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Le débriefing du mardi – Skieur professionnel au Luxembourg, un vrai chemin de croix


Le Luxembourg peut-il nourrir l’espoir d’avoir un jour un skieur de haut niveau, comme l’ambitionnait Stefano Speck ? Presque impossible : trop d’éléments jouent en sa défaveur.

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Réunis à Adelboden le week-end dernier, les skieurs luxembourgeois ne rêvent pas spécialement d’une carrière professionnelle. (Photos : Raphaël Ferber)

> Trop loin des montagnes

C’est l’évidence même : le Luxembourg n’est pas un pays de montagne. Pour nourrir des espoirs de passer professionnel dans le ski alpin, il n’y a pas trente-six solutions. « Il faut aller vivre dans un pays réputé pour la qualité de ses pistes et de ses coureurs », affirme Marc Bock, père de Gilles et Christophe, les deux gagnants des championnats nationaux (slalom spécial et géant) qui se sont déroulés à Adelboden, dans les Alpes suisses, le week-end dernier. « Faire des déplacements comme on est obligés d’en faire pour accompagner nos enfants ne suffit pas. Ce n’est pas vivable si on n’est pas extrêmement passionnés, en plus. »

« Pour espérer passer pro, il faut être sur des skis depuis l’âge de trois-quatre ans, estime Gilles Osch, directeur technique de la FLS. C’est ce que j’ai fait avec mes enfants. Cela se résumait à une semaine de ski à Noël, une en février et une à Pâques. Pour nous, c’est déjà pas mal. Mais ce n’est pas assez. »

> Un réservoir trop petit

C’est mathématique. « Sur mille skieurs, on peut avoir une chance de sortir un talent exceptionnel. Sur dix, les chances sont moins grandes », expose Gilles Osch en rapport au faible réservoir de skieurs au Grand-Duché. « Il n’y a pas l’émulation nécessaire. » À Adelboden, chez les hommes, ils n’étaient guère plus de cinq (sur la grosse vingtaine de skieurs de la FLS et la grosse quarantaine de la Lasel) à pouvoir prétendre gagner les deux titres nationaux. Chez les dames, les proportions sont encore beaucoup plus faibles. « À moins qu’un talent absolument exceptionnel émerge, et à moins qu’il y ait autour de lui des moyens financiers conséquents, on n’aura jamais de skieur de la trempe d’un Marcel Hirscher », tranche Gilles Osch.

> Une structure inadaptée

La fédération luxembourgeoise, c’est surtout une affaire de famille. « C’est de l’amateurisme, ce qu’on fait », rappelle Gilles Osch, même si la FLS dispose d’un matériel que plusieurs fédérations rêveraient d’avoir. C’est Gilles Osch qui encadre les entraînements en indoor, et Marc Bock qui prend la relève quand c’est nécessaire.

Les skieurs luxembourgeois disposent d’un entraîneur national, le Français Patrick Emptaz, qui est à la tête du ski-club de Voiron, à côté de Grenoble. Il les accompagne lors des stages et des courses, mais ne peut être présent au quotidien.

> Un budget très lourd

À l’époque où il ambitionnait de participer aux JO de Vancouver, Stefano Speck était surtout soutenu par son père, un peu par le COSL et un peu par la FLS pour des saisons qui se chiffraient chacune entre « 50 000 et 80 000 euros » estime-t-on à la fédération. Quoiqu’il en soit, la FLS ne peut pas se permettre de soutenir un skieur dans ses proportions-là. L’une des seules solutions, donc, pour un skieur luxembourgeois, est de puiser dans ses fonds propres, « pour un retour financier égal à zéro si l’ambition est d’aller aux JO », note Gilles Osch.

Ceci étant, si la FLS dit ne pas avoir les moyens de soutenir un coureur, ce n’est pas tant l’argent qui constitue un grand problème pour la plupart des familles de skieurs luxembourgeois que la somme gigantesque d’efforts à fournir et la prise de risque de s’engager pleinement dans un projet professionnel pour une éventuelle carrière peu attractive financièrement.

> Des critères trop hauts pour les JO

Le COSL a fixé le critère de participation aux Jeux olympiques d’hiver à 40 points FIS. Stefano Speck les avait atteints avant les JO de Vancouver en 2010 mais aujourd’hui, aucun skieur luxembourgeois n’est en mesure de faire aussi bien. Geoffrey Osch est déjà passé sous les 70 points et Catherine Elvinger sous les 80 points. « Si les critères remontaient à 60 ou 70 points FIS, il serait envisageable de voir un Luxembourgeois aux JO », estime Marc Bock. Aujourd’hui, le rêve n’est pas permis.

> Pas la motivation nécessaire

La formulation ne plaira pas à tout le monde mais c’est un fait. Si les skieurs luxembourgeois et leur famille effectuent des sacrifices considérables et s’investissent au-delà du raisonnable pour participer aux stages de préparation, aux courses et aux championnats nationaux en Suisse, cette énorme motivation ne résiste pas à la perspective peu alléchante de gagner très modestement sa vie en devenant skieur professionnel au regard des salaires pratiqués au Luxembourg. « Nos skieurs sont lucides, ils savent que les études leur offriront de bien meilleures perspectives », souligne Marc Bock. « Combien de Suisses et d’Autrichiens, qui s’entraînent tous les jours, ne réussissent pas à percer ? Beaucoup… Alors nous, il ne faut pas qu’on rêve à ça… »

« Nos skieurs sont généralement issus d’un milieu aisé, dans lequel les études prennent une place très importante », complète Gilles Osch, qui préfère tourner les choses autrement. « On ne peut pas dire qu’on est dans la facilité ou le manque de motivation vu notre implication. Mais pour nous, le sport, c’est avant tout une formidable école de la vie. On peut trouver une satisfaction personnelle en atteignant un niveau qu’on s’est soi-même fixé. Un mec comme Hirscher peut et pourra vivre de son image. Mais un skieur luxembourgeois qui parviendrait à passer pro aurait, comme seules perspectives, en fin de carrière, de devenir moniteur ou gérant d’un magasin de sport. »

De notre journaliste Raphaël Ferber