Au lendemain du succès d’étape de Frank Schleck dans le Tour d’Espagne, Johnny revient sur les moments difficiles traversés par son fils.
Tout n’a pas été simple pour Frank Schleck avant qu’il ne retrouve le chemin du succès. Comme nous l’indique ici le témoignage de Johnny, son père, toujours attentif. Comme nous l’avait raconté mardi Andy Schleck, c’est avec son père, Johnny, qu’il a assisté au succès de Frank, devant la télévision. Johnny n’a pas boudé son plaisir de nous parler de l’exploit de son fils, qui a vécu des moments difficiles ces derniers mois.
Le Quotidien : Que vous a inspiré le succès de Frank lundi?
Johnny Schleck : C’était beau. Frank a été impressionnant dans la façon de construire son succès. C’est lui qui a fait la sélection dans l’échappée dans les deux dernières difficultés. Il a lâché tout le monde. Un à un. Et on a pu remarquer que l’équipe Astana, qui menait la chasse derrière, ne lui a pas repris beaucoup de temps. Mais bon, une fois qu’il s’est retrouvé seul, je me suis bien demandé pourquoi il allait si vite. Il n’en avait pas besoin. Mais il avait tellement envie de remporter cette étape.
Comment l’aviez-vous senti ces derniers temps?
Il voulait remporter son étape. Il n’a pas choisi la moins belle, mais il m’a raconté qu’il avait essayé plusieurs fois déjà, depuis qu’il n’était plus dangereux au classement général, mais que jamais on ne l’avait laissé intégrer une échappée. Il était loin, au général, depuis sa chute, mais pas assez pour qu’on le laisse filer. Il y a aussi le problème du classement par équipes qui interfère. Et dans les échappées, les coureurs n’aiment pas rouler avec un coureur comme lui, car ils imaginent qu’ils peuvent finir deuxième. On peut comprendre.
Là, ça a marché…
Oui, sans doute que les directeurs sportifs des coureurs qui l’accompagnaient ont cru qu’il allait coincer, que sa forme n’était pas si bonne que ça, puisque la veille, il avait perdu vingt minutes.
Le dernier coureur qui l’a accompagné, Rodolfo Torres, vous a-t-il fait peur?
Je ne le connaissais pas, pas plus que Frank ne le connaissait. Tant qu’il n’était pas lâché… On n’est jamais sûr. D’ailleurs, Frank revient de loin, car son début de Vuelta a été gâché par les suites de son infection à la selle contractée sur le Tour de l’Utah. Ça l’a obligé à rester quatre jours sans rouler avant la Vuelta, ce qui n’était pas forcément très bon signe. Je me souviens, je lui avais proposé, avant qu’il ne s’envole pour l’Espagne, de faire quelques séances derrière mon scooter, mais il a refusé, de peur que la blessure ne s’aggrave. Il avait beaucoup roulé en Amérique, et finalement ce repos lui aura fait du bien, même s’il était un peu poussif dans les premières étapes.
Il doutait?
Il restait motivé, mais forcément, à un moment donné, lorsque tu chutes, tu souffres de douleur au genou, que tu ne peux pas faire le Tour de France à cause de ça, ton moral n’est pas super. Après sa chute dans cette Vuelta, qui l’a éloigné du classement général (NDLR : dans la 8 e étape), il m’a fait part de ses doutes. Mais moi, je lui remontais le moral car je savais qu’il n’avait rien perdu de ses capacités. En début de saison, avant de chuter sur la Ruta Del Sol, il avait fait, pour la première fois de sa carrière, des places sur les épreuves du Challenge de Majorque qui ne sont que des courses de préparation.
Après, sa saison s’est mal enchaînée. Mais là, il est revenu. Et que voit-on dans cette fin de Vuelta? On voit que tout le monde est fatigué. Je pense même qu’après sa chute, s’il était resté concentré sur le général, il aurait pu intégrer le top 10, car il reste quelques belles étapes alors que les défaillances sont de plus en plus nombreuses. Mais son succès d’étape, c’est très bien. Et maintenant, il a le moral. Voici quelques jours de ça, il me disait qu’il était peut-être trop vieux. Je l’ai renvoyé à Rodriguez et Valverde pour lui rappeler que sa carrière n’était pas encore terminée…
Une carrière relancée, donc?
Oui, je pense. À condition de rectifier certaines choses.
Comme quoi?
À mon sens, il ne court pas assez. La preuve, il est venu seulement en forme en fin de Vuelta. Tous les coureurs sont différents. Andy, par exemple, n’avait pas besoin de beaucoup d’entraînement et de courses pour venir en forme. Frank, lui, c’est le contraire.
Combien de temps le voyez-vous encore courir?
Je ne sais pas, mais une chose est sûre, il a besoin de retrouver sa famille, de voir ses filles. La preuve, il ne vient plus chasser, il préfère s’occuper de ses enfants!
Vous avez suivi son succès à la télévision aux côtés d’Andy. Racontez-nous…
Il venait de sortir de son travail et a suivi avec moi, en effet, la fin du dernier col. Il pleurait… Pour lui, jeune retraité, ce n’est pas évident. Mais le plus dur est fait, il est à fond dans ses projets, il travaille. Le plus dur, c’était pendant le Tour de France. Là, il s’agit du Tour d’Espagne, ça ne le touche pas de la même façon.
Vous avez prévu de vous déplacer sur les dernières étapes de la Vuelta?
Non, on voit bien mieux les choses à la télévision que sur place.
En 1970, vous aviez remporté la 12e étape de la Vuelta. Quels souvenirs en avez-vous gardé?
De curieux souvenirs en fait. Des souvenirs qui montrent que les choses ont bien changé dans le cyclisme. Lorsque j’ai gagné mon étape, une longue et très belle étape, mon leader, Luis Ocana portait le maillot de leader. Chez Bic, mon directeur sportif, Maurice De Muer, m’avait interdit de me lancer dans une échappée. Il n’y avait que le maillot qui comptait à l’époque. Mais je ne les avais pas écoutés et j’étais parti quand même.
Je me souviens de De Muer qui me disait à la voiture que je n’allais pas gagner, que j’allais me faire battre au sprint. Alors finalement, j’avais attaqué à l’approche de l’arrivée. Et je l’avais emporté. Mais les choses étaient différentes. Il n’y avait pas la télé sur la Vuelta. Alors, lorsque j’ai revu mon Ocana et mon directeur sportif, après mon succès, je n’ai eu droit à aucunes félicitations…
Denis Bastien