La deuxième place finale de son équipe, les «révélations» Muratovic et Selimovic, la montée en puissance de Sinani… Le sélectionneur Luc Holtz dresse le bilan de cette campagne.
Quel sentiment prédomine au lendemain de cette campagne de Ligue des Nations ? La fierté d’avoir pris dix points alors que l’objectif initial était d’éviter la relégation ou la déception d’être passé à côté d’une perf qui aurait été historique alors que vous aviez tout en main voici cinq jours pour la réussir ?
Luc Holtz (51 ans) : Ni l’un ni l’autre, je vous avoue… J’ai surtout aimé la façon dont nous nous sommes présentés, dont nous avons joué, dans les six matches que nous avons disputés dans cette compétition. Six rencontres où nous avons dominé nos adversaires. Et ce, dans des contextes jamais simples, vu les nombreuses absences. Cette équipe s’est transformée, d’une équipe qui réagissait à une formation qui est, désormais, active. Avec davantage d’attaques placées. Davantage d’automatismes également dans le positionnement. Et sur le plan de la gestion défensive, on est passé d’un “bloc bas“ à une équipe qui presse. J’ai adoré voir mon équipe jouer le contre-pressing mardi face à l’Azerbaïdjan. C’était, à mes yeux, du très haut niveau. Et ça, c’est la clé du succès.
Mais, au final, le Luxembourg termine deuxième de son groupe derrière le Monténégro…
Si vous regardez tous les matches dans cette poule de Ligue des Nations, vous verrez que le Monténégro a souvent été très moyen. Mais les Monténégrins possèdent un joueur qui a décidé de l’issue de plusieurs matches : Stevan Jovetic (AS Monaco). Mardi, il fait le 1-0 puis donne deux passes décisives. À l’aller, à Chypre, il met les deux buts des siens. Contre l’Azerbaïdjan, il fait le 1-0…
Au final, on ne monte donc pas à l’étage supérieur, dans la Ligue B. Mais comme je le disais mardi après le match, je me demande si ce n’est pas un mal pour un bien. On ne sait pas encore ce que l’UEFA va mettre en place au niveau de cette Ligue des Nations pour une troisième édition programmée dans un peu moins de deux ans. Mais si elle garde le modèle qui a prévalu en 2018, c’est-à-dire offrir un ticket pour l’Euro (NDLR : qui se passera en Allemagne en 2024) à chaque vainqueur de Ligue, on aura notre carte à jouer dans cette Ligue C, comme on vient de le montrer avec ce qui reste un groupe très jeune.
Si on est au complet, on peut poser beaucoup de soucis à n’importe qui. Même aux équipes les plus fortes.
Vous évoquez un championnat d’Europe 2024 qui devrait se jouer à 24 nations, comme les précédents. Or, quand on voit l’âge des joueurs de votre cadre, avec un Gerson Rodrigues qui, au moment d’entamer cette phase qualificative, aura 27 ans, des «Kiki» Martins et Danel Sinani qui seront âgés de 25 ans, un Vincent Thill qui aura fêté ses 22 printemps et des «vieux», les Anthony Moris, Lars Gerson et Maxime Chanot, qui n’en auront que 32, on se dit que vous avez dans un coin de votre tête de réussir un «truc» à ce moment-là…
Je vous avoue que je ne pense pas aussi loin. Mais on est d’accord que c’est une situation qui pourrait devenir très intéressante… En attendant, je regarde un peu plus près de nous, avec les qualifications pour la prochaine Coupe du Monde (NDLR : au Qatar en 2022) dont le tirage aura lieu début décembre et dont les qualifications débuteront en mars prochain. Enfin, je dis plus près de nous mais cela va être long d’attendre jusqu’en mars pour revoir ce groupe. Comme j’ai dit aux garçons mardi, j’ai déjà hâte de les retrouver. Je leur ai expliqué quel plaisir c’était de travailler avec eux, avec ce staff. On est un groupe très uni, très soudé.
