Laurent Kopriwa, l’un des meilleurs arbitres du pays, rêve de Ligue des champions. À 31ans, il en a le droit.
Laurent Kopriwa reprend le chemin de la BGL Ligue dimanche. (Photo : Julien Garroy)
> Après une longue trêve, joueurs et entraîneurs parlent souvent de hâte et de stress au moment de la reprise. Quel sentiment domine chez vous ?
Laurent Kopriwa : La trêve a débuté le 8 décembre. Au début, j’étais content d’avoir un peu de repos. Mais au bout de deux ou trois dimanches, tu sens qu’il manque quelque chose.
> La préparation hivernale d’un arbitre, elle ressemble à quoi ?
J’ai repris l’entraînement personnel fin décembre en allant courir deux, trois fois par semaine. Quand je suis tout seul, j’alterne les séances de fond et celles de fractionné. Le 8 janvier, c’était la reprise officielle à l’INS (NDLR : Institut national des sports). On s’entraîne tous les jeudis pendant une heure. La présence est obligatoire pour les arbitres de BGL Ligue et de Promotion. J’ai aussi arbitré quelques matches amicaux, mais cela ne remplace pas un match de compétition. Il y a moins de rythme, moins d’adrénaline. Il me faut cette adrénaline, c’est ça qui fait que l’arbitrage est une passion.
> La prise de poids est-elle une hantise dans une période où votre activité physique est forcément moins importante ?
Pendant une ou deux semaines sans sport, je prends automatiquement au moins un kilo. Je n’aime pas trop ça. Je n’ai que 31 ans, mais je fais attention. De toute façon, on est trois arbitres FIFA au Luxembourg (NDLR : les deux autres sont Sven Bindels et Alain Durieux) et on n’a pas trop intérêt à faire d’écarts.
> Quels objectifs vous fixez-vous pour 2015 ?
Hormis les arbitres des cinq gros pays (NDLR : Allemagne, Italie, Espagne, Angleterre et France), qui sont directement dans la catégorie 2, on démarre tous en catégorie 3. Cela m’a par exemple permis d’arbitrer le 9 décembre un match de Youth League (NDLR : la Ligue des champions des jeunes) entre le Real Madrid et Ludogorets (6-0). L’objectif en 2015 est de monter en catégorie 2, ce qui me permettrait notamment d’arbitrer des matches d’Europa League. Je sais que je ne suis pas passé loin de passer en catégorie 2 l’an passé… Chez les arbitres, ça marche un peu comme pour un championnat classique, il y a des montées et des descentes. C’est un petit handicap d’être luxembourgeois, car l’UEFA a tendance à faire monter plus facilement des Belges ou des Hollandais, qui arbitrent des matches plus importants dans leur pays. C’est un désavantage, mais ça ne me décourage pas du tout. Un arbitre maltais (NDLR : Clayton Pisani) vient de passer en catégorie 1. Et même au Luxembourg, on a l’exemple d’Alain Hamer qui nous rappelle que rien n’est impossible.
> Justement, quels rapports entretenez-vous avec Alain Hamer ?
Il a eu une carrière incroyable et nous aide beaucoup depuis trois ans. On apprend énormément à ses côtés.
> Au fait, pourquoi êtes-vous devenu arbitre ?
Jusqu’à 17 ans, j’ai joué au foot à Walferdange. Je n’étais pas le plus grand talent du pays. Un copain m’a dit d’essayer. Au début, je n’étais pas trop chaud, puis je me suis pris au jeu. J’étais étudiant, ça me faisait de l’argent de poche. Tout le monde me disait que je me débrouillais pas mal, alors j’ai continué. Il y a un manque d’arbitres au Luxembourg, si bien qu’on peut vite monter dans la hiérarchie. Il suffit d’avoir un peu de physique et une bonne connaissance des règles du jeu pour se lancer.
> Votre objectif ultime dans l’arbitrage, c’est quoi ?
La musique de la Ligue des champions, elle fait rêver n’importe quel acteur du foot. Ce n’est pas avec mon talent de joueur que j’aurais pu viser cette compétition. Mais comme arbitre, pourquoi pas ! J’aime me dire que je suis comptable dans une fiduciaire et qu’à côté de cela, même si j’ai 31 ans, j’ai encore le droit de rêver raisonnablement à la Ligue des champions.
