Manou Goergen, directeur sportif du F91, sent bien à quel point la question de la libération des joueurs vers le monde pro prend une tournure stratégique en ce moment, en DN. Et ne veut pas que l’«affaire» Bettaieb plombe son club.
La Division nationale vit une époque curieuse, féroce et dans laquelle la communication va commencer à prendre une part de plus en plus importante. Cet hiver, avec la masse énorme de joueurs partis vers l’étranger sans avis de sommation (Muratovic en D2 roumaine, Pimentel et Ikene en D2 danoise, Klica en D2 grecque…), le football luxembourgeois a trouvé une nouvelle raison de râler après les statuts de la fédération.
Car remplacer des joueurs première licence de cette qualité, quand la concurrence est aussi féroce pour les attirer, et alors qu’on n’a le droit qu’à deux recrues maximum, donne vite mal à la tête. L’«affaire» Bettaieb est arrivée dans ce contexte. Elle en était déjà une bien avant que l’attaquant dudelangeois dise son mal-être dans notre édition du week-end dernier, car de nombreux concurrents du F91 se sont emparés de l’histoire pour s’adresser, entre les lignes, à tous les jeunes du pays en mode : «venez chez nous, au moins, la porte est ouverte si vous avez une opportunité professionnelle à l’étranger».
Ce genre d’opportunisme est devenu non négociable. Il faut profiter à fond de la moindre brèche pour se positionner dans cette guerre aux matières premières que sont les jeunes Luxembourgeois.
Prenez l’Hostertois Alexandre Sacras, par exemple : le latéral gauche arrivant en fin de contrat au stade Jos-Becker, toutes les grosses cylindrées du pays sont en train de jouer des coudes pour se positionner. Et pouvoir dire au garçon que chez le voisin, il a moins de chances d’accéder au monde pro, c’est un argument de poids. Appelons-ça la jurisprudence Bettaieb.
C’est bien parce qu’il en est conscient que Dudelange, qui sait qu’il ne communique pas assez sur le sujet, a décroché son téléphone. «Pour expliquer la position du club», a indiqué Manou Goergen, son directeur sportif.
Pour une vraie mise au point qui n’est pas juste une question d’honneur, mais plutôt une nécessité absolue de politique sportive.
La sortie médiatique de votre attaquant, dans notre édition de samedi, reflète-t-elle une forme de réalité dérangeante ? A-t-il été bloqué alors que dans beaucoup d’autres clubs, les portes se sont ouvertes en grand ?
Manou Goergen : On peut comprendre sa déception, mais il faut aussi comprendre la position du club. On parle là d’un joueur qui est arrivé chez nous de La Louvière (NDLR : en juillet 2019) et qui n’était pas gratuit. Et le montant n’était pas négligeable.
Au dernier mercato, il est parti pour une semaine en Ukraine pour un test qu’on a autorisé. Chez un club à qui il a dit non. Puis on nous a demandé une prolongation d’une semaine dans un autre club alors qu’on était, nous, en pleine reprise. Il a encore dit non au club. Alors que nous étions d’accord pour le laisser partir.
À l’été 2021 aussi, nous lui avons ouvert la porte s’il trouvait un club et finalement, il a prolongé de trois saisons. Nous avons changé la structure de son contrat et cela lui a été bénéfique. Ceci étant dit, il revient cet hiver en disant qu’il a des offres, mais il faut aller dans le détail.
Certains clubs communiquent de manière très agressive
Allons dans le détail alors !
D’abord Utrecht : nous n’avons jamais reçu d’offre concrète. Rien. On veut bien discuter d’un départ, mais pas dans le noir. C’est ce que je dirais à tout le vestiaire : montrez-nous une offre ! Puis, il y a eu le Danemark (NDLR : Jammerbugt). Là, oui, on nous a formulé une offre concrète. On en a discuté en comité et je ne sais pas si vous savez, mais depuis quelque temps, chez nous, ce n’est plus une seule et unique personne qui décide de tout.
Il y a le staff, la direction sportive, un comité, un CA, un président… On est donc plusieurs à l’avoir étudiée et à avoir décidé que dans ces conditions, ce n’était pas possible. On a envoyé une contre-proposition et on n’a jamais eu de retour. Je pars du principe que si leur intérêt avait été avéré, ils seraient revenus vers nous, non ?
Et enfin à l’avant-dernier jour du mercato, j’ai été personnellement appelé par le directeur sportif de Virton. Je ne dirais pas que leur offre était ridicule mais en tout cas pas à la hauteur. Elle était même plus basse que celle de Jammerbugt alors qu’il me semble que dans ce club, certains décideurs (NDLR : Flavio Becca) savent très bien ce que nous avons payé il y a trois ans à La Louvière.
