Milan Stencel, entraîneur de Bascharage, apporte son regard d’expert sur les championnats nationaux. Il évoque les champions Gilles Michely et Sarah De Nutte, mais pas seulement. Et il n’épargne personne.
Le Croate Milan Stencel était à la Coque ce week-end pour coacher Egle Sadikovic, qui a atteint les demi-finales des championnats nationaux. (Photo : AFP)
> Qu’avez-vous pensé du niveau de ces championnats nationaux ?
Milan Stencel : C’était un peu comme chaque année. Je n’ai pas remarqué de grande différence. Bon, il y a des jeunes joueurs qui se sont améliorés, je pense à Éric Glod. Il s’est entraîné plus que les autres et ça explique pourquoi on l’a beaucoup vu ce week-end. Je ne peux pas parler de tout le monde, car j’étais là pour coacher Egle (Sadikovic) et n’ai pas pu voir les autres dans les détails.
> La moyenne d’âge des quatre finalistes est de 22,5 ans. Est-ce une bonne chose pour la crédibilité d’un sport dont les deux symboles au Luxembourg sont Ni Xia Lian (51 ans) et Traian Ciociu (52 ans) ?
(Rire) Excusez-moi de rire, c’est quand j’ai entendu « Traian Ciociu ». Si on voulait l’exploiter pleinement au Luxembourg, il faudrait l’inscrire aux championnats du monde vétérans. Ça fait deux ans qu’il pourrait y participer dans la catégorie plus de 50 ans. Mais pour revenir à la question de la jeunesse, oui, c’est définitivement une bonne chose. Aujourd’hui c’est Glod, à une époque c’était Jérôme Raison. Au Luxembourg, il y a toujours des joueurs qui ont beaucoup de talent et une très bonne coordination à 15, 16 ans… Puis vient le moment de décider : est-ce que je joue au tennis de table sérieusement ou est-ce que je choisis le confort? Aujourd’hui, le tennis de table international nécessite de s’entraîner deux à trois fois par jour. Si on s’entraîne deux à trois fois par semaine, on va progresser, mais moins rapidement. Le fait que Traian soit encore compétitif à son âge est la preuve qu’ici, les jeunes n’existent pas. Enfin, pas à un niveau suffisant.
> Qu’est-ce qui sépare aujourd’hui un Éric Glod d’un Gilles Michely, qui l’a battu facilement en finale ?
Michely a un bon bras, joue sans ses jambes et n’a pas beaucoup de services. Il a une bonne technique de coup droit, une bonne accélération de l’avant-bras. Au Luxembourg, ça lui suffit pour être le meilleur. Mais il y a une certaine routine qui s’est installée, il n’a pas une grande combativité. Je pense que toutes ses capacités n’ont pas été exploitées. Et des capacités, il en a vraiment. Glod peut encore s’améliorer. En comparaison avec les autres jeunes, il n’est pas mal. Mais c’est un joueur que je découvre et c’est difficile de me faire un avis. Quand ça va bien, on ne retient que le positif. C’est intéressant de voir un joueur dans une situation de crise. Quand quelque chose se passe mal et que ça se reproduit, une, deux, cinq fois, c’est dans ces moments-là qu’on découvre le mental d’un joueur.
> Beaucoup de joueurs ont tendance à se reculer de la table et à jouer en top spin sur top spin. Il paraît que ce schéma ne vous fait pas vraiment sourire…
Quand vous jouez loin de la table, ça prouve une chose : que vous êtes mauvais dans ce qu’on appelle le jeu de table ou le petit jeu, autrement dit les retours de service et le jeu court. Tout le monde sait faire du top spin sur top spin! C’est peut-être attractif pour le spectateur mais ce n’est pas à ça qu’on voit si un joueur est vraiment bon. Au Luxembourg, si vous laissez Michely faire le premier démarrage, vous perdez. Mais avec un bon jeu court, il devient tout de suite prenable.
> Rester à la table, ce sont les consignes que vous avez données aux frères Fickinger pour qu’ils battent Gilles Michely et Mike Bast en double ?
Entre autres. Les deux Fickinger ont décidé de rester à la table, je dirais qu’ils ont fait un bon match. Mais le résultat, ça ne m’intéresse pas beaucoup. La manière, oui. (il marque une pause) De toute façon, dans le coaching, c’est difficile de changer les choses sur le plan mental. Je connais beaucoup de joueurs qui n’ont pas gagné grand-chose à cause du mental.
> C’est un domaine qui peut se travailler à l’entraînement ?
Oui, mais ça demande du temps. Par exemple, si on rate dix fois de suite un revers, il ne faut pas exploser mais rester calme. Sans le savoir, à ce moment-là, on fait des choses qui vont servir le jour du match quand on se retrouvera dans une situation équivalente.
> Sarah De Nutte est-elle le plus grand talent du pays ?
Définitivement. Elle avait peut-être un problème au niveau du mental mais ça va mieux. Il y a quelques années, j’ai proposé au père de Sarah De Nutte qu’elle aille en Chine. Je ne parle pas d’un stage de trois semaines et d’un retour immédiat en Europe, mais qu’elle y reste deux ans. Elle a décidé de ne pas y aller. Mais bon, Schwechat (NDLR : la ville autrichienne où elle s’entraîne au sein de la Schlager Academy), c’est pas mal. Sarah a encore la possibilité de progresser. Elle est encore jeune (22 ans) et a déjà gagné trois titres de championne du Luxembourg. Elle est sur une bonne dynamique.
> Peut-elle intégrer le top 100 mondial, comme elle l’ambitionne ?
Le tennis de table, c’est le top 100 mondial. Au-delà, c’est du ping-pong.
> Egle Sadikovic, que vous coachiez, est défenseuse. Pourquoi y a-t-il de moins en moins de défenseurs au haut niveau ?
Quand il est enfant, le défenseur gagne neuf matches sur dix, car les autres joueurs ne sont pas habitués à sa balle. En juniors, c’est déjà plus dur d’exister. Et puis en seniors, la balle de celui qui attaque va tellement vite que ça se complique terriblement. Un défenseur joue avant tout avec ses jambes, un attaquant avec le bras. Le défenseur se fatigue plus vite. C’est pour ça que depuis que j’entraîne Egle, je lui demande de plus attaquer. Parce que défendre, ça ne suffit pas. Ceci dit, il faut féliciter Tessy Gonderinger, car elle a très bien joué contre Egle, on voit qu’elle a déjà joué contre ce style de jeu.
De notre journaliste Matthieu Pécot