Le succès de Kevin Geniets aux championnats nationaux rend compte de la progression contrariée mais constante depuis deux ans du jeune coureur de 23 ans.
L’émotion du tout premier succès de Kevin Geniets est désormais retombée. Ce mardi matin, le nouveau champion du Luxembourg retrouvera ses compatriotes Jempy Drucker et Alex Kirsch, au départ du Grand Prix de Plouay. Retour en questions sur un championnat passionné et passionnant.
Le succès de Kevin Geniets est-il une surprise ?
Oui et non. C’est une surprise dans la mesure où depuis cinq ans, Bob Jungels était imbattable sur le championnat. Il s’agissait d’une chasse gardée. Les circuits luxembourgeois par nature difficiles étaient propices à une course sélective. Celui de dimanche était également sélectif mais pas insurmontable. Mais ce n’est pas pour autant une surprise pour quiconque avait suivi mercredi dernier à la télévision, le final de la dernière étape du Tour de Wallonie, où Kevin Geniets, placé au service d’Arnaud Démare, avait été impressionnant d’aisance. C’était sûrement le coureur luxembourgeois possédant la forme la plus avancée à ce stade de la saison. «Vu sa course en Wallonie, je pensais bien qu’il pouvait s’imposer. On ne suit pas si facilement une attaque de Van Avermaet comme il avait été capable de le faire si on n’est pas très fort», commentera Jempy Drucker. «Vu sa progression rapide depuis deux ans, il y a une forme de logique», dira pour sa part Alex Kirsch.
Le scénario a-t-il différé des années précédentes ?
Bob Jungels n’étant pas précisément un puncheur, il procédait simplement avec son atout majeur lors de l’acquisition de ses titres précédents. La force tout simplement. Il assommait ses rivaux d’un jour une bonne fois pour toutes. On se souviendra longtemps de cette incroyable démonstration de Remerschen en 2017. Là, Kevin Geniets lui a offert une résistance inédite. Le suspense a donc plané jusqu’au bout. Sans qu’on sache avant de les voir surgir, qui finirait par l’emporter. C’est donc la première fois depuis le titre de Christian Poos, à Kopstal en 2002 (celui-ci s’était imposé d’un cheveu devant Vincenzo Centrone) que le titre se jouait ainsi. Il s’agissait d’un scénario intense sur le final, à partir du moment où les plus costauds s’étaient arrachés du peloton.
Comment était l’ambiance ?
Pour avoir une grande course, il faut de grands acteurs. C’est à noter et il convient d’insister là-dessus. C’est une chance que doit mesurer le pays. Les coureurs professionnels luxembourgeois possèdent un état d’esprit cinq étoiles. Ils ont fait la course sans arrière-pensée et les meilleurs ont émergé avant le passage obligé au débriefing. Ensuite, le vaincu, Bob Jungels, a complimenté son vainqueur, «le plus fort». C’est aussi dans les défaites qu’on mesure la grandeur d’un champion. Le compliment a ravi le nouveau titré. Et effectivement, ce fut un plaisir d’assister à ce championnat, même masqué. Et Bob Jungels a consenti avec sincérité, que «ce n’est pas plus mal que ça change». Tout était résumé là. Pour le reste, l’émotion très forte qui a accompagné le nouveau champion, de son passage sur la ligne à sa descente du podium était touchante. Le large public qui s’est déplacé en dépit de la crise sanitaire actuelle a apprécié. «J’ai aimé l’attitude du public qui est très respectueuse envers nous et qu’on voit masqué sur le bord de la route», dira en retour le nouveau champion national.
D’où vient Kevin Geniets ?
