Ça pourrait être un derby, mais ce n’en est pas un. Pas dans les têtes. Pourtant, un Red Boys – Esch a toujours une saveur particulière. Une saveur de poudre.
Mais à quand donc remonte cette rivalité ? Pour le savoir, rien de mieux que de demander à un «ancien» : Kresimir Perkovic. Arrivé aux Red Boys à l’été 1989, juste après le dernier titre de son histoire de la Fola, l’ancien pivot de l’ASPTT Metz estime que tout a véritablement débuté en 2001 avec la naissance du HB Esch. Après cinq titres (1990, 91, 97, 98 et 99), «Perko» a le souvenir de duels où «quand c’était tendu, ça ne sifflait jamais en notre faveur». Cette déclaration reflète un sentiment très partagé au début des années 2000 : le club fusionné était avantagé par le corps arbitral. Lors de leurs confrontations, la tension est plus que palpable. Au bord du terrain, certains dirigeants differdangeois gesticulent et s’étranglent face à ce qu’ils dénoncent souvent – à tort ou à raison – comme un véritable «scandale!». «Même si ça jouait en leur défaveur, ils avaient le mérite de dire tout haut ce que tous les autres clubs pensaient», confie un Rouge et Blanc sous couvert d’anonymat.
Cette impression, Max Kohl la comprend. Passé lui aussi par les deux clubs, il estime que si mansuétude il y a eu – ou peut encore y avoir – de la part des arbitres, c’est en raison de l’attitude des Eschois sur le terrain. «Regardez Christian (Bock), quand il fait une faute, il s’excuse et basta. Même Martin (Muller), qui était un peu chaud, s’est calmé. Ce que je veux dire, c’est qu’arbitrer, c’est loin d’être facile. Alors, si en plus, tu as en face de toi des gars qui n’arrêtent pas de te hurler dessus, tu ne vas pas forcément être moins indulgent…»
Les règles n’étaient pas les mêmes pour tout le monde. Pour certains, le « marcher », c’était après six pas
De cette indulgence, Perkovic en rit encore : «Les règles n’étaient pas les mêmes pour tout le monde. Pour certains, le « marcher », c’était après six pas…» À 56 ans, le pivot porte les couleurs du P2H Longwy. Dans une troisième équipe qui n’a rien à voir avec une maison de retraite Orpea. «Quoi, en vétéran ? Vous rigolez ou quoi ? Non, je joue en troisième équipe avec des gars de vingt ans !», fait-il mine de s’agacer, tout en précisant être ce week-end à Blainville, sur le pont, en Coupe de Meurthe-et-Moselle. Un déplacement de 150 bornes. «On ne dirait pas comme ça, mais c’est un grand département…» Plus grand qu’un Luxembourg dont une partie du charme réside justement dans cette proximité géographique en rien révélatrice de la rivalité existant entre les clubs. Elle se révèle même parfois trompeuse. Ainsi, en raison de la distance qui sépare les deux centres sportifs, cette affiche Red Boys – Esch constituerait partout ailleurs un derby. Neuf kilomètres, soit à peine deux de plus qu’entre l’Etihad Stadium et Old Trafford à Manchester. Supporter de United, Max Kohl s’y rend de temps à autre. Mais son «Théâtre des rêves» à lui, c’était le centre Henri-Schmitz. C’est là qu’il s’est bâti un palmarès long comme le bras : 3 titres de champion et 5 Coupes auxquelles s’ajoutent deux autres obtenues avec Berchem.
Chez le voisin differdangeois, qui devra attendre 2016 (17 ans !) avant de gagner à nouveau le championnat, cette jalousie gagne la classe dirigeante. Et va finir par ruisseler jusque dans le vestiaire. Max Kohl : «Je me souviens de l’époque où Mane Skercevic était l’entraîneur. Je ne sais pas ce qu’il disait aux joueurs dans le vestiaire, mais il leur mettait le feu! Quand ils entraient sur le terrain, ils étaient prêts à nous tuer! Au point que je me suis fâché avec certains d’entre eux qui sont pourtant des amis. Mais à un moment donné, certaines choses ne se font pas!» Comme, par exemple, des pratiques réservées d’ordinaire aux proctologues…
Le parfum si particulier d’un Red Boys – Esch
Sans transition aucune. Le départ de Kresimir Perkovic vers le HB Esch fut pour le moins douloureux. Au point que les dirigeants en perdirent la raison et se méprenaient dans les méandres administratifs de son transfert. Un épisode sur lequel l’intéressé ne souhaite pas revenir. En revanche, il évoque les raisons de son départ : «Roby Schintgen, président d’Esch à l’époque, voulait absolument gagner le titre. Alors, il a regardé le classement des buteurs. Le premier, c’était moi, le deuxième Claude Schmitz et le troisième Wieslaw Michalski. Qu’est-ce qu’il a fait ? Ben, il nous a pris tous les trois et la saison suivante, Esch était champion !»
À Oberkorn, Max Kohl y va un peu moins. La faute à un genou douloureux qui l’a contraint à raccrocher prématurément. Après dix ans à empiler les sacres avec Esch, il rejoignit en 2019 les Red Boys. Ce départ avait suscité quelques remous au sein du club. «C’est normal, confie l’intéressé, on ne quitte pas Esch. Je veux dire, pour quelle raison te viendrait l’idée de quitter un club avec lequel tu es sûr de gagner des titres ? Les seules possibilités sont : soit de partir à l’étranger pour évoluer à un niveau supérieur, soit parce que tu as un problème avec le comité. Bon, moi, c’était la seconde raison…»
L’arrière gauche regarde quand même les rencontres via internet. Il estime que cette équipe differdangeoise a d’indéniables qualités offensives, mais «manque encore de liant et de cohésion sur le plan défensif». Un secteur déterminant dans la quête d’un titre de champion. Un sacre auquel les Red Boys prétendaient en 2020 avant que le Covid-19 ne mette un terme au championnat à l’issue de la 1re journée du play-off titre. Esch héritait du neuvième titre de son histoire. Il en ajouta un dixième l’an dernier au terme d’une domination sans partage. En sera-t-il de même ce printemps ? «Franchement, glisse Kohl, j’aimerais bien que ce soit Differdange.» Chris Auger ne dit évidemment pas autre chose. Mais sa réflexion va au-delà du simple calcul sportif. «Voir que le titre revient, une année sur deux, au même club, ce n’est pas bon pour l’image du championnat», affirme le gardien avant de poursuivre : «Pour moi, cela veut dire qu’il n’est pas assez relevé. Son image en pâtit. Or, pour se développer, un club a besoin de sponsors. Et comment les attirer, grâce à l’image… Après, si Esch est vraiment trop fort et qu’il le mérite, c’est bien joué, mais bon, ce serait bien de les empêcher d’être encore une fois sacrés…»
Ce n’est pas ce dimanche soir que les Differdangeois y parviendront. En revanche, en cas de succès, ils pourraient prendre seuls les commandes, et ça, pour l’image, c’est bien. Pour la confiance également après leur revers à Lallange (29-27) lors de l’ouverture de la saison. Sinon, pour le vrai derby, il faudra attendre un peu. «Quand t’es eschois, confie Kohl, c’est Dudelange !» «Et quand t’es de Differdange, c’est contre Käerjeng, assure Auger. Il n’y a qu’une rue qui sépare les deux communes. D’ailleurs, je l’appelle « le derby du rond-point du Biff ».»
Cela étant, ce dimanche sur le coup de 18 h, Loris Kohl vivra un grand événement. À seulement sept mois, il humera pour la première fois le parfum si particulier d’un Red Boys – Esch.