Vous attendez quoi du tirage des éliminatoires de ce Mondial au Qatar ?
J’avoue que je suis assez impatient d’y être, même si je ne m’en suis pas encore vraiment tracassé. J’attends déjà que la FIFA fixe les chapeaux. Ensuite, je regarderai ce qui pourrait me plaire, même si cela n’aura aucune influence… Quel que soit le tirage, si on est au complet, on peut poser beaucoup de soucis à n’importe qui. Même aux équipes les plus fortes. Je ne dis pas qu’on va les battre mais qu’on peut ennuyer beaucoup de monde.
Il ne faut pas oublier qu’un garçon comme Maxime Chanot, qui reste très important pour nous, a loupé toute cette campagne. Ou qu’un “Kiki“ Martins n’a pu jouer que les deux premiers matches. Alors qu’il est peut-être LE joueur clé dans le milieu. Ou en tout cas un des éléments clés. De par son profil qui est différent des Leo Barreiro ou Vincent Thill. Sa puissance physique a manqué notamment. Rappelez-vous comme on a dominé nos deux premiers matches, avec lui, face à l’Azerbaïdjan et au Monténégro… Si on peut déjà récupérer ces deux-là… Après, il y a aussi “Oli“ (Thill), qui était suspendu, et Tim (Hall) qui reste un élément qui aurait eu sa chance ce mardi en défense centrale – même si Enes (Mahmutovic) a sorti un match solide. J’espère qu’il va bien évoluer dans son club de Gil Vicente. Et puis, je pense également à un Dave Turpel avec un profil comme on en a très peu… Je lui souhaite de revenir le plus vite possible après ses pépins de santé.
Je reste persuadé que si la volonté de jouer dans le nouveau stade en mars est présente, alors cela se fera. Après, si celle-ci est absente…
Une campagne dont on ne sait pas si elle débutera ou non dans le nouveau stade, à la Cloche d’or…
J’ai hâte qu’on occupe ce nouveau stade et qu’il devienne notre forteresse! Sera-t-il prêt pour le mois de mars? Je l’ai visité voici huit mois et j’avais déjà l’impression qu’il était presque fini. Je reste persuadé que si la volonté de jouer là-bas à cette période-là est présente, alors cela se fera. Après, si celle-ci est absente…
En attaque, Edvin Muratovic a été une petite «révélation» sur ce dernier mois. Il joue avec le F91 en BGL Ligue mais, pour son évolution, vous devriez aimer le voir repartir vers l’étranger, non ?
J’ai discuté avec lui, de sa façon de jouer. Il y a beaucoup de choses qu’à 23 ans, il effectue déjà correctement. Je l’ai entraîné chez les U15 et j’ai pu constater qu’il s’est très bien développé. Manou (Cardoni) a fait un super travail avec lui, tout comme l’entraîneur qui s’en occupe à Dudelange (NDLR : Carlos Fangueiro) et à qui j’ai téléphoné à l’entame de cette saison. Mais il y a aussi pas mal d’autres choses qu’il doit encore travailler. Son explosivité. Le fait que dans certaines situations, il a un petit temps de retard sur son adversaire. Il doit améliorer son jeu sans ballon et dans l’anticipation, sa lecture du jeu aussi. Autant de choses qu’il ne pourra apprendre que dans le monde pro. Là où tout va beaucoup plus vite. Vous pouvez demander à Aurélien Joachim, il sait de quoi je parle. J’en ai aussi parlé un peu avec Laurent (Jans), qui possède une belle expérience hors de nos frontières. Plus tu montes de niveau, plus la vitesse augmente. Celle du ballon, la vitesse cognitive également, la précision technique, l’intensité…
On a aussi véritablement découvert un Vahid Selimovic brillant sur les premiers matches avant de manquer de réussite face à Chypre : une blessure à l’aller, une exclusion et un penalty concédé au retour.
