Sales-Lentz League (10ème journée). Après avoir porté les mêmes couleurs à Nancy, Ilic et Kratovic se retrouvent voisins au Luxembourg. Une proximité qu’ils tenteront de mettre entre parenthèses, ce samedi soir, lors de l’opposition entre Esch et les Red Boys.
Senjin Kratovic n’est pas à Differdange depuis très longtemps, mais sait déjà ce qui l’attend, ce samedi soir à Lallange. « Oui, il paraît que les Esch – Red Boys, c’est toujours un peu tendu. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit… » Le tout agrémenté d’une œillade vers Josip Ilic. Genre, on en a vu d’autres…
Jeudi, à l’heure du goûter, Senjin Kratovic et Josip Ilic s’installent au Casablanca, café de la rue de l’Alzette à Esch. Une enseigne tenue par Thierry Franzen, un ancien du HB Esch. Le Bosnien (« Ah bon, on ne dit plus bosniaque? Je n’y comprends plus rien… ») se montre de suite volubile. Son «français» impressionne. Le Croate, lui, « le comprend, mais ne le parle pas » et se limite bien souvent à de timides « je ne sais pas » ou des « peut-être ». Une économie de mots qui sied parfaitement au réservé arrière droit.
Natif de Metkovic, ville limitrophe avec la Bosnie, Josip Ilic franchit vite la frontière pour rejoindre Izvidac, en Premijer liga. Sous le maillot du quadruple champion national, il affirme se souvenir avoir croisé la route du Bosnia Sarajevo de Senjin Kratovic dont la mémoire flanche : « Mais lui, visiblement, s’en rappelle… » Quelques années plus tard, les deux gaillards se retrouveront tous deux à Nancy, avant de rejoindre le Grand-Duché où ils résident désormais. À Bergen. « À 300 mètres l’un de l’autre .»
Il y a six ans, Senjin Kratovic ne pensait pas quitter les siens. En Bosnie, il vivait « très bien » et n’avait « pas forcément envie de quitter le pays ». Mais ce demi-centre de formation, grand admirateur de l’ailier Lars Christiansen, suit tout de même les conseils de Bhakti Ong. Influent, l’homme n’est autre que l’agent de Nikola Karabatic. Kratovic débarque en France pour un test à Nîmes. Mais le pensionnaire de LNH voit son entraîneur, Alain Portes, s’en aller prendre la sélection tunisienne.
L’essai tombe à l’eau et Kratovic se retrouve en 2008 à Gonfreville-l’Orcher, alors en ProD2. Il y passera une saison avant de rejoindre Villeurbanne (une saison), puis Nancy où il restera quatre années, dont deux passées avec Josip Ilic. « On s’est rencontrés en 2012 », se souvient «Krato», étroitement lié à la venue en Meurthe-et-Moselle d’un Croate quelque peu refroidi par une expérience au… Qatar. À Al-Qiyada, qu’il rejoint à la demande d’Ivica Obrvan, ancien sélectionneur de la Macédoine et actuel entraîneur de Chambéry, natif comme lui de Metkovic. Mais l’affaire ne fait pas long feu. Le temps de s’apercevoir que le club ne respecte pas sa part du contrat. Le versement du salaire quoi. Ilic « ne garde pas un grand souvenir » de son passage en terre du pays vice-champion du monde en titre. « Avec de l’argent, tu peux tout faire », dit-il sans jeter l’opprobre sur ceux ayant pris part à ce qui ressemble à une bien belle farce. Lui-même se pose des questions. Aurait-il accepté de porter le maillot qatarien? « Peut-être… » Et de poser fièrement la main sur le cœur à l’écoute de l’hymne national? « Peut-être… »
«On aimerait rejouer ensemble…»
Au Qatar, Ilic rencontre «un Français» qui le met en contact avec Bahkti Ong. Ce dernier lui trouve un point de chute : Nancy. Mais à l’époque, Karabatic est pris dans le scandale des paris truqués et l’agent a du pain sur la planche. Du coup, Kratovic dirige les négociations : « Je me suis un peu occupé de Josip. Pour son contrat et pour l’aider dans ses différentes démarches. » Ils passeront deux saisons ensemble avec l’espoir de monter en LNH. En vain.
À l’été 2014, en fin de contrat à Nancy, Ilic rejoint Esch. Quelques semaines plus tard, Martin Muller fait le chemin dans le sens inverse. Un échange? « Non. Quand je suis arrivé, Martin n’avait pas encore de contact avec Nancy », explique le Croate qui a donc succombé aux sirènes luxembourgeoises. En handball, la vie d’un professionnel n’est pas faite de luxe. Senjin Kratovic aurait, par exemple, pu évoluer en LNH, l’élite du handball français, mais pour « un salaire de 1 700 euros par mois . Une fois que tu paies toutes tes charges, il te reste quoi? »
Alors, en fin de contrat à Nancy, qui lui proposait une prolongation d’un an, le Bosnien a privilégié la qualité de vie pour lui, sa femme et son fils. Direction le Grand-Duché sur les conseils d’un Josip Ilic ou d’un Nikola Malesevic (HB Dudelange) avec qui il évolua à Nancy. Ce choix, affirme-t-il, ne change rien à ses habitudes ni à son sens du devoir. « C’est mon métier, donc je le fais sérieusement. Sauf que le matin, au lieu d’être une quinzaine à l’entraînement, on est trois à la salle de musculation », explique Kratovic, qui fréquente avec Knez et Podvrisic, les deux autres pros differdangeois, « deux à trois fois par semaine » le Sunny Fitness.
Au Luxembourg, Kratovic et Ilic, dont le contrat avec Esch se termine en fin de saison, portent un regard plutôt bienveillant sur un championnat qui abrite « quatre équipes pouvant évoluer en D2 française » tout en reconnaissant avoir « du mal à se motiver » face aux équipes du bas de tableau.
Pour Ilic, « le favori pour le titre sur le papier, c’est les Red Boys », mais il s’empresse aussitôt de préciser que samedi soir, il n’y aura pas de favori qui tienne. « C’est nous qui gagnerons », lâche le meilleur réalisateur eschois (41 buts en 7 matches) de toute évidence bien empreint d’une rivalité qui, cette saison, prend tout son sens. Une rivalité qui n’est pas prête à entamer l’amitié de deux joueurs qui aimeraient refaire parler leur complicité sur les parquets. « On en a déjà parlé , confie Kratovic, un brin rieur, et c’est vrai qu’on aimerait rejouer ensemble… » Reste à savoir où et quand?
Charles Michel