ATP au Luxembourg, nous répondait Muller par courriel. En ce moment, j’ai du mal à m’imaginer où ils pourront l’organiser .» Le meilleur joueur de tennis du pays ne croyait pas si bien dire. Sept mois plus tard, Gérard et Caujolle ne savent toujours pas où et si ce tournoi espéré dans un premier temps l’année prochaine avant de l’envisager en 2017, qui se déroulerait lors de la semaine qui précède Wimbledon, pourra bien avoir lieu.

CINQ TERRAINS SUR GAZON, «C’EST FACILE» À CONSTRUIRE

Retour en mai. Claude Lamberty, président d’une FLT qui ne peut être que spectatrice de l’avancée de ce projet privé, trouve «l’idée très sympa», mais attend quand même d’en «connaître les détails» de la part de Gérard, notaire à Hettange-Grande, qu’il ne connaît pas personnellement. « Cela va être compliqué. Les plus gros sponsors sont déjà investis dans le BGL Open (le tournoi féminin organisé à Kockelscheuer en octobre) . Mais si financièrement c’est faisable, ce serait très positif pour le pays», termine Lamberty.

Gérard, qui ne s’est pas encore exprimé dans la presse luxembourgeoise, sort du bois. Son enthousiasme est débordant. Il travaille sur ce dossier depuis le début de l’année. Le Premier ministre luxembourgeois, Xavier Bettel, l’a eu entre les mains, mais n’a pas encore réagi. Officiellement, aujourd’hui, il n’a toujours pas répondu. La proximité avec Londres, une semaine avant Wimbledon, des conditions climatiques quasiment identiques et des terrains très proches des terrains anglais sont autant d’arguments mis en avant.

Yvon Gérard, patron du Moselle Open, compte porter le projet avec le directeur de l'Open 13 de Marseille, Jean-François Caujolle. (photo RL)

Yvon Gérard, patron du Moselle Open, compte porter le projet avec le directeur de l’Open 13 de Marseille, Jean-François Caujolle. (photo RL)

Mais la grande question se pose  : sur quel site organiser ce tournoi? «On peut travailler sur des sites existants ou en créer un. C’est beaucoup plus facile à faire qu’un tournoi indoor. Il faut cinq terrains en gazon, c’est facile» , assure Gérard. Celui-ci affirme disposer d’un partenariat avec Wimbledon qui fournirait, en plus de moyens financiers, une équipe de techniciens afin d’avoir le même gazon que celui du Grand Chelem. «On pense, reprend Gérard, en créant un événement de très haute qualité, que ça peut apporter un rayonnement incroyable sur le Luxembourg. Ce serait une belle répétition avant Wimbledon.»

Le budget nécessaire estimé tournerait autour de trois millions d’euros. Gérard assure vouloir solliciter uniquement des entreprises luxembourgeoises. Pour l’instant, la concurrence est nulle. L’Open de Metz, tournoi ATP le plus proche, a lieu en fin de saison et se déroule sur dur en indoor. Et le tournoi féminin de Kockelscheuer, qui a lieu après Metz, ne boxe pas dans la même catégorie.

UN SECOND PROJET SORTI DE NULLE PART

Quand on annonce trois semaines plus tard à Gilles Muller qu’un second projet est dans l’air, il nous regarde avec des grands yeux. Il aurait pu nous répondre  : «Mais ça sort d’où, ça, encore?», que ça aurait été pareil, tant son étonnement se lisait sur son visage. Il s’est contenté d’un sourire. L’information a cette fois été révélée par nos confrères de paperjam.lu. Nous étions alors à Roland-Garros, fin mai.

