Les journalistes du service des sports du Quotidien reviennent sur un ou plusieurs faits marquants d’une année 2020 transfigurée par la pandémie de Covid-19. Aujourd’hui, le football en Nations League.
«Euh, moi je veux bien la faire, l’interview, mais je ne sais pas si j’ai le droit. Faut que je demande. Sinon, on peut se mettre chacun à un bout de l’aérogare et on la fait par téléphone.» Lars Gerson a souri, un peu gêné. Ce n’est pas dans son habitude de dire non (d’ailleurs, il ne dit jamais non), mais ce 12 novembre 2020, au Findel, à l’avant-veille d’une rencontre de Nations League décisive à Nicosie, contre Chypre, il hésite. Et nous, on a un doute. Quel est le problème ? La nécessité de se concentrer ? Les règles sanitaires ? Ou les deux ?
C’est Marc Diederich, chef de presse de la fédération, qui se charge de ne pas apporter la réponse moins de cinq minutes plus tard : «On voudrait vous demander, s’il vous plaît, de ne pas faire d’interview avec les joueurs.» Oui, d’accord, les médias veulent bien ne pas faire ce pour quoi ils sont payés, mais ils n’ont toujours pas la réponse à cette question de savoir ce qui dérange : les questions des journalistes ou les postillons des journalistes ? Puisqu’il était question «des joueurs», allons donc hasarder une interview auprès du sélectionneur. Luc Holtz vient justement de passer la douane, mais très vite, son regard courroucé, sa main qui s’agite, de loin, pour dire non, son interpellation immédiate de son chef de presse pour lui faire comprendre que, visiblement, le message n’est pas passé, en disent long.
C’est bien le coronavirus la raison de ce périmètre de sécurité renforcé, alors que le Grand-Duché est en position de terminer premier de groupe de Nations League. L’incompréhension est évidente, le malaise assez palpable et ces dix petites minutes gênantes pour tout le monde représenteront un raccourci magique de plusieurs mois de football, avec des joueurs, des entraîneurs, des clubs, une sélection, conscients de leur devoir sanitaire, mais soucieux de continuer à jouer. Une position schizophrénique qui autorisait par exemple les membres de la sélection à nous expliquer, à un mètre de distance, qu’il ne pouvait pas nous parler…
C’est juste que Lara Heinz, la veille au soir, venait de me resensibiliser à la nécessité que nous n’ayons pas la moindre contamination, sinon…
C’est début décembre, au cours d’un entretien téléphonique avec le sélectionneur, que l’abcès sera crevé. Pas rancunier du tout, Luc Holtz reconnaîtra que «ce n’était pas bien grave». «C’est juste que Lara Heinz, la veille au soir, venait de me resensibiliser à la nécessité que nous n’ayons pas la moindre contamination, sinon…» Sinon pas de match.
Ce qui explique qu’entre le 5 septembre et le 11 novembre, l’un des deux médecins des Roud Léiwen, installée au poste d’officier de liaison sanitaire, ait endossé le costume de père Fouettard en chef de la fédération. Pendant cette période, la correspondance entre Mondercange et les médias du pays a pris des allures hallucinées et hallucinantes dès lors qu’un déplacement international se profilait. «Tous les passagers doivent présenter un test Covid-19 pratiqué au moins 48 heures avant l’embarquement», indiquait systématiquement le communiqué fédéral. Mais cela n’a pas empêché les conversations de s’éterniser à l’infini : «Au moins 48 heures, d’accord, mais combien au maximum ?» «Pas 72 heures, en tout cas.» «Et si cela veut dire passer le test un dimanche ? Et si le départ est un lundi matin très tôt et que je n’ai pas encore reçu mon résultat le dimanche ?»
Plus d’un journaliste du pays s’est ainsi retrouvé la boule au ventre, au moment de monter dans le charter affrété par la FLF. C’est comme ça qu’à Podgorica, en octobre, le pays a failli se retrouver sans couverture photo ni radiophonique et la presse sans son président, Petz Lahure. Trois membres de la délégation (dont le photographe et l’émissaire de RTL) ne savent en effet pas encore, une heure avant d’embarquer, s’ils sont négatifs. Leurs laboratoires prenaient leur temps. Fébrilement accrochés à leurs téléphones à dix mètres du comptoir pour l’enregistrement de leur bagage, ils ont finalement reçu le feu vert. Tant mieux pour eux : ils auraient raté l’un des trois déplacements les plus allumés de l’histoire du football grand-ducal.
