À quand remonte votre première rencontre avec Hassan Moustafa?
Jeannot Kaiser : En 92, à Barcelone, en marge des Jeux olympiques. Hassan Moustafa était venu me voir pour s’assurer de mon soutien afin d’intégrer la commission d’organisation de l’IHF. Celle-là même qui gère des événements tels que les Mondiaux, l’épreuve olympique… Je l’ai revu en 96 à Atlanta. Réserviste officiel B, je le croisais tous les jours lors des réunions de la commission technique. Il y avait toujours l’un ou l’autre problème à régler. En 2000, à Estoril, il est élu à la tête de l’IHF, et ce, alors que le président sortant, Erwin Lanc, après avoir un temps envisagé de se présenter à sa propre succession, a finalement retiré sa candidature. Bref, Hassan devient président sans avoir d’adversaire. Lors des Jeux de Sydney, la même année, on se retrouvait tous les jours dans le même bus, nos discussions étaient cordiales mais, je ne sais pas pourquoi, on n’a jamais vraiment sympathisé. Ce qui ne m’empêcherait pas de le saluer si je venais à le rencontrer. Entre nous, ce n’est quand même pas la guerre…
En 2009, vous êtes l’un des rares à lui avoir tenu tête en vous présentant à la présidence de l’EHF…
Avant d’évoquer cet épisode, permettez-moi de remonter quelques années en arrière. Nous sommes en 2004, quelques mois avant le Congrès, je me rends spécialement à Bâle, au siège de l’IHF, pour rencontrer Hassan Moustafa. Il souhaite s’entretenir avec moi. Lors de notre rencontre, il me suggère de présenter ma candidature en tant que trésorier, me dit qu’en tant qu’ancien directeur de banque, j’ai le profil parfait, etc. Je me rends compte surtout qu’il sait que j’envisage de succéder à Raymond Hahn au poste de secrétaire général. Hassan me le déconseille fortement. Pourquoi? Parce qu’il veut y mettre Peter Mühlematter. Et c’est à lui qu’est revenu le poste. Pour une dizaine de voix. Mais fin 2008, ce même Mühlematter se lance dans une campagne contre Moustafa…
Il y avait aussi cette rumeur d’une grosse somme d’argent déposée dans une banque en Alsace. Mais ce n’était qu’une rumeur
Est-il à l’origine de votre candidature?
Il avait vu et appris des choses qu’il ne supportait plus. Il avait notamment contacté les médias pour révéler que Hassan Moustafa avait perçu quelque 480 000 francs suisses pour des frais liés à sa fonction mais sans le moindre justificatif. La justice allemande a également enquêté sur lui (NDLR : pour «corruption» et «irrégularités dans la commercialisation de droits sportifs»), mais les poursuites n’ont rien donné. Il y avait aussi cette rumeur d’une grosse somme d’argent déposée dans une banque en Alsace. Mais ce n’était qu’une rumeur. De l’argent qui aurait été versé en 1999 par l’IHF à l’Égypte en tant que pays organisateur du Mondial. Un Mondial dont le comité d’organisation n’était autre qu’Hassan Moustafa. Mais ce n’était qu’une rumeur et on n’a jamais vraiment su le fond de cette histoire. Était-ce vrai? Enfin, en 2009 donc, Mühlematter me dit de me présenter.
Pourquoi vous?
En fait, Peter m’a dit un jour que le cheikh du Koweït était venu lui dire qu’il était temps qu’un Européen reprenne la présidence de l’IHF et qu’il était prêt à soutenir toute candidature dans ce sens.
Que vient faire le Koweït dans cette histoire?
