Petz Lahure, le président de sportspress.lu, l’association des journalistes sportifs, évoque la crise sanitaire et ses innombrables répercussions. «Du jamais vu», soupire-t-il, soucieux des dégâts causés par l’épidémie.
«Alors, vous aussi, vous êtes en télétravail?» Petz Lahure aura 75 ans le 7 octobre. Journaliste depuis le 15 mars 1965 et son entrée au Tageblatt, quotidien pour lequel il écrit toujours, de préférence pour le football et le cyclisme, il préside l’association des journalistes sportifs depuis janvier 1998. «Ce qu’on vit est inouï, c’est du jamais vu», répète-t-il.
Quel regard portez-vous sur la situation actuelle?
Petz Lahure : C’est comme dans un film. Figurez-vous qu’à la fin du mois de février, je me trouvais dans le nord de l’Italie, en vacances. L’épidémie commençait. Puis j’ai pris la route du Tessin et de l’Alsace. Je suis revenu chez moi à Luxembourg. Au début de l’épidémie, je pensais que nous aurions au maximum entre 100 et 200 cas au pays. Je ne pensais jamais que nous en serions là. Avant mes vacances en Italie du Nord, j’étais en Autriche en janvier, puis début février à Budapest, au congrès de l’AIPS (NDLR : Association internationale de la presse sportive). Là, on discutait ardemment du Covid et il y avait des nations qui manquaient. Comme le président allemand qui avait renoncé à voyager à cause de cette épidémie.
Mais lorsque vous étiez en Italie alors que l’épidémie gagnait du terrain, avez-vous eu peur?
Non, je ne pensais pas qu’il pouvait se passer une chose pareille. J’étais à Lugano lorsqu’il y a eu dans cette ville le premier décès. Pour rentrer chez moi, je me suis arrêté en Alsace où les premiers cas ont été signalés et je suis donc revenu chez moi. Et peu de jours après, ça commençait ici.
Comment appréhendez-vous la situation du Luxembourg?
Nous ne sommes pas sur une île. Il ne faut pas croire qu’avec un peu plus de 600 000 habitants, on puisse être épargnés. C’est ce que j’ai gardé en tête. Mais je ne pensais pas qu’il y aurait autant de cas par ici. Lorsque j’ai vu ensuite ce qui se passait à Bergame, j’ai trouvé ça ahurissant. Je félicite les Italiens pour leur courage. Quand on les voyait chanter leur hymne national sur les balcons, c’était à pleurer, on avait le cœur brisé.
Le sport, c’est la fête. Avec un sport sans spectateurs, il n’y a plus de fête. Si le Tour a lieu sans son public, alors il n’y aura pas de fête. Ce ne sera plus le Tour…
La crise sanitaire a changé quoi dans votre vie personnelle?
Cela a commencé par une annulation d’un rendez-vous que j’avais à Milan pour une réunion de l’AIPS que nous avons reprogrammée en visioconférence. Les réunions se sont succédé sous cette forme.
Quel regard portez-vous sur les conséquences de cette crise?
Rien ne sera plus comme avant! Pour les sportifs, pour le public et pour nous, la presse. Notre profession est même en danger. Par exemple, lorsque la Bundesliga a repris avec les matches à huis clos, le nombre de journalistes a fondu. Il ne restait plus que dix journalistes et cinq photographes. Des gens perdent leur boulot. À l’avenir, il faudra voir un peu partout ce que les gouvernements autorisent ou non, mais pour moi, par exemple, du football sans spectateurs, ce n’est plus du football.
Vous restez sidéré par la situation?
Oui, mais il faut vivre avec. J’ai respecté toutes les consignes du gouvernement. Par contre, ce qui m’a fâché, c’est l’expression « personnes vulnérables ». Je ne peux plus entendre ces mots. Je ne me sens pas plus vulnérable qu’un jeune de vingt ans quand je vois ce que j’ai vu. Les personnes âgées respectent les consignes, contrairement à la plupart des jeunes, qui se croient invincibles et ne prennent pas beaucoup de mesures. Ils s’en foutent royalement. C’est ça qui m’a frappé. Cela correspond aux changements de génération. Autre exemple, alors que je passais dans une pharmacie pour chercher des masques au début de l’épidémie, on m’a conseillé de rester à la maison. « Vous êtes vieux, restez chez vous! » C’est comme si on me donnait un grand coup sur la tête. Je n’y remettrai plus jamais les pieds dans cette pharmacie!
Vous disiez que plus rien ne sera comme avant. Vous pouvez préciser?
Il reste dans la tête de chacun qu’on peut attraper le virus. Si tu fais un test aujourd’hui, tu peux être positif demain. Cette pandémie ne sera enrayée qu’au moment où on trouvera un vaccin. Jusque-là, on restera dans une forme de hantise. Dans un match de foot, les joueurs auront-ils le même engagement? En cyclisme, comment gérer les courses et les pelotons aujourd’hui? C’est la même chose pour les sports de contact. Même en tennis, des joueurs auront peur de prendre une balle en main. Lorsque tu commences à réfléchir, tu trouves toujours quelque chose. Et puis personne ne sait aujourd’hui s’il n’y aura pas de Covid-20 ou 21. On n’est pas Nostradamus. Et lorsque tu écoutes 20 virologues, il y a 800 théories et autant d’avis!
