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Le portrait du jeudi – Jacques van der Schilden : à l’eau de roses


Natation — Voilà des années que, chaque week-end, son imposante silhouette arpente les bassins. À partir de demain, Jacques van der Schilden sera sur le pont pour son 17e Euro Meet.

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Plus à l’aise dans l’ombre que sous le feu des projecteurs, Jacques van der Schilden sera une nouvelle fois au four et au moulin à l’occasion de la 17e édition de l’Euro Meet où il sera actif pour la… 17e fois. (Photo : Julien Garroy)

Jacques van der Schilden et l’eau. Une relation qui a marqué sa vie à tout jamais. Avant même sa naissance. En effet, les parents du futur Jacques ont la douleur de perdre leur fils de 4 ans, Jacob. Mort noyé. Si bien que quand il naît, Jacques van der Schilden ne s’appellera pas seulement Jacob mais également Sjaak : « ma mère ne voulait pas que je m’appelle juste Jacob », commente ce gaillard massif de 1,94 m, né en 1949 du côté d’Aalsmeer. À deux pas de l’aéroport Schiphol d’Amsterdam, aux Pays-Bas.

Passionné de pêche, le petit Jacob ne peut pas s’y adonner comme il le souhaite. Forcément traumatisée par le drame vécu quelques années auparavant, sa mère, qui tricote à côté de lui quand il taquine le goujon, lui intime l’ordre d’apprendre à nager. Histoire d’éviter de connaître le même sort funeste que son frère. Et à Aalsmeer, les solutions ne sont pas nombreuses pour apprendre à nager : « il n’y avait qu’un seul bassin extérieur, ouvert de mai à septembre. Au mois de mai, l’eau devait être à 16 degrés », se remémore-t-il.

Ce bassin va bouleverser sa vie. C’est en effet là qu’à l’âge de 14 ans, il va faire la connaissance de Joke, 12 ans. Les deux ados ne se quitteront plus jamais, puisqu’ils fêteront cette année leurs noces d’émeraude, soit 40 ans de mariage. De cette union naîtront trois enfants, Jarno (37 ans), Édith (34) et Annick (31). Le bassin d’Aalsmeer, qui accueille également les compétitions locales de waterpolo et de natation, auxquelles participe Jacques, est visiblement propice aux rapprochements : « On a trois amis qui ont trouvé leur compagnon dans ce bassin », rigole-t-il.

Si la Hollande est connue pour être le pays du fromage, Aalsmeer est célèbre pour ses fleurs. La petite commune de Hollande-Septentrionale abrite tout simplement le plus grand marché aux fleurs d’Europe. Et comme de nombreux habitants, le père de Sjaak est dans le business des fleurs. « Surtout des roses. »

Logiquement, le fiston, qui perdra son père à l’âge de 14 ans, lui emboîtera le pas et suivra les cours d’un lycée horticole pour apprendre le métier… et l’anglais : « On ne parlait qu’anglais. » En effet, 80% de la production à Aalsmeer part aux quatre coins du monde.

> « J’ai vécu 20 ans là-bas et 45 au Luxembourg »

Et quand son grand frère, lui aussi dans le milieu, lui demande de le rejoindre au Luxembourg pour remplacer un chauffeur qui vient de partir, Jacques n’hésite pas un seul instant : « C’était le 28 février 1970. » Jacques avait 20 ans. Auparavant, il aura fait 6 mois de service militaire : « Normalement c’est 15, mais j’ai réussi à me faire réformer », confie-t-il. Et il aura passé 18 mois à faire les allers-retours entre les Pays-Bas et l’Allemagne pour y livrer des fleurs : « Trois fois par semaine, je me rendais à Hanovre, Erfurt ou encore Bielefeld. »

Mais c’est donc au Grand-Duché qu’il va faire sa vie : « je vais deux fois par an aux Pays-Bas, mais je me sens luxembourgeois. J’ai vécu 20 ans là-bas et 45 ans ici, d’abord à Howald puis à Bereldange », précise-t-il encore. Quand la maison mère fait faillite aux Pays-Bas, en 1991, Jacques et son frère rachètent l’entreprise Maanen & Mantel. Il y restera jusqu’en 2008, après le décès de son frère.

