André Hoffmann est persuadé qu’il sera très compliqué de voir les JO de Tokyo se tenir cet été. Le président du COSL, qui n’a pas compris les atermoiements du CIO, pencherait quant à lui pour un report d’un an. Sans savoir si c’est réalisable.
Lors de la présentation des cadres du COSL, vous vous montriez plutôt optimiste quant à la tenue des JO à la date prévue. Deux mois plus tard, comment jugez-vous la situation?
André Hoffmann : Effectivement, elle est désormais très différente. Et en perpétuelle évolution. D’ailleurs, je crois que le CIO (NDLR : Comité international olympique) ne se comporte pas comme on l’attend de la part d’une telle instance. Ils ne sont pas clairs en souhaitant ménager la chèvre et le chou. D’un côté, ils veulent prouver aux Japonais qu’ils les soutiennent dans l’organisation des Jeux et de l’autre, ils expliquent qu’ils surveillent tout ce qui se passe et qu’ils sont conscients de la gravité de la situation.
Vous avez participé à la dernière réunion en visioconférence du CIO avec tous les Comités nationaux olympiques. Quelle a été la position du COSL?
L’ensemble des comités européens, dont le Luxembourg, ont approuvé le communiqué du CIO. Dedans, on explique qu’une taskforce de très haut niveau est déployée et qu’elle travaille en collaboration avec l’OMS (Organisation mondiale de la santé) afin de suivre de manière très précise l’évolution de la situation. On fait également référence au fait que c’est la santé qui prime ainsi que l’intérêt des athlètes. Dans ce sens, on ne peut pas refuser un tel communiqué. Mais selon moi, le problème c’est qu’il n’y a pas, dans cette publication, de date butoir claire. Beaucoup attendaient que le CIO prenne une décision par rapport à ça et ce n’est pas le cas. S’ils avaient dit qu’on prendrait une décision d’ici fin avril-début mai, ça aurait apaisé les esprits. Il faudrait qu’au moins deux mois avant le début des JO, on sache ce qu’il en est. Maintenant, je comprends qu’ils n’aient pas donné de date, car on rentrerait dans de la pure spéculation. Personne ne sait quand arrivera la fin de cette épidémie. Maintenant, il est vrai que cette incertitude a fait beaucoup de remous.
Au Luxembourg, on a demandé l’autorisation exceptionnelle de bénéficier de la Coque dans des conditions de sécurité optimales pour nos athlètes mais ça a été refusé par le gouvernement
Donc pour le moment, qu’est-ce qu’on fait?
On continue de se préparer à l’événement. Dans des conditions qui, forcément, ne sont pas équitables. En effet, il y a des athlètes qui peuvent s’entraîner, d’autres qui ne le peuvent pas. En Belgique ou en Italie, on a rassemblé les athlètes dans les centres sportifs pour qu’ils puissent continuer à s’entraîner. Au Luxembourg, on a demandé l’autorisation exceptionnelle de bénéficier de la Coque dans des conditions de sécurité optimales pour nos athlètes mais ça a été refusé par le gouvernement. Si bien que chaque athlète doit se débrouiller seul, avec ses propres moyens. De toute façon, si les JO ont lieu, les sportifs ne les aborderont pas avec leur meilleur niveau.
On voit de plus en plus de voix, un peu partout dans le monde, s’élever pour un report ou une annulation des JO, à l’instar de Petz Lahure, le président de Sportspress. Qu’en pensez-vous?
Personnellement, je ne suis pas persuadé que ce soit à la presse de prendre position. Ce n’est pas aussi simple que cela. Parfois, on ignore la complexité d’une telle organisation. Il faut tout de même savoir que les villes organisatrices sont connues 7 ans avant le début de la compétition. Elles se préparent pendant énormément de temps et ce n’est pas évident de balayer aussi facilement tout le travail effectué, tout ce qui a été mis en place. Pour les Japonais, ce n’est pas évident. Ils sortent de Fukushima, avoir les Jeux, c’est très important pour eux. Personne ne veut leur manquer de respect, mais on voit mal comment les Jeux pourraient avoir lieu à la date prévue. Certes, en Asie, on a le sentiment que la situation est progressivement en train de s’améliorer nettement mais les JO, c’est une telle monstruosité d’organisation, c’est dur d’imaginer que la circulation mondiale reprenne d’ici à quatre mois.
Il y a un moment où il faudra prendre une décision?
C’est la situation qui dira s’il existe ou non cette possibilité. Le principe de base, c’est la santé d’abord! Et je me répète, mais je vois mal comment la santé mondiale pourrait s’améliorer d’un coup en si peu de temps.
Quels scénarios envisagez-vous?
