À bout après de longues semaines d’entraînements sans duels, pas autorisés à jouer mais dans l’urgence de leur préparation, des clubs ont franchi la frontière pour disputer un match, vendredi soir.
Hamm – RFCU à… Guénange ? Eh bien oui, c’était vendredi soir, quelque part entre Thionville et Amnéville, pour ceux que la géographie lorraine rebute. Le Fola Esch ? Oui, oui, lui aussi a joué, mais juste derrière une autre frontière, celle de Belgique : à Arlon, contre l’US Esch, qui avait pris la peine, en début de semaine, de tester tous ses joueurs, par pure logique sanitaire.
Il y a une bonne semaine, dans une lettre conjointe, les clubs «européens» ont réclamé de toute urgence l’autorisation de se réentraîner de manière conventionnelle, c’est-à-dire en groupe, avec des têtes, des duels, mais aussi de disputer enfin des rencontres pour faire du rythme. La réponse est arrivée elle aussi vendredi, à un moment où le pays recommençait à s’inquiéter de la résurgence de l’épidémie : négative. Mais avec la perspective d’une réétude du cas ce week-end, qui pourrait donner lieu à une réponse positive… lundi.
Opposition interne, mais… en extérieur
Déçus mais résignés, Differdange et le Progrès ont décidé de jouer le jeu vraiment jusqu’au bout et de se donner rendez-vous lundi soir. Pétange, lui, a changé son fusil d’épaule dans l’urgence : ce samedi, il se rendra à Longwy pour une opposition «interne», mais en externe. Cherchez l’erreur.
Dans cinq semaines, les quatre représentants luxembourgeois en Coupe d’Europe sont censés être prêts. Yassine Benajiba, directeur sportif du Titus, met les pieds dans le plat : «Mercredi, on doit affronter Differdange. Et le Progrès vendredi. Si on nous dit toujours « non », alors on délocalisera. On est obligés, on ne peut pas rester comme ça ou en Europe, on va se trouer !»
Cette situation ubuesque de clubs luxembourgeois surcontrôlés (le Titus, par exemple, en est revenu à deux tests par semaine après qu’un jeune du club a été contrôlé positif au Covid-19), contraints d’aller jouer à l’étranger, dans des endroits où l’on n’est pas tenu à la même rigueur, a déjà fait réagir et pas qu’un peu. «Un manque de respect, balance un coach qui tient à rester anonyme. Ce n’est vraiment pas sérieux.»
Coincés par une certaine logique sportive, les quatre qualifiés s’en étaient déjà presque excusés en amont des critiques, il y a une semaine. «On a attendu, avant de faire notre demande de dérogation, d’avoir la certitude que le gouvernement n’allait pas annoncer un redurcissement des règles à cause de l’apparition de nouveaux cas, avait indiqué Thomas Gilgemann, le directeur sportif niederkornois. On ne voulait pas passer pour des gens qui demandent des dérogations alors que tout le pays fait marche arrière.»
«Certains feront du covoiturage. C’est forcé»
Vendredi, ce sont les clubs qui se sont finalement décidés à passer la marche avant. Ils n’étaient plus possible pour eux, qui s’estiment déjà très largement dans les clous, de repousser leur vraie reprise. Et d’aucuns considèrent aussi qu’on les a poussés à cette extrémité qui va à l’encontre même des principes sanitaires voulus par les autorités, contraints qu’ils sont d’aller jouer dans des conditions moins sûres que celles qu’ils pourraient garantir sur leurs propres installations. «On a rendez-vous là-bas, sur place, relate Julien Klein, le capitaine du Fola. Je ne sais pas si chacun ira jusqu’à Arlon avec sa propre voiture, mais je me doute que certains feront du covoiturage. C’est forcé.» Confinés à plusieurs dans une voiture quand on leur interdit d’être à plus de cinq dans un grand vestiaire depuis trois semaines ?
Julien Mollereau
Les entraînements sans duels, l’absence de matches, tout autant que les relations de vestiaire au ras des pâquerettes commencent à saper le moral.
«Cela va faire bien cinq mois que je n’ai plus fait un seul tacle», s’amuse Julien Klein, le capitaine du Fola Esch. Vendredi, à Arlon, ce n’était pas encore le sujet. Sébastien Grandjean a bien fait comprendre à ses joueurs qu’ils n’étaient «pas là pour se blesser». Entre les lignes, on y va piano quand même.
Et justement, c’est ça qui leur file le cafard, aux joueurs des clubs européens qui ont repris depuis trois bonnes semaines : le tempo. Ils n’en peuvent plus des redoublements de passes en petits comités. Le foot, que diable, c’est un sport collectif qui se vit autant sur le terrain que dans un vestiaire. Mardi, Roland Vrabec a ainsi annoncé à ses joueurs du Progrès que le match programmé vendredi contre Differdange ne se ferait sans doute pas et ça a un peu ébranlé son capitaine, Sébastien Thill, pourtant pas du genre à se formaliser : «Là ça commence à faire ch… Tout le monde a envie de reprendre. Être là, à l’entraînement, dans ces conditions, c’est déjà mieux que rien, mais bon…»
Sa vie sociale de joueur de foot se limite ainsi au strict minimum. Le Progrès a de la chance, il dispose de six vestiaires, cela permet de bien dispatcher tout le monde. Le quotidien de l’aîné de la famille Thill se partage donc entre ses trois autres compagnons de cellule : Tom Laterza, Sébastien Flauss et Aldin Skenderovic. Eux et seulement eux. «Les autres… On se croise mais on se parle peu puisqu’on se tient à distance et qu’on travaille. Franchement, l’ambiance de vestiaire, celle où tout le monde parle, ça manque.»
Pas très loin de là, au Parc des sports d’Oberkorn, autre club, autre capitaine, même constat. «Nous, on est cinq par vestiaire, dénombre Geoffrey Franzoni. Je suis avec Joachim, Gobitaka, Lempereur et un petit jeune du club. On n’a pas choisi : le premier jour où on est venus, les listes étaient affichées sur les vestiaires. Du coup, on me demande : « Alors, les nouveaux ? » Je ne peux pas répondre parce que je ne sais pas. L’ambiance est… différente. Et puis on est cinq au vestiaire mais sept dans les groupes de travail. Ça, je ne le comprends pas. Vivement que ça reprenne, qu’on puisse un peu développer des affinités. Parce que là, on s’emmerde!» «Et on perd du temps», assure Thill…
J. M.