S’il se sent luxembourgeois, il ne le deviendra jamais : « Ma femme l’a fait pour qu’Annick et Édith puissent devenir luxembourgeoises. En ce qui me concerne, j’avais entendu dire qu’on risquait de perdre sa retraite aux Pays-Bas si on changeait de nationalité. Je ne voulais pas prendre de risque. »

Si Joke est devenue luxembourgeoise, c’est parce que leur fille Édith a tapé dans l’œil des dirigeants de la natation grand-ducale. La petite fille a d’abord commencé à apprendre à nager aux côtés de son père. « Tous les dimanches matins, elle venait avec moi. Elle devait avoir 4 ans », se souvient-il. La petite fille est douée et ses parents veulent qu’elle suive des cours de perfectionnement. Mais comme il n’y a plus de place disponible à Luxembourg, c’est à Ettelbruck que la future reine du dos luxembourgeois va se perfectionner : « J’avais un ami dont la fille allait également à Ettelbruck. »

Au bout de deux ans, retour à Luxembourg pour Édith, qui rejoint Luxembourg Natation, l’un des clubs de la ville. La jeune fille vole littéralement sur l’eau et elle bat régulièrement des records luxembourgeois. Problème : elle n’est pas luxembourgeoise. « Édith le vivait très mal. Elle ne comprenait pas pourquoi ses temps ne comptaient pas. Du coup, on a fait en sorte qu’elle devienne luxembourgeoise. »

Et ce qui met habituellement des années, comme ce fut le cas pour Monique Olivier, a pris à peine quelques semaines : « C’est un petit village, tout le monde se connaît. J’ai parlé au bourgmestre et à un policier et tout était réglé en quatre ou cinq mois. » Une naturalisation express qui aura permis à Édith van der Schilden de faire connaître son nom de famille dans tout le Grand-Duché : « Quand on venait m’acheter des fleurs, on me disait : Ah, vous êtes le père d’Édith ? Forcément, j’étais très fier. »

Si les parents d’Édith ont toujours soutenu leur fille, ils ne l’ont, en revanche, jamais poussée. Joke a passé ses journées à emmener ses deux filles de l’école à la natation, alors que Jarno préférait quant à lui le tennis de table, sport qu’il pratique d’ailleurs toujours, du côté de Cessange. Pour revenir à Édith, la jeune championne ne voulait pas voir ses parents sur les gradins : « elle nous l’avait carrément interdit », constate Jacques.

> « Jacques ? Il n’a qu’un défaut : il ne sait pas dire non ! »

Jacques a malgré tout pu assister à certaines courses de sa fille… en étant au bord du bassin et pas en tribunes. En effet, quand Edith rejoint Luxembourg Natation, le président du club, quelque peu désespéré, tente de convaincre les parents de devenir officiels, une denrée plus que rare. Jacques se laisse tenter et s’en va suivre une formation officielle, sanctionnée par un diplôme du ministère des Sports.

On est en 1996 et Jacques décroche son diplôme de juge inférieur. Le premier d’une longue série. Car il ne s’arrête pas en si bon chemin. Et quand Klaus-Jurgen Ohk, à l’époque entraîneur national, décide de mettre en place un cours pour devenir juge-arbitre, il est le seul, avec Achille Sinner, qui est cette année starter à l’Euro Meet et qui est également starter agréé auprès de la fédération internationale de natation, à la suivre. Avec succès.

Désormais juge-arbitre, Jacques van der Schilden fait partie d’une classe à part. En effet, il n’y a, à l’heure actuelle, que cinq juges-arbitres sur l’ensemble du territoire.

Et quand l’Euro Meet est créé, il fait logiquement partie des officiels retenus pour la compétition : « Pendant huit ou neuf ans, j’étais juge, chronométreur ou juge de virage. » Mais par la suite, il va devenir Monsieur Logistique, s’occupant de tout ce qui touche à l’organisation de la manifestation : « Jacques est quelqu’un qui est à fond tout le temps. C’est l’homme de l’organisation », explique Marco Stacchiotti, le président de la FLNS. « Jacques ? C’est un monument, enchérit Achille Sinner.

À l’Euro Meet, il est toujours le premier arrivé et le dernier à avoir fini. Chaque fois, il est le dernier à venir au buffet d’après-compétition. Car il a un gros problème : il ne sait pas dire non ! » S’il est un peu partout dans le bassin au moment de l’Euro Meet, lors de la première course, il se trouve immanquablement au bord du bassin : « Je veux toujours voir si tout fonctionne. Pour tous, c’est le premier départ qui compte. Si ça se passe bien, tout roulera. »

Derrière l’imposante stature de cet amoureux des rottweilers — il en a eu cinq, dont le premier en cadeau de mariage de la part de sa femme — se cache en fait un être délicieux, unanimement apprécié et respecté dans le milieu de la natation luxembourgeoise : « on va lui préparer une belle fête lors du 30e anniversaire du CIVE. Jacques le mérite », conclut Marco Stacchiotti.

De notre journaliste Romain Haas