De quoi êtes-vous personnellement le plus triste? Que la saison de foot se soit arrêtée brutalement ou que le Tour de France n’ait pas lieu en juillet?
Vous parlez du Tour de France. En tant que journaliste, on pouvait le vivre avec le cœur et être au cœur de l’évènement. Aujourd’hui, ce n’est plus possible d’imaginer la même joie. Le sport, c’est la fête. Avec un sport sans spectateurs, il n’y a plus de fête. Si le Tour a lieu sans son public, alors il n’y aura pas de fête. Ce ne sera plus le Tour… Faire une course comme cette année Paris-Nice, oui c’est possible, c’est une course. C’est l’ambiance qui crée l’évènement sur le Tour. Pas seulement les sportifs. J’attends d’ailleurs des informations sur le prochain Tour de France (29 août-20 septembre). Pour le moment, on n’entend rien sur le sujet, on ne lit rien. C’est comme s’il y avait quelque chose qui cloche… Je me demande bien comment ils vont pouvoir gérer la situation en montagne, à moins de tout bloquer au bas des cols. Mais cela me semble improbable. On verra…
On décidera la semaine prochaine, mais s’il n’y a pas d’élections, il n’y aura pas de gala de la presse sportive. Imaginez-vous le problème d’un gala avec les impératifs d’aujourd’hui…
Concernant le football, que pensez-vous de la situation luxembourgeoise?
C’est très difficile, tu peux prendre la moins mauvaise des décisions. Je pense que c’est ce qu’a fait la FLF, mais il y aura toujours des gens qui ne sont pas satisfaits. C’est humain. La semaine prochaine, il y aura une réunion de l’UEFA concernant les matches internationaux. Ce que j’ai entendu, c’est qu’ils veulent faire jouer les équipes nationales trois fois en septembre, trois fois en octobre et trois fois en novembre. Je me demande comment ils pourront s’y prendre. Ils veulent intégrer dans ce calendrier les matches amicaux qui n’ont pas encore été joués. Le Luxembourg devait ainsi jouer contre le Monténégro et Chypre. Ce qui est drôle, c’est qu’on est dans le même groupe en Nations League. Cela paraît incongru comme situation.
Que vous disent vos confrères étrangers avec qui vous conversez?
La plupart sont dans l’expectative. Beaucoup sont en télétravail, d’autres au chômage partiel. Je ne parle pas des free-lances qui n’ont presque plus de travail. Par exemple, en Allemagne, c’est un drame. Mais beaucoup de gouvernements soutiennent leurs journalistes.
Avez-vous cédé à la tentation des rediffusions?
Peu. J’en ai regardé quelques-unes, comme des étapes des grandes années du Tour, 2008, 2009, 2010, 2011. Pour ceux qui ne les avaient pas vues, c’est bien. Pour celui qui n’a pas vu Bob Jungels remporter en 2018 Liège-Bastogne-Liège, c’est bien. Lorsqu’on a assisté à un évènement, cela fait toujours un bon souvenir de le revoir. Et j’ai regardé avec plaisir une finale perdue par le Bayern (il rit). J’espère vivement que l’actualité sportive pourra reprendre avec des spectateurs et qu’on trouvera vite un vaccin.
En tant que président de sportspress.lu, la situation a généré quels changements?
J’avais plein de choses à faire et je les ai faites. J’ai eu du temps pour travailler sur de vieux dossiers. Puis j’ai lu. Je dois d’ailleurs féliciter les journalistes de sport qui se sont donné beaucoup de peine pour trouver chaque jour des sujets intéressants non liés à l’actualité. De ce fait, le sport est resté une part entière de la vie quotidienne et n’a pas disparu des radars.
Dans ce contexte particulier, qu’en est-il des élections des meilleurs sportifs et du traditionnel gala?
On va prendre une décision la semaine prochaine, avant les grandes vacances. On est dans une situation similaire à celle d’autres pays comme la France, l’Allemagne, ou l’Autriche. (Martin) Fourcade et (Dominic) Thiem ont brillé comme les skieurs autrichiens, par exemple. Je ne sais pas si les autres nations feront ou non une élection. C’est un peu différent dans chaque pays. On décidera la semaine prochaine, mais s’il n’y a pas d’élections, il n’y aura pas de gala. Imaginez-vous le problème d’un gala avec les impératifs d’aujourd’hui… On ne pourrait pas rester à 800 personnes comme dans le passé. Le gala, c’est une fête et lorsque tu ne peux pas faire de fête, mieux vaut laisser tomber.
Entretien avec Denis Bastien