Ceux qui ne sont pas partis ont raté beaucoup de choses. Les curieuses mesures sanitaires azerbaïdjanaises quand elles sont appliquées aux hôtels. Avec un restaurant ouvert de… 16h à 22h et qui se refuse à ouvrir son «room service». Vous êtes-vous déjà fait livrer une pizza Domino’s estampillée hallal (pour une margherita-tomate-fromage, merci de la précision) au huitième étage des Flame Towers de Bakou dans un établissement pourtant cinq étoiles, à 22h30, avec un livreur escorté par un groom ? Un moment déconnecté du réel.
Il y en eut beaucoup d’autres dans cet automne sous Covid. Il y a eu le stade Pod Goricom théoriquement à huis clos pour le choc Monténégro – Luxembourg mais qui a tout de même rassemblé environ 200 personnes, réunies sans mesure d’éloignement, non loin du tunnel d’entrée pour les joueurs, sous une espèce de minuscule auvent flanqué d’un panneau «presse» alors même que les journalistes, les vrais, sont installés de l’autre côté du stade. Il y a eu cette chargée d’accréditation du stade Neo GSP qui fronce les sourcils en vous voyant négliger le gel hydroalcoolique à l’entrée de la salle de presse, mais qui, le lendemain, extirpe sans manières de son sac un adaptateur électrique pour vous dépanner, alors qu’elle fume tranquillement sa petite cigarette d’avant-match tandis qu’un journaliste local fête son anniversaire en distribuant de pleines poignées de bonbons à la cantonade. Il y a eu le staff technique de la sélection dans son ensemble qui remplace son traditionnel footing collectif par une séance dans une salle de musculation surchauffée de l’hôtel au Monténégro, alors qu’elle est remplie des boxeurs du club local.
Bref, la vie «normale» qui retrouve son chemin, partout et tout le temps, malgré la pandémie, malgré les obligations, malgré les risques. L’humain qui reprend le dessus, inexorablement.
Contre l’Azerbaïdjan, les clubs de mes joueurs voulaient les rapatrier parce que, soi-disant, le virus était dans le groupe
Le protocole UEFA a fait son boulot sans tout aseptiser, c’est déjà ça. Il nous a au moins permis d’apprécier ce qui est devenu le running gag de cette campagne de Nations League, LE geste technique de 2020, qu’on doit à Luc Holtz : rotation du cou à 90°, inclinaison légère du buste et jeter d’oreille (la droite) au-dessus de la table de conférence de presse dès que les masques portés par des médias – éloignés au maximum de son estrade – l’empêchaient d’entendre la question qui lui était adressée… c’est-à-dire quasiment tout le temps. «J’en ai marre. Je n’ai pas envie d’une autre campagne comme ça», a-t-il lancé immédiatement après le dernier match, visiblement usé par toutes ces précautions qui ont bouffé l’énergie de tout le monde, mâché jusqu’au dégoût l’intérêt de ces joutes jouées sans public.
Malgré tout, l’inévitable a fini par arriver. Malgré toutes les précautions, avant la dernière rencontre, la réception de l’Azerbaïdjan, un joueur a été contrôlé positif (Gerson Rodrigues) et un autre a été soupçonné de l’être (Anthony Moris). Là, Holtz a failli craquer : «J’étais fâché que la fédération annonce ces contrôles positifs aussi tôt dans la journée. De la fin de matinée jusqu’à l’heure du coup d’envoi, le président a passé son temps au téléphone avec l’UEFA pour savoir si on aurait le droit de jouer, tandis que moi, je l’ai passé avec tous les clubs de mes joueurs qui voulaient les rapatrier parce que, soi-disant, le virus était dans le groupe. Les joueurs ne savaient pas quoi faire. Ni si on jouerait ni si leurs clubs les laisseraient jouer. C’est presque un miracle qu’on ait fait match nul (0-0) dans ces conditions.» C’est presque un miracle qu’on ait pu jouer pendant trois mois dans ces conditions, tout court…
Julien Mollereau