C’est dur à dire. Les Américains semblent commencer à être touchés à leur tour, donc ils ont environ six semaines de retard sur nous. Je vois mal comment ils seraient d’accord si on leur disait que les JO se tenaient à la date prévue. Dans son communiqué, le CIO explique que, le cas échéant, chaque fédération internationale peut avoir sa propre stratégie pour qualifier ses athlètes. Par exemple, en prenant en compte le world ranking actuel. Ça permettrait, par exemple à Stefan Zachäus, notre triathlète, qui est resté en Australie, d’être qualifié pour Tokyo. Actuellement, il y a une date butoir pour l’engagement des athlètes qui est le 13 juin, au-delà ce n’est plus possible. Évidemment, si on devait arriver à cette solution, il n’y aurait pas de côté équitable. Mais ce serait un moyen de trouver une solution.
On peut décider de ne pas y aller ou bien laisser le choix à nos athlètes de le faire ou non, tout dépendra de la situation avec cette pandémie
Si c’est le cas, vous y allez? Vous envoyez vos athlètes?
Ce n’est pas aussi simple. Il faut réfléchir au niveau du COSL s’il y a un risque à exposer nos athlètes et le staff. On peut décider de ne pas y aller ou bien laisser le choix à nos athlètes de le faire ou non, tout dépendra de la situation avec cette pandémie. De toute façon, on sait que le risque nul n’existera pas. Mais si des délégations renoncent à cause du risque éventuel pour la santé, ce n’est plus les JO. Même chose pour la presse : si elle décide de ne pas couvrir l’évènement, si les compétitions ne peuvent pas atteindre les téléspectateurs chez eux ou s’il n’y a pas de spectateurs, ça ne sert à rien de les organiser. Les Jeux, c’est un mouvement mondial, si tout le monde n’est pas là, ça ne vaut pas le coup!
Selon moi, le mieux ce serait de tout décaler d’un an et de les organiser à la même période, l’an prochain. Maintenant, je ne sais pas si c’est possible
Pour vous, quelle est la meilleure solution?
Selon moi, le mieux ce serait de tout décaler d’un an et de les organiser à la même période, l’an prochain. Maintenant, je ne sais pas si c’est possible. Mais décaler d’un an ne serait pas forcément gênant, d’autant plus qu’on connaît déjà les prochains organisateurs qui ont, donc, déjà commencé à se préparer. D’ici 2024, on peut imaginer que la situation se sera apaisée, qu’on aura un vaccin et que toute cette histoire ne sera plus qu’un mauvais souvenir.
Plutôt dans un an qu’en automne donc?
Oui. Il ne faut pas oublier que les JO se déroulent habituellement pendant les vacances scolaires. S’ils sont organisés en automne, il y a beaucoup de personnes qui ne pourront pas y aller. Il ne faut pas non plus oublier qu’avec un tel ralentissement de l’économie, il sera peut-être compliqué de prendre des congés pour deux ou trois semaines pour aller suivre l’évènement au Japon. Donc pour moi, soit il faut les décaler d’un an. Soit il faut les annuler.
Les annuler?
Le CIO, comme je l’ai dit, tente de ménager la chèvre et le chou. Il ne veut surtout pas donner l’impression aux Japonais qu’il ne les soutient pas. Mais je n’imagine pas que dans ses différents scénarios, il n’y ait pas celui de l’annulation. Ce serait irresponsable de ne pas l’envisager. On a beaucoup parlé de solidarité et de soutien, mais un fiasco des JO serait même pire qu’une annulation.
Vous serez mis au courant avant?
Je pense que si le CIO prend la décision d’annuler ou de décaler les Jeux, tout cela sera soumis à un vote auprès des Comités nationaux olympiques. Je vois mal le CIO prendre une telle décision de manière unilatérale, sans nous consulter. Mais un report à l’année prochaine aurait forcément un impact car il y a beaucoup d’autres compétitions qui sont prévues. On voit déjà avec la fédération de foot que l’impact n’est pas neutre.
Quelles recommandations faites-vous aux athlètes luxembourgeois?
Nous ne leur donnons aucune recommandation, plutôt des informations. La consigne, c’est de suivre ce que l’État préconise même si on sait que les athlètes vont perdre un ou deux mois dans leur préparation et qu’ils n’aborderont pas la suite dans les meilleures dispositions, ils ne peuvent pas faire plus. On ne va pas insister pour faire l’impossible. De toute façon, le plus important, c’est que tout le monde reste en bonne santé.
Comment travaille le COSL?
Comme tout le monde, on a équipé les personnes pour qu’elle puisse faire du télétravail avec la présence de l’un ou l’autre au bureau. Ce qu’on peut dire, c’est que la pandémie bat son plein, on observe attentivement son évolution et on fait ce que l’État nous dit. On continue de préparer les Jeux comme s’ils allaient se tenir dans quatre mois. C’est peut-être du travail perdu, on verra bien. Je pense que d’ici deux mois, on devrait y voir beaucoup plus clair. Dans un sens ou dans l’autre.
Entretien avec Romain Haas