J’avais été le voir lorsqu’il jouait toujours du côté de Limassol, à Chypre. On avait parlé et il m’avait demandé comment je le voyais et s’il aurait à un moment sa chance. La défense centrale est un des postes où on a le moins de soucis. Avec un Chanot de grande qualité, Lars (Gerson), Enes, Tim… Le hasard a voulu qu’avec l’absence de Maxime, il ait eu sa chance et qu’il ait su la saisir. Et, au final, le fait que Max ne soit pas là n’a pas pesé.
Selimovic livre souvent de grosses prestations mais, de temps en temps, il lui arrive de passer à côté d’un ballon, d’un duel, et cela peut se payer cash. On l’a vu avec l’OFI Crète face à Olympiakos notamment ou à Chypre avec la phase du penalty. Un souci de concentration, de jeunesse ?
Je ne pense pas. Par moments, un joueur peut être trop concentré sur le ballon. À en oublier la place de son adversaire sur le terrain. J’ai discuté du penalty concédé à Chypre avec lui. Il m’a avoué que son positionnement n’était pas bon. Parfois, être 50 centimètres plus à gauche ou plus à droite peut avoir de graves conséquences. Quand on sait qu’il a été mesuré qu’un joueur pouvait parcourir jusqu’à sept mètres en une seconde… Les détails, c’est ça le haut niveau. Il faut arriver à minimiser ses erreurs. Pour Vahid comme pour les autres. Après, le concernant, il faut aussi avoir en tête qu’il a été blessé quinze jours et qu’il a pris un carton rouge en club lorsqu’il est revenu. Cela peut expliquer un peu moins de sûreté. Mais s’il répète les matches à un bon niveau avec son club, tout va vite se remettre en place. Il ne faut pas qu’il doute en tout cas.
Sinani, cela ne fait que 3 ou 4 mois qu’il est dans le monde pro et tu vois qu’il a déjà progressé
Sur cette campagne, on a eu la confirmation qu’on pouvait compter sur le trio Gerson Rodrigues (25 ans), Danel Sinani (23 ans) et Vincent Thill (20 ans) pour briller sur le plan offensif dans les années à venir…
Ce sont ceux qui ont des qualités techniques supérieures à la moyenne… Je l’ai déjà dit mais ce n’est pas un hasard si Gerson évolue à Kiev et joue la Ligue des Champions cette saison. C’est du très haut niveau. Évidemment, il y a des moments où il est un peu moins bien. Mais quand on prend l’évolution de ce garçon sur trois ou quatre ans, ce n’est plus le même joueur.
Concernant Vincent, j’ai discuté avec lui sur ce rassemblement. Parce que je le voyais un peu moins souriant, je le sentais moins bien. Il n’était pas aussi décisif qu’il l’aurait voulu. Or, c’est un gamin orgueilleux… Je lui ai expliqué qu’il venait de changer de pays, de culture, en partant au Nacional Madère. Tout ça demande un petit temps d’adaptation. Qui plus est, son équipe possède beaucoup de qualités athlétiques…
En caricaturant à peine, on pourrait presque dire qu’elle ne joue que là-dessus. Et très peu avec le ballon…
On va dire qu’ils jouent sur l’envie, l’intensité des duels… Et je pense que Vincent avait le sentiment qu’on lui demandait aussi d’évoluer ainsi. Or je lui ai rappelé que ses qualités à lui étaient surtout techniques. C’est un garçon qui va tellement vite dans les petits espaces, qui a une telle qualité de dribble, de fluidité…
Et Danel Sinani ?
Lui, cela ne fait que trois ou quatre mois qu’il est dans le monde pro et tu vois déjà qu’il a progressé. Dans son volume, ses déplacements, les duels. Il est en plein montée en puissance et va encore se développer dans les prochains mois. Après, dans les 20 derniers mètres, c’est du haut niveau. Une précision incroyable.
Entretien avec Julien Carette