HORS STADE Michel Hausman et Stéphane Gillet, figures des gardiens de but du pays et «tenanciers» de la seule école spécialisée du pays, à Kehlen, dressent un constat alarmant de ce que pourrait être l’après-Anthony Moris.
Le duo Michel Hausman – Stéphane Gillet constitue, depuis plusieurs années, une sorte de «think tank» très actif dès qu’il s’agit de parler de la formation des gardiens de but au pays. Et l’instant de retrouver l’ex-coach de la fédération, flanqué de son acolyte, l’ancien gardien de but des Roud Léiwen, était peut-être arrivé.
C’est que le moment est charnière, pour cette noble confrérie. Alors qu’Anthony Moris, meilleur gardien actuel de Jupiler Pro League, s’apprête à entrer dans la dernière ligne droite de la conquête d’une place européenne, voire d’un titre de champion de Belgique, et que toute sélection nationale un tant soit peu ambitieuse a besoin d’un gardien fort, la question de l’avenir commence lentement à se poser. Les deux derniers n° 1 (Joubert, Moris) du pays ont été naturalisés et les successeurs (Kips, Fox, Martin…) n’en sont qu’à faire leurs classes en mode mineur pour l’instant. Hausman et Gillet, qui voient défiler dans leur école de Kehlen de très nombreux apprentis, l’affirment tout haut : il y a, au Grand-Duché, un énorme déficit de formation pour les gardiens de but. Cette dernière reste en tout cas, à leur avis, très en retard sur celle des joueurs de champ. Au point de tirer la sonnette d’alarme? On a rencontré les deux hommes au Loft, à Contern, pour parler de l’avenir de la «profession».
Après une grosse dizaine d’années à être sous la garde de Jonathan Joubert et alors qu’elle vit désormais sous celle, tout aussi indiscutable, d’Anthony Moris, vous vous sentez obligés d’intervenir pour susciter le débat. Expliquez-nous !
Michel Hausman : Déjà, on parle de deux joueurs naturalisés, sachant que dans les successeurs potentiels se trouve Timothy Martin… qui l’est aussi.
Stéphane Gillet : Moi, quand je regarde la Division nationale, je ne vois pas énormément de gardiens de but sélectionnables. Je vois surtout beaucoup de gardiens de but étrangers mieux formés que les nôtres et qui prennent leur place.
M. H. : Je crois avoir compté deux Luxembourgeois le week-end passé (NDLR : l’interview a été réalisée après la 17e journée, où il y en avait en fait quatre dans les buts des seize clubs de DN). C’est peu.
S. G. : Fut un temps, les gardiens luxembourgeois, même dès le plus jeune âge, évoluaient en Division nationale ET en sélection. Mais le foot a évolué.
M. H. : Et on ne trouve pas chez les jeunes Luxembourgeois la qualité qu’il faudrait pour entrer en compétition avec les étrangers. Je ne veux pas jouer les anciens combattants mais à l’époque, tous les gardiens qui fréquentaient la sélection évoluaient déjà en Division nationale dès leurs 16 ans. Les Flick, les Hartert, les Reuter, les Rohmann, les van Rijswick, les Koch, les Felgen… Cela dit, on ne leur demandait pas la même chose et ils se contentaient alors de deux séances par semaine. Il faut l’admettre.
S. G. : Après, pour les gardiens belges, allemands, français… c’est légitime de venir ici. C’est une aubaine : ils sont au-dessus du lot parce que eux ont fait un centre de formation, contrairement aux Luxembourgeois. S’ils étaient bien formés, eux aussi partiraient en centres de formation.
M. H. : Ah, à la base, c’est que la formation des gardiens reste le vrai problème au Grand-Duché. Elle devrait aller jusqu’à 15 ans. Et ensuite ils partiraient à l’étranger.
À votre avis, de quelle marge Luc Holtz et les Roud Léiwen disposent-ils avant qu’Anthony Moris n’envisage sa fin de carrière et quel est le panorama qui s’ouvre derrière ?
S. G. : Ah mais Moris peut encore durer des années ! Mais après, il s’est quand même fait deux fois les croisés. D’ailleurs, pour en revenir aussi bien, aussi fort, chapeau! Mais il faudra peut-être aussi un petit coup de chance à la sélection pour qu’il ne connaisse pas de nouveau pépin, d’autant que Ralph Schon, qui vient d’être papa, aura peut-être aussi bientôt d’autres priorités.
M. H. : D’ici un ou deux ans, il fera vraisemblablement un pas en arrière. Il y a déjà des signes qu’il n’est plus au sommet.