Pour le moment, on remarquera que le nouveau champion national représente parfaitement la richesse, la vitalité et la mentalité du cyclisme luxembourgeois qui a su se réinventer après le départ en retraite des frères Schleck et de Kim Kirchen. Le pays possède une relève qui semble inaltérable. Riche de talents divers et variés. Des travailleurs acharnés et motivés. Pour en revenir à Kevin Geniets, tout va vite en cyclisme, pourvu qu’on prenne la pente du bon côté. En juin 2018, à Redange-sur-Attert, rien n’allait plus pour lui au moment des championnats nationaux. Expulsé loin du podium espoirs dans le chrono, celui qui portait alors les couleurs du CF Chambéry, avait le moral dans les chaussettes. Il avait eu du mal à se remettre d’une mononucléose et au lieu d’une progression, on constatait une forme de régression.
«Il était dégoûté du vélo. Et je lui ai juste demandé de faire un choix sous 24 heures. Soit il se reprenait sérieusement, soit il décidait d’arrêter sa carrière. Finalement, il m’a demandé de poursuivre notre collaboration, je savais alors que ça repartirait», rappelle Romain Gastauer. Le père de Ben était alors son entraîneur personnel.
L’année suivante, il déménage à Besançon pour intégrer l’équipe continentale de Groupama-FDJ placée sous la direction de Jérôme Gannat. Le déclic s’opère. Il reprend sa dynamique en début de saison 2019. S’il ne gagne pas, il se met systématiquement «avec un état d’esprit irréprochable», dixit Marc Madiot, le patron de l’équipe World Tour, au service de l’équipe. À telle enseigne que lorsqu’à la grande stupéfaction de son entourage, Georg Preidler est écarté de l’équipe World Tour (pour son implication dans l’affaire autrichienne Aderlass), c’est le jeune Luxembourgeois qui est appelé 22 mars. «Lorsque la veille on m’a appelé pour me le signaler, j’ai failli m’étouffer dans ma pizza», imagera-t-il. À partir de là, coaché par l’entraîneur Julien Pinot (le frère de Thibaut), sa progression sera linéaire.
Quel avenir pour Kevin Geniets ?
Lorsque dimanche soir, nous avons interrogé Marc Madiot, le patron de Groupama-FDJ était clair : «C’est un garçon sérieux, professionnel et qui a un brin de talent. Ça se passe très bien dans l’équipe avec lui. Je savais qu’il pouvait gagner. Il va faire son bout de chemin, j’espère qu’il va continuer à s’épanouir avec nous et il pourra jouer sa carte de temps en temps, comme il a commencé à le faire un peu l’an passé et cette année. C’est un travailleur.» Plus à l’aise a priori sur les classiques de type flandriennes, l’intéressé grimpe correctement en dépit de sa haute stature (1,93 m pour 73 kilos) qui le limite en montagne. On voit qu’il sait sprinter en petit comité. Il vit aujourd’hui du côté de Chambéry où il a trouvé des terrains d’entraînement, qu’il connaît, à sa convenance. À 23 ans, il n’a pas fini de progresser. Il est sous contrat avec Groupama-FDJ jusque fin 2022.
Pourquoi son maillot restera neutre de publicité ?
C’est le choix de Marc Madiot, d’abord pour ses coureurs champions de France qu’il a étendu naturellement à l’ensemble des coureurs issus de pays étrangers. Comme par exemple le Suisse Sébastien Reichenbach en 2019. Cela résume l’état d’esprit du patron, patriote. «Un drapeau, ça se respecte, résume-t-il. Le maillot de Kevin restera neutre comme celui d’Arnaud (Démare).»
On lui a demandé s’il serait prêt pour ce Grand Prix de Plouay. «Là, c’est vrai que vous me posez une colle, j’imagine que ce sera un peu court mais je vais essayer. Au pire, il mettra le maillot qu’il a reçu dimanche», a-t-il fini par sourire. Au Luxembourg, c’est une première dans l’ère moderne du cyclisme luxembourgeois. Du temps de Charly Gaul, les publicités fleurissaient, notamment pour le Tour de France. Et dès le début du professionnalisme, avec le début de Nicolas Frantz, le professionnalisme a toujours été associé aux équipes de marques. Les historiens nous contrediront (ou pas), mais ce maillot neutre est peut-être bien une grande première historique! À moins que François Heck, champion du Luxembourg en 1923…
Denis Bastien