Le PSG, le XV tricolore, les Français à Roland-Garros… Y aurait-il un art de la défaite propre au sport français? Depuis 2015, la Fédération française de la lose (FFL) s’amuse à « rendre hommage à la France qui perd » sur les réseaux sociaux, pendant que des historiens et sociologues du sport se penchent sur le goût des Français pour « les vaincus ».
« Merci le PSG. Soirée inoubliable », a lancé la FFL mercredi soir sur Twitter, après une troisième élimination consécutive en 8e de finale de Ligue des champions, contre Manchester United (3-1)… À l’origine de ce compte parodique (73 000 followers) et d’une page Facebook suivie par 270 000 abonnés, une bande de six copains d’une trentaine d’années, issus d’écoles de commerce.
« On s’est rendu compte que nos parents nous parlaient toujours plus des échecs que des victoires du sport français », sourit Antoine, en évoquant Raymond Poulidor, l’éternel deuxième du Tour de France, ou le traumatisme de Séville, en demi-finale du Mondial-82, avec l’élimination de Michel Platini et ses coéquipiers contre l’Allemagne (RFA) au terme d’un scénario catastrophe.
À force de plaisanter sur les déboires du tennis tricolore ou des clubs de Ligue 1, la FFL en est presque arrivée à théoriser la défaite à la française. « Il y a celle qu’on est obligé d’appeler la ‘bonne branlée’, quand on se fait vraiment latter, comme en rugby en ce moment. Ce n’est pas précisément la plus drôle. On préfère largement le craquage mental, comme pour le PSG, où on passe de l’exploit (le match aller) à l’énorme désillusion », raconte Antoine.
«Ce qui nous plaît le plus, c’est l’excès de confiance»
« Mais ce qui nous plaît le plus, c’est l’excès de confiance. C’est quand tout le monde, les joueurs, mais aussi l’environnement ou les médias pensent qu’on va gagner. Mais non! On perd en mode sénateurs. Il y a aussi un peu de ça avec le PSG », poursuit-il, en citant parmi ses sources d’inspiration les Inconnus et leur fameuse parodie de Stade 2.
Des échanges savoureux ont parfois eu lieu entre la FFL et des sportifs, dont le recordman du monde de décathlon Kevin Mayer en août dernier, après sa piteuse élimination aux championnats d’Europe, pour avoir mordu en saut en longueur.
« Merci à la FFL de mettre en avant le décathlon et les épreuves combinées, j’espère cependant ne pas devenir membre VIP… », avait lancé le champion du monde 2017 et vice-champion olympique 2016.
D’autres ont moins goûté à l’humour de la FFL comme les joueuses de tennis Alizé Cornet ou Kristina Mladenovic qui, sur Twitter, avaient bloqué le compte de la Fédération française de la lose en pleine période de bisbilles avec Caroline Garcia, en Fed Cup.
Une «tendance régulière à fêter le vaincu»
Au-delà de ce comique de répétition, le sujet est moins anecdotique qu’il n’y paraît. Dans un article paru en 2008 (revue Hypothèses), l’historien du football Alfred Wahl analyse une « tendance régulière à fêter le vaincu » dans le sport français.
Outre « le phénomène Poulidor », Wahl insiste sur la fête offerte en 1976 aux Stéphanois, qui descendent les Champs-Élysées après leur défaite contre le Bayern Munich en finale de Coupe des clubs champions, « l’événement sans doute inégalé par ses manifestations excessives suite à une défaite ».
Quid des échecs actuels ? À la Fédération française de la lose, Antoine reprend son sérieux pour regretter chez certains clubs ou sportifs français « une forme de tabou vis-à-vis de la préparation mentale, quand les Américains ont tous des préparateurs mentaux ».
De ce point de vue, les clubs de Ligue 1 sont en effet souvent plus réticents que leurs concurrents étrangers, même si les stars internationales du PSG peuvent s’entourer de préparateurs mentaux à titre individuel.
« Quand je vois que des clubs comme Barcelone sont ‘staffés’ là-dessus, ce n’est pas un hasard », soulignait le psychologue du sport Makis Chamalidis il y a quelques mois, tout en confessant que certains coachs mentaux « ne sont pas très sérieux ».
Pour soigner les maux parisiens, Gérard Baglin, qui a exercé comme coach mental à Caen (L1), invoque « une grille de lecture psychanalytique » : « Il y a une répétition d’échecs, une compulsion de répétition » à analyser.
« Il faut reconstruire des croyances positives sur le fait que la victoire n’appartient pas forcément qu’aux autres (…) Il faut du temps, parce que ça ne se fait pas d’un coup de baguette magique, pour nettoyer ce qui s’est passé, de manière à pouvoir positiver », ajoute le préparateur mental Denis Troch, ancien joueur et entraîneur adjoint du PSG.
AFP