Lancé en D1 belge par le Standard à 18 ans, recruté par le Milan AC à 19, Alexandro Cavagnera a connu cinq années de galère avant de relancer cet été à Wiltz une carrière qui s’annonçait très prometteuse.
Si l’on se fie au site spécialisé Transfermarkt, Alexandro Cavagnera a fait ses premiers pas dans le football grand-ducal le 3 août dernier, date de sa signature pour un an au FC Wiltz. Mais sa véritable entrée dans les têtes des suiveurs de la BGL Ligue, c’est plus probablement le 17 septembre qu’il l’a effectuée en inscrivant un but – son deuxième dans l’élite – depuis sa propre moitié de terrain, qui a mis le club nordiste sur la voie d’un succès de prestige contre Pétange, 4e du dernier exercice.
Le prestige : voilà bien une notion familière au milieu de terrain, passé entre les étés 2018 et 2019 par le grand Milan AC, troisième club le plus titré du foot italien (28 trophées nationaux) derrière la Juventus Turin et l’Inter Milan, et deuxième club ayant le plus remporté la Ligue des champions (7 fois) derrière l’intouchable Real Madrid (14). D’autant plus dingue que le belge a grandi dans une famille de supporters du club rossonero et que «la toute première vareuse (qu’il a) reçue, à six ans, c’était celle du Milan».
Comme tout Liégeois qui se respecte, Cavagnera a, parallèlement à ses amours milanaises, «toujours été supporter du Standard». Mieux : il en a aussi porté le maillot, durant son enfance (2003-2009), à l’adolescence (2013-2015) et même à l’âge adulte (2016-2018), trois passages entrecoupés de séquences dans les autres clubs phares de la région et marqué, pour le troisième, par une entrée en jeu en Jupiler Pro League à 18 ans, le 19 mai 2017 contre le Lierse, et des bancs réguliers en équipe première qui lui valent notamment d’être considéré comme vainqueur – sans jouer – de la Coupe de Belgique en 2018, la dernière remportée par les Rouches.
La voie du milieu semblait alors toute tracée, un premier contrat pro était même sur la table, mais c’était compter sans l’intervention d’un certain Silvano Martina. Agent du mythique portier Gianluigi Buffon, sacré champion du monde en 2006 avec l’Italie, l’impresario débarque un jour de 2018 dans la Cité Ardente pour y «scouter»… Lillo Guarneri, le petit frère de Cavagnera, immense espoir belge au poste de gardien de but, et potentiellement le convaincre de rejoindre le Milan. Invité, par simple courtoisie, à un match de la réserve du Standard, Martina y assiste à ce qu’Alexandro qualifie de «meilleur match de toute ma jeunesse. Je mets deux buts, un assist, il regarde mes parents et dit : « Lui, je le veux pour les U23″». Le vent vient de tourner.
Je mets deux buts, un assist, il regarde mes parents et dit : « Lui, je le veux pour les U23 » de Milan
Destinés à évoluer en Serie C (la 3e division italienne), de la même façon que les plus gros clubs belges (dont le Standard) ont aujourd’hui des équipes espoirs en D2, les U23 du Milan ne sont en fait alors qu’un projet, et celui-ci ne verra jamais le jour. Alors que Cavagnera, qui a refusé «ni une ni deux» l’offre de contrat du Standard et déménagé en Italie avec toute sa famille (dont Lillo «qui s’est entraîné avec l’équipe première et Donnarumma», l’actuel gardien de l’Italie et du Paris SG), se familiarise avec l’AC Milan et son invraisemblable centre d’entraînement, Milanello, l’un des plus pointus d’Europe, ses entraînements devant 1 500 spectateurs et peaufine sa préparation avec une équipe U23 renforcée par plusieurs mondialistes (les Argentins Gonzalo Higuain et Lucas Biglia ou le Colombien Carlos Bacca) revenus trop tard de congés pour prendre part à la tournée américaine annuelle, le club rossonero fait, lui, la connaissance du fair-play financier.
«La direction qui nous a fait signer se fait mettre dehors», la nouvelle équipe dirigeante, soucieuse de sauver quelques deniers, renonce à lancer l’équipe U23 et, à une semaine de la fin du mercato estival, 23 joueurs doivent trouver une porte de sortie sous peine de vivre une saison blanche. Cavagnera s’en voit proposer deux, plutôt bonnes en l’occurrence, l’une de Palerme (Serie B), l’autre du FC Lugano, pensionnaire de D1 suisse alors habitué des compétitions européennes. Projet sportif et proximité géographique avec Varèse (où se trouvent Milanello et sa famille) obligent, il opte pour la seconde et réalise une saison pleine avec… la réserve de Lugano.
À son retour en Lombardie en 2019, le milieu est encore pour un an plus une saison supplémentaire en option avec le Milan, mais il décide, «sous l’influence d’un agent» qui lui fait miroiter un avenir immédiat en D1 belge, une «meilleure vitrine que la Serie C», de le rompre. Une «grave erreur, regrette-t-il après coup. J’étais jeune et naïf. Il n’a pas tenu ses promesses et je suis resté un an sans jouer. J’ai alors compris qu’au haut niveau, le talent et le travail ne suffisaient pas, il fallait aussi être avec les bonnes personnes.» «Dégoûté» par ce constat, «au plus bas» moralement, Cavagnera envisage d’arrêter le foot, à même pas 21 ans, mais tente finalement de se relancer à l’été 2020 à Visé, en 3e division belge.
Mais ce qui devait être «un tremplin» vire très vite au bourbier. La première saison est annulée, la faute à la pandémie de Covid-19. La deuxième, pour Cavagnera, débute bien mais s’achève après deux gros mois de compétition et 11 matches toutes compétitions confondues, la faute cette fois à une pubalgie qui l’oblige.
La troisième, le milieu la résume ainsi : «six premiers mois difficiles, puis quatre derniers mois à mon niveau». Elle se termine sur un bilan de 13 matches et 2 buts… et eau de boudin avec son club formateur, en proie à de grosses difficultés pécuniaires et bientôt aux mains d’investisseurs jamaïcains venus avec leurs propres poulains. «On n’a plus été payés, tout le monde est parti», déplore Cavagnera, qui propose alors ses services à Robert Jansen, le directeur sportif du FC Wiltz. «Trois heures plus tard, je signais.»
Trois mois plus tard, début novembre, il prolongeait déjà son contrat, jusqu’en juin 2025. Le signe, même s’il ne s’estime encore qu’à «75 %» de ses possibilités, que «tout se passe bien» pour lui «dans un club sain, familial» où il a «la confiance de tout le monde».
Et recouvré la sienne, en même temps que son appétit. «L’objectif, lance le n° 38 wiltzois, c’est de rebondir. J’ai encore des ambitions. Après tout, je n’ai que 25 ans.» Mais déjà l’expérience d’un briscard, de celles qui peuvent vous faire remonter très haut après avoir touché le fond.
En bref
Né à Liège le 1er décembre 1998, Alexandro Cavagnera a été successivement formé au Standard de Liège, au RFC Liège, à l’USL Visé et au RFC Seraing avant d’effectuer ses débuts en D1 belge avec le Standard en 2017.
Après sa signature en 2018 au Milan AC et son prêt à Lugano (Suisse), ce milieu de terrain élégant a connu une traversée du désert de plus de trois ans avant d’enfin se relancer à Visé (D3 belge) puis, depuis cet été, de «retrouver le plaisir» à Wiltz, avec qui il compte 14 apparitions (dont 12 comme titulaire) en autant de journées de BGL Ligue, pour deux buts et deux passes décisives.