> Dans quels domaines estimez-vous que vous devez progresser ?
Dans le développement de la personnalité et la régularité de mes performances. Pour le premier point, c’est forcément dû à mon âge.
> Ces dernières années, on constate chez certains arbitres un côté théâtral, par exemple pour signaler à un joueur qu’il s’agit de sa dernière faute avant le carton jaune. Est-ce une consigne de l’UEFA ?
Certains arbitres veulent être vus. Moi, je sais que j’ai fait un bon match quand personne n’a remarqué ma présence. Le top, c’est quand un spectateur me dit à la fin d’un match : « Ah, je n’avais même pas vu que c’était toi qui arbitrais! » Parfois, il y a des règles que personne ne comprend. Aucun arbitre n’aime mettre un carton jaune à un joueur qui enlève son maillot pour fêter un but! Mais c’est la règle et il faut se dire qu’il y a un superviseur qui nous met une mauvaise note si on ne sort pas le carton à ce moment-là. Alors ce carton, même si le joueur en a déjà un, je continuerai de le sortir tant que la règle me demandera de le faire. J’entends parfois aussi des gens dire que l’arbitrage, c’était mieux il y a 20 ou 30 ans, que les arbitres sont devenus des marionnettes… Le règlement a changé. Avant, on avait la possibilité de parler. Aujourd’hui, s’il y a telle faute, il faut sortir le carton, point. Je trouve que c’est dommage, car j’aime bien parler aux joueurs. Même si avec certains, on ne peut pas parler…
> Malgré votre âge, vous êtes l’un des arbitres les plus appréciés et respectés au Luxembourg. Le ressentez-vous ?
J’arbitre depuis 2010 en BGL Ligue. Mon premier match, c’était un Etzella-Grevenmacher, j’avais 27 ans. J’ai sorti deux cartons rouges et sifflé un penalty. Disons que ça m’a mis dans le bain. En cinq ans, j’ai bien travaillé, les gens me connaissent et les joueurs me respectent. Parfois, il faut prendre des décisions impopulaires, comme siffler un penalty à la dernière minute, mais il faut le faire.
> Y a-t-il des règles que vous aimeriez voir évoluer pour faciliter la vie des arbitres ?
Mettre un carton rouge au dernier défenseur ET siffler penalty, c’est un peu dur, surtout quand ça arrive en début de match.
> Et la vidéo ?
Je suis clairement contre. Le foot doit rester du foot. Si un match censé durer 90 minutes s’étale sur quatre heures, ça va ressembler à du football américain et ce ne sera donc plus vraiment le même sport. La technologie sur la ligne de but, je suis pour, mais ça doit s’arrêter là. Le football vit des décisions de l’arbitre et doit rester humain. Il vit des erreurs humaines. Même si évidemment, il faut toujours avoir l’objectif de les minimiser.
> Comment réagissez-vous en ouvrant le journal le lundi matin et en voyant des entraîneurs, des joueurs ou des présidents se payer le corps arbitral ?
Je suis toujours un peu déçu, mais il faut vivre avec. C’est plus facile de dire que la faute est de l’arbitre que de reconnaître que son équipe a été mauvaise. Attention, parfois, les critiques sont justifiées. Il faut rester ouvert et écouter les remarques. Mais pour le coup, la plupart du temps, c’est gratuit.
> Et les insultes qui viennent des tribunes ?
Cela ne m’atteint pas. Ma copine ne vient plus me voir à cause de ça, mais moi, je suis blindé. Ça rentre dans une oreille et sort par l’autre. Au Luxembourg, ça va, c’est encore raisonnable. Je préfère que 10 000 personnes me sifflent que d’entendre 20 mecs m’insulter et savoir qui ils sont, voir leur tête pendant tout le match… Les insultes au bord du terrain, ça commence avec les parents dans les catégories jeunes. Je trouve ça nul et irresponsable, mais ça ne m’a jamais intimidé. C’est moi et personne d’autre qui prends les décisions sur le terrain.
De notre journaliste Matthieu Pécot