S. G. : Bon, après, forcément, à un moment, il y aura bien des jeunes qui vont émerger. Mais d’où viendront-ils, où auront-ils été formés ? Moi, là, à l’heure actuelle, je ne connais pas beaucoup de garçons qui ont fait la formation depuis les U14 et ont franchi toutes les étapes, qui ont fait toute la filière grand-ducale, du début jusqu’en sélection A. Certains se lassent, voire sont dégoûtés par le manque de considération, par le fait qu’on délaisse ceux qui ne joueront pas n°1. Le dernier à avoir fait toutes ses classes en sélection, c’est peut-être moi. Ou Marc Oberweis. J’en viens à me poser la question de savoir si on ne cherche pas à boucher les trous en attendant de naturaliser. Il faudra miser sur quelqu’un à un moment. Mais sur qui ? Qui a la formation nécessaire ? Non, les jeunes, il faut vraiment qu’ils partent du pays.
Tim Kips l’a fait en rejoignant Erzgebirge Aue. Lucas Fox a essayé de le faire.
M. H. : Kips n’a qu’un pied, ça peut bloquer. C’est peut-être un peu juste pour le haut niveau.
S. G. : Et puis, il ne joue pas pour le moment à Aue. Vous imaginez s’il fait deux saisons comme ça…? Alors oui, il s’entraîne en professionnel mais s’il revient, quel sera son niveau ?
M. H. : Et vous voyez Lucas Fox, s’il est revenu de tous ses essais, n’a pas pu partir, c’est qu’il doit manquer un petit quelque chose.
S. G. : Bon, posons la question : qui est le titulaire, aujourd’hui, en U21 ? Quelle est la hiérarchie ? Je ne doute pas qu’il y en ait un qui émerge mais pour le moment, en général, on s’en remet plus à la chance qu’à autre chose. Au niveau international, chez les A, ça ne peut pas passer.
Concrètement, si on prend le »problème » depuis le début, à quoi ressemblent les générations que vous voyez passer dans votre école de foot, depuis un peu plus de cinq ans ?
S. G. : Il en arrive de partout et certains commencent en n’ayant jamais fait un véritable entraînement spécifique. Chez nous, c’est porte ouverte à tous et ça devrait tout le temps être comme ça.
M. H. : Mais sur quelques saisons seulement, on voit l’évolution.
S. G. : Phénoménale même.
M. H. : On a des retours positifs des clubs et la FLF est déjà venue en chercher. Quatre. Ceux qui évoluent bien.
S. G. : Et c’est aussi là que les problèmes commencent. Parce qu’à la FLF, ils ne font pas ce qui pourrait se passer ici, c’est-à-dire deux séances hebdomadaires de spécifique complètes. C’est plutôt un échauffement spécifique de 20-30 minutes avant qu’ils rejoignent les joueurs de champ. Chez nous, à Kehlen, on fonctionne un peu comme un pré-centre de formation : on ne fait que ça. Que du spécifique.
Quand on a donné notre plan à Paul Philipp, il avait l’air de trouver ça bien. Mais ce plan, Reinhold Breu l’a rangé au fond d’un tiroir
M. H. : À Mondercange, les coaches travaillent beaucoup à la prestation et on leur en demande déjà beaucoup, mais il faudrait qu’ils puissent fournir aux gardiens des séances complètes.
S. G. : Il faudrait qu’ils commencent à sortir des gardiens, au CFN ! Mais je doute qu’ils aient, par exemple, autant envie de placer leurs gardiens dans les centres de formation à l’étranger que leurs joueurs de champ. Ah, pour les joueurs de champ, ça, ils poussent !
M. H. : Si je peux intervenir, il y a six ans, on leur avait proposé un plan.
S. G. : Notre idée, c’était de prendre, nous, comme on le fait actuellement, tous les gardiens. Même ceux qui ne sont pas bons, du moment qu’ils aient envie. On leur apprend à attraper un ballon, à tomber sans se faire mal, parce qu’un gamin qui veut être gardien mais à qui on ne l’apprend pas finit par se lasser et arrêter. Il faut juste leur apprendre les bons gestes, les former mentalement aussi. Cette école-là, on voulait la faire à Mondercange pour se donner plus de moyens.
M. H. : Quand on a donné ça à Paul Philipp, il avait l’air de trouver ça bien, très intéressant. Mais ce plan, Reinhold Breu (NDLR : alors DTN) l’a tranquillement rangé au fond d’un tiroir.
S. G. : Clairement, le poste de gardien de but, ce n’est pas leur poste fétiche. Ça ne semble pas intéressant. C’est vrai qu’il vaut mieux naturaliser. Mais j’y crois encore : si on me demande, j’y vais. On l’a faite, notre école, on prend tout le monde, on forme du mieux possible, on crée une base solide.
M. H. : Manou Cardoni, qui a repris après Reinhold Breu, est bien plus ouvert et intéressé par le sujet. Mais forcément, cela prend du temps.
