Son casque auriverde, reconnaissable entre mille, son génie en piste et ses victoires ont rendu leur fierté au Brésil qui célèbre mercredi, comme tous les ans, l’anniversaire de la disparition d’Ayrton Senna, l’un de ses plus grands sportifs.
La mort tragique du triple champion du monde de Formule 1, le 1er mai 1994, contre le mur du virage de Tamburello, à Imola, n’a pas plongé son seul pays dans le deuil : retransmis en direct, l’accident a marqué des millions de téléspectateurs, témoins de la disparition d’une icône charismatique.
Mais un quart de siècle plus tard, c’est bien sûr au Brésil que son souvenir demeure le plus vivace. Une enquête réalisée pour les vingt ans de sa mort, révélait que 47% des habitants de Sao Paulo, sa ville natale et la plus grande du Brésil, le considéraient comme le plus grand sportif de l’histoire du pays. Avec 23%, Pelé faisait figure de lointain dauphin…
Une popularité incomparable qui s’explique par un contexte particulier. Aux prémices du mythe Senna, « nous étions dans les années 80, avec l’hyperinflation, on venait de mettre fin à la dictature militaire… Il n’y avait pas beaucoup de raisons de se sentir fier du Brésil », rappelle Alexander Grünwald, journaliste spécialisé dans l’automobile. « Mais Senna a brandi aux yeux du monde le drapeau (national), comme un symbole qui a rendu leur fierté à tellement de Brésiliens ».
« Senna incarnait le Brésil qui fonctionne, la grande idole, le super-héros », complète Fred Sabino, éditorialiste et expert de la F1. « Il est mort sur la piste, ce qui a aussi aidé à consolider le mythe ».
Aux yeux de Grünwald, l’héritage de Senna a été de « transformer le sport ». En plus d’être un pilote exceptionnel, il s’est érigé en pionnier, en se souciant des divers aspects de son sport, comme la préparation physique et mentale, la compréhension de la voiture, des innovations technologiques et la gestion de son image.
Ce dernier paramètre a pesé dans la construction de sa légende, à une époque où Senna, « c’était les dimanches en famille », collés à la télévision pour voir les Grands Prix, rappelle Grünwald.
Tout le contraire de Pelé, qui a excellé « à une époque où les gens écoutaient le football à la radio ou le lisaient dans les journaux. Ils ne le vivaient pas avec la même intensité, la même émotion ».
« Détermination » et « engagement »
Le Pauliste a été sacré champion du monde en 1988, 1990 et 1991 avec McLaren, chez qui il brilla de 1988 à 1993, gagnant un Grand Prix sur trois (35 victoires sur 96 courses).
Mais comment évoquer Senna sans s’attarder sur la rivalité qu’il entretenait avec Alain Prost, son équipier chez McLaren en 1988 et 1989 et quadruple champion du monde (1985, 1986, 1989, 1993)?
L’opposition entre les deux hommes, marquée par plusieurs accidents, fut l’un des rares foyers de controverse dans la carrière du Brésilien.
« C’est évident que tout n’a pas été parfait (…) il y a eu des rivalités sur la piste », concède Fred Sabino. Toutefois, « ses côtés positifs ont surpassé ses aspects négatifs », nuance-t-il aussitôt.
Après des années de chamailleries publiques et un début de réconciliation après la retraite de Prost fin 1993, la confrontation trouve son épilogue à l’enterrement de Senna, quand le Français porte le cercueil de son défunt adversaire.
Au-delà de ce duel au long cours, la carrière du Brésilien a été magnifiée par sa « détermination » et son « engagement », serinent inlassablement ses proches. Des valeurs exaltées par l’Institut Ayrton-Senna, fondé fin 1994 par sa sœur Viviane pour offrir des opportunités aux enfants défavorisés, et par de nombreux livres et documentaires.
Une autre dimension
On y découvre un homme concentré sur sa carrière à un degré presque mystique. Dans plusieurs interviews, Senna évoque sa foi catholique et loue les vertus de la discipline mentale, tellement stricte qu’elle lui permettait parfois, assure-t-il, de s’élever dans une autre dimension tout en pilotant.
Et comme pour tout mythe, les vidéos de Senna en privé sont passées à la postérité, où on le voit charismatique et souriant, quasi illuminé, joyeux jusqu’à en pleurer ou raide de tension.
Côté cœur, Senna a eu deux grands amours: la vedette de télévision Xuxa et le mannequin Adriane Galisteu, compagne de ses derniers mois.
Avant Senna, Emerson Fittipaldi (champion du monde 1972 et 1974) et Nelson Piquet (1981, 1983 et 1987) avaient placé le Brésil sur la carte mondiale de la F1. Mais depuis, même si Rubens Barrichello et Felipe Massa ont remporté des courses, le Brésil cherche toujours sa nouvelle pépite, alors qu’il n’y a depuis l’an dernier plus aucun pilote brésilien en F1.
« Il y a eu quelques succès après Ayrton Senna (…) mais le manque de structuration interne du sport auto brésilien n’a pas permis » de creuser le sillon tracé par l’icône, regrette Grünwald.
AFP