Le n°1 luxembourgeois venait de sortir au 1 er tour l’Italien Paolo Lorenzi en deux actes, l’un (mal) débuté la veille au soir jusqu’à ce que le manque de lumière sur le court n°  6 ne décide de remettre la suite au lendemain après-midi. Muller sortait donc d’un match pénible, même si la victoire fut au bout, 4-6, 4-6, 4-6 (1), 7-6 (5), 6-4. Et n’avait la tête qu’à son 2 e  tour face au grand Novak Djokovic, qu’il affrontait le lendemain sur le Lenglen. «À la fin de Roland, on va m’annoncer un projet de Grand Chelem au Luxembourg!» , ironise Muller.

Ce nouveau projet indoor serait organisé en février ou mars 2016 à la Coque et serait porté par Pascal Le Goff, CEO de 4EverSports, une société luxembourgeoise spécialisée dans les projets sportifs et Stéphane Apostolou, juge-arbitre du tournoi de Monte-Carlo. Deux établissements bancaires, vraisemblablement asiatiques ou qatariens, assureraient un budget annoncé à six millions d’euros. Des rencontres avec les principaux décideurs luxembourgeois sont annoncées. Les points d’interrogation sont nombreux au pays et aujourd’hui, plus personne n’entend parler de ce projet qui n’a eu, selon certains, comme seul et unique but que de «contrer» celui de Gérard et Caujolle.

DES RENCONTRES AVEC MULLER, POLFER ET SCHNEIDER

C’est à Wimbledon que Muller rencontre Gérard pour la première fois et prend conscience que le projet se veut sérieux et crédible. Les patrons des tournois de Metz et Marseille rencontrent quelques semaines plus tard, à deux reprises, la bourgmestre de Luxembourg, Lydie Polfer, et le ministre des Sports, Romain Schneider, afin de leur présenter leur projet.

De ces réunions vont naître deux lectures différentes. Polfer n’avait pas «la somme en tête» lorsque nous l’avons sondés, mais selon elle, si le projet n’avance pas aujourd’hui, c’est moins en raison de l’absence d’un terrain que de «l’énorme effort financier qu’ils nous ont demandé, un effort que nous ne pouvons pas supporter» , explique-t-elle. «On leur a répondu qu’il fallait qu’ils trouvent des sponsors, qu’ils aillent démarcher les banques. Je pense qu’on pourrait trouver des terrains au Kirchberg, il y a de la place et ce n’est pas en zone verte. Mais ce serait une négociation à ouvrir avec le Fonds d’urbanisation du Kirchberg.»

Ce «blocage» en réaction à une subvention qu’il aurait demandée, Gérard ne l’a pas du tout ressenti au sortir de ces réunions. Il en est même ressorti satisfait de l’oreille attentive qu’on lui a prêtée. D’ailleurs, il l’affirme tout haut  : «On n’est pas venu faire l’aumône au Luxembourg. On ne veut pas d’argent, on veut un terrain.»

terrain

DES PROPOSITIONS DE TERRAIN NON RETENUES

Plusieurs options ont été proposées aux deux promoteurs du projet, mais aucune n’a réellement été convaincante. Ils ont été dirigés vers Kockelscheuer, «un lieu magnifique, identifié au sport, doté d’infrastructures sur lesquels s’appuyer», mais le terrain en question était en partie boisé, ce qui compliquait les choses. Le terrain de football du Spora, délaissé par le club local, aurait surgi dans les discussions, mais celui-ci est encore occupé, notamment par les scolaires, et l’espace y est beaucoup trop limité pour un événement de l’ampleur d’un tournoi ATP. Ils ont également été dirigés vers le Fonds d’urbanisation du Kirchberg, qui dispose de terrains en passe d’être constructibles… donc destinés à accueillir à terme des logements, pas des événements sportifs. «On en est là» , lâche Gérard, qui a fait réaliser des visuels d’installation.