La relation entre le cheikh du Koweït (cheikh Ahmed Al-Fahad Al-Ahmed Al-Jaber Al-Sabah), qui était également vice-président de la fédération internationale de handball mais aussi président du conseil olympique d’Asie, et Hassan Moustafa s’était refroidie à la suite du match qualificatif entre le Koweït et la Corée du Sud pour les JO de 2008. Au tout dernier moment, et alors que la rencontre devait être dirigée par deux arbitres allemands assez renommés, l’IHF désigna une paire jordanienne qui ne figurait même pas sur la liste des arbitres internationaux. Résultat, celle-ci a fait en sorte que le Koweït l’emporte. En raison des protestations des dirigeants coréens, le CIO a demandé à ce que la rencontre soit rejouée. Et, cette fois, la Corée du Sud s’est logiquement imposée. Bref, au vu de ses fonctions et de son influence, le soutien du cheikh me permettait de compter une cinquantaine de voix. Moustafa le savait et n’était pas rassuré. Au Caire, où se tenait le Congrès, j’avais rendez-vous avec les membres des pays du Commonwealth. Au moment où j’entre dans la salle, je vois Hassan Moustafa qui s’entretient avec eux. Je ressors, pensant pouvoir les rencontrer un peu plus tard. Mais non. Je ne les ai pas vus. Alors qu’ils m’avaient assuré de leur soutien, ils ont finalement voté pour Moustafa…
J’en ai eu tellement marre que j’ai pris le micro et que je l’ai lancé contre le mur!
Il est aussi parvenu à convaincre le cheikh Ahmed. Hassan Moustafa a-t-il reçu le soutien politique?
Un membre plutôt bien placé de l’IHF m’a raconté qu’Hosni Moubarak a contacté lui-même le cheikh Ahmed pour lui demander de ne pas me soutenir. Et c’est ce qu’il a fait.
Vous souvenez-vous de ce 7 juin 2009?
Oh oui! C’était le jour du Congrès de l’IHF et donc de l’élection. Avec d’autres pays, on avait prévu d’interpeller Moustafa sur bien des sujets. On comptait passer à l’attaque. Et puis, quand on a voulu poser une première question, j’ai vu Moustafa faire un signe de la tête et, soudain, le micro ne fonctionnait plus. C’est arrivé une fois, deux fois, trois fois et, bizarrement, cela se produisait lorsque c’était à mes soutiens ou à moi de parler. J’en ai eu tellement marre que j’ai pris un micro et que je l’ai lancé contre le mur! Ce jour-là, les soutiens de Moustafa faisaient tellement de bruit dans la salle que c’était impossible de se faire entendre sans micro. Résultat, il s’est fait réélire (NDLR : 115 voix contre 25).
On ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir bien négocié avec de grosses sociétés comme Sportfive…
Cette année, il pourrait se faire réélire pour un sixième mandat et on a l’impression qu’il pourrait régner sur l’IHF jusqu’à sa mort. On se trompe?
(Il rit) Il quittera ses fonctions s’il n’est plus en mesure de les assumer ou si quelqu’un ose se dresser contre lui et parvient à révéler et prouver l’une ou l’autre chose. Mais je ne vois pas qui oserait faire ça. Je dis ça car s’il n’y avait pas eu ces accusations, Sepp Blatter serait toujours président de la FIFA. Toujours est-il que parvenir à s’installer si confortablement dans un fauteuil, cela mérite quand même les félicitations. Il est bien assis…
Quel regard portez-vous sur sa politique depuis 2000?
Si je me tiens aux chiffres, il n’y a rien à dire : le budget de l’IHF est passé de 5-6 millions de francs suisses à 100 millions aujourd’hui! On ne peut pas lui reprocher de ne pas avoir bien négocié avec de grosses sociétés comme Sportfive… Il y a vingt ans, en handball, personne ne parlait de l’Argentine ou du Brésil, des pays qui ont su émerger sur le plan international. Moustafa a su faire rayonner le handball et ça, on ne peut pas le lui reprocher. Après, c’est vrai qu’il n’est pas très démocratique. Moustafa, sa voix fait loi…
Entretien avec Charles Michel