L’actuel meilleur buteur du championnat, l’arrière gauche de Berchem dégage une force et une maturité étonnante pour son âge (21 ans). Il pourrait, dès cet été, prendre le chemin de l’Allemagne.
À l’autre bout du fil (expression pour le moins désuète depuis l’invention du téléphone portable), la voix est calme, posée, chaque mot soigneusement pesé. Jamais de retour en arrière, de contradiction ni même d’hésitation. Ariel Pietrasik s’avance, sûr de la direction donnée à sa carrière, guidée imagine-t-on par le leitmotiv d’un célèbre club de football français en proie à bien des tourments : droit au but.
Le Berchemois incarne cette devise et, avec 74 réalisations – soit un ratio de 7,4 buts par match – siège au sommet de la hiérarchie des plus fines gâchettes du pays. Cette donnée, le jeune homme de 21 ans s’empresse de la corriger : «Si on enlève les 7 m, je serais entre 5 et 6 buts par match (NDLR : 5,3).» L’arrière gauche s’est présenté à 27 reprises au point de penalty pour un total de 20 buts (76 % de réussite). Toute proportion gardée, seul le Differdangeois Damir Batinovic, quatrième buteur du championnat, fait mieux avec 26 penalties marqués sur 29 tentatives (89,66 %). Alexandre Scheubel en a fait le préposé à l’exercice qui, par le passé, revenait à Geoffroy Guillaume. «Je ne suis pas le seul à les tirer, il y a aussi Christos (Tsatso), Léi (Biel) mais aussi Geoffroy…» Certes, mais à y regarder de plus près, le Grec (4 buts sur 5 tentatives), le Luxembourgeois (3/4) et le Français (2/2) se partagent à eux trois moins d’un tiers (29 %) des tentatives. Autant dire des miettes.
S’il endosse à Crauthem l’habit du messie, Pietrasik estime qu’il pèche encore dans la multiplication des pains : «Nos adversaires se focalisent sur moi et cela libère des espaces pour mes partenaires, et je dois réaliser plus de passes décisives.» Le Polonais a le sens du partage comme en témoigne sa relation avec Yann Hoffmann, dont l’arrivée l’été dernier en provenance des Red Boys suscita quelques doutes quant à leur association. «Tout se passe très bien avec Yann, assure Pietrasik. On sait tous les deux que l’on ne pourrait pas jouer durant 60 minutes. Et puis, c’est préférable de jouer durant 15-20 minutes à fond plutôt que de rester plus longtemps sur le terrain et d’être moins efficace ou de perdre des ballons.»
Mon père a été professionnel duranrt douze ans en Pologne, il a donc une certaine expérience et ne veut pas que son fils se fasse avoir
Associé aux côtés de Ben Weyer dans l’axe d’une défense 0-6, Ariel Pietrasik est, comme le qualifie son entraîneur, «un joueur complet» et dont la marge de progression est encore suffisamment importante pour lui permettre de voir loin. Du haut de ses 2,02 m, il scrute avec espoir et obsession une Bundesliga dont il a récemment entrevu les charmes il y a deux semaines du côté de Cobourg où il est parti effectuer un essai de deux jours. Suffisant, à l’en croire, pour faire sa petite impression. «Quand un joueur débarque du Luxembourg, il n’est pas pris au sérieux. Les dirigeants m’ont tout de suite dit qu’ils ne connaissaient que deux clubs : Esch en handball et le F91 en football. Bon, je crois qu’ils ont été un peu surpris.»
D’aucuns pourraient y percevoir une forme de prétention, d’autres une certaine assurance. Et s’il s’agissait tout simplement d’une ambition assumée? Depuis 2018 et son arrivée en équipe première, Ariel Pietrasik a pris quinze kilos pour peser aujourd’hui 103 kg. Le résultat d’une prise de conscience et de ce qui relève comme on aime le rappeler de l’entraînement invisible. «J’étais trop mince alors je me suis documenté sur l’alimentation», confie celui qui en est donc venu «à calculer le nombre de calories» dans chacun de ses plats. «Je compte la quantité de protéines, de glucides, etc.», déclare-t-il tout en précisant ne pas avoir cédé à un régime alimentaire bien particulier.
Pour se doter d’un corps plus en adéquation avec le handball de haut niveau, Ariel Pietrasik s’astreint à la musculation. Et a profité du confinement pour installer un peu d’équipement dans le garage. «Je travaille, mais franchement, je n’aime pas ça. Moi, ce que je préfère, c’est être sur le terrain. C’est le jeu.» Un jeu qui, depuis le départ de Raphaël Guden, parti l’été dernier, a quelque peu varié. «Il était très fort en un contre un et ça permettait d’écarter le jeu vers les ailiers. Sans lui, on ne joue plus de la même manière, la responsabilité du tir revient aux arrières et ce n’est pas pour me déplaire», glisse malicieusement Ariel Pietrasik que le microcosme handballistique grand-ducal annonçait en partance à la fin de la saison dernière. En fin de contrat avec Berchem, le joueur avait fait l’objet de l’intérêt des Red Boys et de Käerjeng. Des discussions eurent lieu, mais les deux clubs ont dû renoncer face aux exigences «délirantes», selon les termes de membres des deux clubs, formulées par Grzegorz, le paternel. Interrogé à ce sujet, Ariel Pietrasik se met à rire et ne se dégonfle pas. «Mon père a été professionnel durant douze ans en Pologne, il a donc une certaine expérience et ne veut pas que son fils se fasse avoir», explique-t-il tout en assurant n’avoir jamais eu l’intention de quitter Berchem, mais s’être prêté à un jeu consistant à formuler des exigences suffisamment élevées pour n’être pas acceptées.
Une forme de grande répétition avant d’entamer des pourparlers avec des clubs étrangers cet été? «Depuis, je travaille avec un agent, Volker Hage (NDLR : à la tête de Team Sport Service qui a ses entrées au sein de très grands clubs européens comme le Paris SG). C’est lui qui s’occupe désormais de toutes les discussions», confie l’intéressé toujours en contact avec les dirigeants de l’actuelle lanterne rouge de Bundesliga et dont la relégation à l’étage inférieur ne fait guère de doute. Une chose est sûre, s’il quitte le Luxembourg pour l’Allemagne, ce ne sera pas pour évoluer en 3e Liga. «Non, si je pars, c’est pour la Bundesliga ou la 2e Bundesliga. Pas plus bas.» Dans ses valises, le titre de champion n’étant guère probable, il espère y glisser une deuxième Coupe de Luxembourg. Samedi soir, auteur de six réalisations, il joua un bien vilain tour à Käerjeng lors de la 1re journée du Play-off titre, en égalisant à la toute dernière seconde (29-29). De quoi permettre à Berchem de rester dans la course au titre.
Charles Michel