«On a besoin de 1,5  hectare. On n’a pas besoin de bâtiment, on sait parfaitement faire de l’éphémère. Le but n’est pas d’acheter un terrain au prix du marché luxembourgeois, sauf s’il s’agit d’aires de pâturage, mais plutôt de trouver un terrain à louer à long terme. La seule contrainte, c’est qu’on a besoin de mettre les courts en hibernation neuf à dix mois.» De son côté, Romain Schneider, ministre des Sports, affirme  : «Les terrains proposés ne conviennent pas. Nous attendons que les promoteurs en trouvent un. Du moment qu’ils réunissent le budget nécessaire, ça fera un événement en plus dans le paysage sportif.»

L’ARGENT, PAS LE NŒUD DU PROBLÈME?

Il existe plusieurs structures de financement pour réaliser ce projet, qui passent par les droits télé, les partenariats privés, la billeterie (même si cela ne représente qu’une part faible) et les partenariats assurés par l’ATP (Rolex, Corona, Emirates, etc.). Attaché à prouver que le frein actuel n’est pas lié à d’éventuelles subventions, Gérard assure avoir «déjà eu un retour exceptionnel de la part des banques du pays, de compagnies d’assurance, de fiduciaires, etc.» .

«Pour faire tourner le Moselle Open, reprend-il, je dépense trois millions d’euros par an, et neuf millions sont injectés dans l’économie mosellane. Quand on a créé le tournoi, notre budget était de deux millions d’euros. On recevait 400  000  euros du département, 200  000  euros de la ville de Metz et zéro de la région. On a vendu les droits télé dans 139  pays. On a fait l’ouverture des deux journaux télé en France. On dispose de l’un des meilleurs tournois ATP 250 du circuit. On parle d’amener à Luxembourg un événement de dimension mondiale», argumente-t-il.

En juin dernier, Canal+ a décidé de ne plus diffuser les images du tournoi messin. Gérard, qui prétend «avoir eu quatre demandes en 15  jours» , a signé un contrat de trois ans avec Eurosport «pour des montants encore supérieurs à ceux de Canal+». «On tourne entre 400  000 et 500  000  euros de droits télé par an. Au Luxembourg, ce serait pareil.»

ET MAINTENANT?

Dans les coulisses, il se murmure que ce tournoi sur gazon ne verra jamais le jour. «Je ne dis pas que le projet n’existe plus», prétend Polfer. Pourtant, la plupart des conversations tournant autour du sujet s’achèvent souvent sur ce même sentiment  : il n’y aurait pas de volonté politique au pays pour promouvoir ce projet, sans doute l’un des plus ambitieux que le Luxembourg ait jamais connu. Pourquoi? Poser la question, c’est assister à un jeu de dupes. Il y a aussi des silences. L’absence de réponse de Bettel, par exemple. Des informations qui ne passent pas.

Patrick Gillen, président du fonds du Kirchberg, aurait dû être briefé par la ville avant la visite des promoteurs. Quand ceux-ci sont allés le rencontrer mi-novembre, Gillen, qui est également directeur du contrôle financier au ministère des Finances, n’était au courant de rien. Les porteurs du projet lui auraient demandé ensuite de transmettre leur requête au ministère de l’Aménagement du territoire. Aujourd’hui, ils sont toujours dans l’attente d’une réponse. «J’étais très optimiste au début. Je le suis un peu moins aujourd’hui», a lâché Muller il y a trois semaines, à l’heure de faire le bilan de sa saison. «Ça va être dur pour 2017, mais je trouve toujours que ce serait une excellente chose d’avoir un tournoi sur gazon au Luxembourg», affirmait Lamberty, à Kockelscheuer, en octobre.

Sur les six candidatures, l’ATP n’a retenu qu’un concurrent au Luxembourg  : Antalya, qui jouit d’un site fabuleux, en bord de mer, proche de son parcours de golf. L’ATP a laissé à Gérard et Caujolle jusqu’à la fin de l’année pour ficeler le projet (une mouture d’une centaine de pages a déjà été transmise fin octobre), même si la deadline, pour être prêt pour 2017 serait avril 2016.

Raphaël Ferber