Par quelle volonté le CFN d’aujourd’hui vous semble-t-il animé ?
M. H. : J’ai l’impression que certains sont frappés d’une certaine démotivation devant l’organigramme. Moi, je pense que Laurent Mond (NDLR : en charge des gardiens en U21, U19 et U17) était prêt pour s’investir plus à fond. Il connaît le pays, les clubs, les joueurs.
S. G. : Et il me semble curieux, d’ailleurs, que dans cet organigramme, l’entraîneur qui s’occupe des A et des U21 ne soit pas le même. S’il te manque un gardien en A, normalement, tu vas en chercher un autre où ? Chez les espoirs, non ? Ce serait bien de les connaître plus à fond, même si je me doute qu’ils ont leurs raisons de fonctionner comme ça.
Il y a de très bons gardiens dans notre école, mais la FLF dit à certains, par exemple, qu’il leur manque cinq centimètres
A été créé un diplôme d’entraîneur pour gardiens de but, quand même, non ? Cela témoigne d’une volonté de faire avancer les choses, notamment dans les clubs.
S. G. : Cela m’a un peu choqué quand ils ont sorti ce diplôme, il y a trois-quatre ans. Attention, ce n’est pas une mauvaise idée. Mais bon, on vous le décerne sur quelques séances seulement, dans un laps de temps très court et, au final, ceux qui l’ont fait l’ont surtout fait pour pouvoir le monnayer. Je ne dis pas qu’ils ne sont pas ressortis de là avec un bagage plus costaud, mais ils ne l’ont pas forcément fait pour les bonnes raisons.
M. H. : Nous, on préfère quand même que les jeunes gardiens soient formés par d’anciens gardiens. Gardien, c’est un poste à part. Ceux qui ont reçu ce diplôme ont peut-être déjà appris à ne pas faire mal – c’est déjà ça –, mais cela ne veut pas dire qu’ils feront tout bien ni qu’ils auront appris à comprendre ce que ressent physiquement et mentalement un gardien de but.
S. G. : Et c’est très facile de dégoûter un gardien de but.
M. H. : Tiens, il y a un autre sujet : celui de la taille. Actuellement, la fédération ne recherche que de grands gardiens. Elle fait plein de tests pour savoir ça. Certains gardiens, très bons, sont rejetés parce qu’ils ne feront pas au moins 1,85 m. C’est la mode actuelle. Ils ne les prennent même pas pour sortir dans les airs mais pour leur envergure devant leur ligne de but.
S. G. : Alors qu’un Oberweis, qui était petit mais qui avait une détente exceptionnelle, dans les airs, il se régalait. Et moi, si j’étais joueur, je préférerais avoir derrière moi un petit complètement fou qu’un gardien qui reste scotché sur sa ligne.
Vous faites partie de ceux qui défendent l’idée que la taille du gardien ne compte pas dans le football dit moderne ?
M. H. : Il y a de très bons gardiens dans notre école de foot mais les instances fédérales disent à certains, par exemple, qu’il leur manque cinq centimètres.
S. G. : Alors qu’au Luxembourg, avec ce petit réservoir, on devrait former absolument tout le monde ! Tous ceux qui le veulent ! Qui sait d’avance qui passera pro ou pas ? Qui sait d’avance qui aura la mentalité qu’il fallait à l’époque pour partir à l’étranger, celle du »marche ou crève » ? Moi je dis : offrons à tout le monde une bonne formation, complète ! Après, ils feront ce qu’ils voudront. Ou pourront. Comme filtrer des gardiens dès l’âge de 12 ou 13 ans ? Si on sélectionne trop tôt, on risquera d’en perdre en cours de route, les n°2 ou les n°3 et de ne pas en avoir assez à la fin. Parce qu’un joueur de champ, lui, il arrivera toujours à gratter du temps de jeu. Sa formation, il la fera en entier. Un gardien, non. Il arrêtera plus facilement.
M. H. : On parlait de l’âge, là… Un gardien, son âge d’or, c’est entre 8 et 12 ans, c’est là qu’il apprend le mieux. À 10 ans, un footballeur doit savoir s’il veut jouer sur le champ ou dans le but.
S. G. : Bref, voyons, attendons de voir ce que la FLF fera dans le futur.
M. H. : Mais on n’est pas contre la fédération hein !
S. G. : C’est juste que les gardiens ont envie d’en encadrer d’autres, de transmettre leur expérience. C’est ce que devrait faire tout gardien. C’est ce que devrait faire un Jonathan Joubert, tiens. Transmettre son vécu. Aller les voir, leur dire qu’on s’intéresse à eux, parce qu’un gardien est souvent seul. Moi, j’en serais ravi.