On ne peut quand même pas accepter de faire des pertes sur nos joueurs, si ? En plus sur l’un de nos meilleurs joueurs ! À la limite, il est plus simple de laisser partir un joueur comme Sofiane Ikene, qu’on a formé et pas payé. On n’a jamais voulu « bloquer« Adel, mais n’oublions pas que nous sommes administrateurs d’un club, qu’on doit réfléchir à ce qu’on fait !
N’avez-vous pas l’impression que beaucoup de monde en DN, en ce moment, s’appuie surtout sur le « business model« d’un club comme le Progrès ou le RFCU, qui fonctionne sur base de prêts avec option d’achat et pourcentage à la revente et que vous vous seriez évité une mauvaise publicité en faisant la même chose ?
Oui, tout à fait, je crois que les agents notamment, s’agacent quand on ne fonctionne pas comme cela se passe chez d’autres clubs. Mais il faut voir ce qu’on a investi sur Adel ! On a donné beaucoup d’argent !
Attention, je ne dis pas qu’on doit faire du profit, des bénéfices, sur le dos des joueurs. Mais faire des pertes avec nos meilleurs joueurs, cela, aucun club au monde ne l’accepterait!
Est-ce un système que le F91 conservera tant qu’il aura encore sous contrat des joueurs recrutés contre versement d’une indemnité de transferts, comme cela se faisait peut-être plus fréquemment à l’époque où Flavio Becca était sponsor du club ?
C’est ça. Ce n’est pas un mode de fonctionnement que l’on conservera. D’autant qu’aujourd’hui, nous ne faisons plus de transferts hallucinants.
Ces dernières années, 16 joueurs nous ont quittés pour le monde pro
Samedi, après son but, Adel Bettaieb a eu droit à une accolade de la part de Carlos Fangueiro. La fâcherie est-elle déjà oubliée ?
Je le redis : je comprends la déception d’Adel. On va vite se remettre autour d’une table pour discuter en vue de ce été. On n’est pas obligés de définir des conditions très précises, mais on va aussi lui redire que de toutes les personnes présentes autour de la table lors de la signature de son contrat, personne ne se souvient avoir dit qu’il aurait un bon de sortie automatique en hiver, parce qu’on est tous conscients de la difficulté de recruter quelqu’un de son profil. Mais en été, oui, il peut partir.
On vous sent extrêmement soucieux de préciser tous ces détails, de justifier la politique sportive du club.
Regardez l’arrivée de Lucas Fox cet hiver. Avec l’accord qu’on a passé avec lui, on se retrouvera dans la situation qui est celle des autres clubs vis-à-vis d’un départ éventuel. Tout, dans son contrat, est détaillé précisément.
Notre concept sportif, c’est le développement de nos jeunes joueurs et une sortie vers le monde pro par après. On voit bien que certains clubs communiquent de manière très agressive pour dire « voilà, c’est le Xième joueur qui nous quitte pour aller dans le monde pro« .
Mais nous aussi ! Cet été, on laisse partir Tim Kips chez Aue à la toute fin de la période des transferts. Et même si c’est un risque qu’on accepte de prendre, on n’en parle pas autant.
Ne faudrait-il pas ?
C’est ce qu’on est en train de faire, non ? Ces dernières années, 16 joueurs nous ont quittés pour le monde professionnel. Sinani à Norwich, Bougrine à Bakou, Lesquoy à Almere, Bernier à Seraing, Jensen à Zwickau… sans compter ceux qui sont partis à Virton et tous nos jeunes partis en centres de formation : Dardari à Mayence, Skenderovic et Monteiro à Kaiserslautern, Elshan à Nuremberg.
Sans compter les essais qu’on a validés rien que cette année : Mancini à Nuremberg, Barbalinardo à Karlsruhe, Mendes à Pescara, Ikene et Fonseca à Sassuolo… Donc non ! On ne ferme pas les portes ! Au contraire : on les ouvre ! On pourrait plus communiquer là-dessus, ce serait une stratégie. Mais on part du principe que les gens le voient aussi d’eux-mêmes, non ?
Ils voient aussi que le club va devoir beaucoup d’argent à son ancien directeur du centre de formation, Guy Hellers, et que ce serait une bonne raison de sortir les crocs quand une opportunité de transfert se fait jour.
Je ne me prononcerai pas sur le sujet : l’affaire est encore en cours. Mais vous savez, le volet financier, on le prend de toute façon en compte dans tout ce que l’on fait. C’est toujours intégré dans nos décisions.