À l’âge de sept ans, Novak Djokovic disait déjà à la télévision serbe qu’il voulait devenir N.1 mondial: avec onze titres du Grand Chelem en poche, le champion a largement dépassé son rêve d’enfance et ambitionne désormais, à 28 ans, de s’imposer comme le plus grand joueur de tennis de tous les temps.
Marquer l’histoire de son sport est « un impératif », a dit Djokovic à la veille de sa sixième victoire à l’Open d’Australie, qui le fait rejoindre dans la légende l’Australien Rod Laver et le Suédois Bjorn Borg au nombre de titres majeurs. Six titres encore pour égaler le record de Roger Federer, c’est beaucoup, mais sa supériorité est telle qu’il semble capable de faire exploser tous les chiffres.
Est-ce parce qu’il sent le souffle du Serbe dans son dos que le Suisse a rejeté comme « stupide » la question d’un journaliste qui lui demandait si la domination de Djokovic allait s’accentuer dans les années à venir, étant donné la faiblesse relative de la jeune génération? En tout cas, l’ex-N.1 mondial n’a plus la réponse dans la raquette, comme l’a montré sa nette défaite en demi-finale, jeudi à Melbourne.
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Qui aurait dit, à l’aube de la saison 2011 qu’il allait survoler, que Djokovic se retrouverait dans une telle position cinq ans plus tard? Certes, le joueur, annoncé comme un futur grand depuis son arrivée sur le circuit en 2003, s’était déjà construit un joli palmarès: dix-huit titres, dont un premier en Grand Chelem à l’Open d’Australie 2008, un au Masters la même année et une place de N.2 mondial courant 2010. Mais pas de quoi le comparer avec les légendes du tennis.
Marqué par la guerre
S’il y a bien une personne qui n’en aurait pas été étonnée, c’est Jelena Gencic. Déjà à l’origine de la carrière de Monica Seles, elle a repéré le petit Djokovic, alors âgé de cinq ans et demi, dans la station de ski de Kopaonik, où le père, Srdjan, tenait une pizzeria, non loin d’un court de tennis. Djokovic taperait donc la balle jaune, comme plus tard ses deux frères cadets, moins talentueux.
Cette inspiratrice, disparue en 2013, lui enseigne les rudiments du jeu, mais pas seulement. Soucieuse d’enrichir la personnalité de son protégé, elle lui fait aussi écouter de la musique classique et lire des poèmes de Pouchkine.
La famille déménage un peu plus tard à Belgrade et quand les structures du Partizan ne suffisent plus, elle se saigne aux quatre veines pour envoyer le surdoué dans une académie de tennis en Allemagne. Il y reste trois ans avant de passer pro.
L’expérience de la guerre du Kosovo, en 1999, a profondément marqué le jeune Djokovic. Âgé de douze ans, pour se protéger des bombardements de l’OTAN sur la capitale serbe, il passe pendant deux mois et demi ses nuits dans des abris antiaériens et ses journées… sur un court de tennis, car l’école est fermée.
Très patriote, mais pas au point de résider dans son pays de naissance puisqu’il vit à Monaco, Djokovic a toujours soutenu la cause serbe mais s’est donné pour tâche de corriger la mauvaise image donnée à son pays par le régime de Milosevic.
C’est d’ailleurs une victoire en équipe nationale, la Coupe Davis 2010, sa « plus grande émotion sur un court de tennis », qui déclenche la bourrasque qui va bouleverser le paysage du tennis.
Mari et père
Devenu beaucoup plus résistant, grâce dit-il à un régime sans gluten, et plus constant dans sa concentration, Djokovic remporte en 2011 l’Open d’Australie, Wimbledon, l’US Open et le Masters. Solide les trois saisons suivantes, il vivra une autre année de rêve en 2015, seul Roland-Garros se refusant toujours à lui.
Impossible à déborder en défense avec ses jambes rapides et à sa souplesse exceptionnelle, capable d’imposer une cadence asphyxiante des deux côtés, doté d’un excellent service et du meilleur retour du circuit, Djokovic n’a peut-être pas un jeu aussi flamboyant que Federer, mais il exécute tout ce qu’il entreprend à un niveau de perfection rarement atteint.
Il est aussi un homme comblé en dehors des courts. Mariée en 2014 avec la femme qui partageait sa vie depuis dix ans, père d’un garçon de quinze mois, le champion « essaie d’avoir un regard positif sur l’existence en gardant le sourire aux lèvres ». Cultivé, polyglotte, humble dans la victoire comme dans la défaite et toujours respectueux de ses adversaires, il peut être aussi facétieux. Il s’était taillé un franc succès auprès du public en imitant notamment Maria Sharapova et Rafael Nadal. Un petit plaisir auquel il a renoncé pour ne pas les irriter. Le gendre idéal en somme.
Le Quotidien / AFP