La Jeunesse Esch, lancée récemment dans une oeuvre mémorielle visant à créer un musée d’ici deux à trois ans, lance ce mardi, à 19 h, à la Frontière, une série de conférences sur des faits historiques ayant émaillé la vie du club, données par Denis Scuto. Cela commence ce mardi avec la tragédie de la noyade d’Adelio Mastrangelo, en juin 1939, dans le Niemen, en marge d’une tournée en Lituanie et Pologne.
On est en juin 1939. Dans trois mois, le 1er septembre, l’Allemagne nazie déclenchera la Deuxième Guerre mondiale et les Bianconeri, eux… prennent des congés exceptionnels. Sur ce continent qui s’apprête à s’embraser, à une époque où les travailleurs du Grand-Duché jouissent de… cinq jours de congés payés annuels, les joueurs de la Vieille dame vont poser deux semaines auprès de leurs employeurs, traverser le Reich en train et faire 1 700 kilomètres pour aller jouer une série de matches amicaux en Lituanie et Pologne.
«C’était une dictature mais ça montre bien le pouvoir du football»
C’est cette histoire que va raconter Denis Scuto pour lancer un cycle de conférences captivantes sur les destinées qui ont «fait» la Jeunesse Esch, à l’heure de 39-45. De celles qui inscrivent un club dans la grande Histoire. De celles qui doivent être racontées pour dire ce qu’était ce maillot rayé de noir et blanc il y a quasiment 100 ans.
Celle-ci, que l’ancien milieu de terrain (champion à neuf reprises en vingt ans de carrière) a baptisé «voyage tragique en Europe de l’Est», tourne autour des Mastrangelo, une famille émigrée des États-Unis et constituée de dix enfants, qui compte plusieurs footballeurs. Deux (dont un qui évoluait à l’Union et est venu renforcé le groupe) font partie de cette folle expédition organisée par l’entraîneur… juif de la Vieille dame, Max Gold. Cet ancien sélectionneur de la Lituanie et de la Pologne a calé six rencontres amicales dans les deux pays. Vu du XXIe siècle, cette simple tournée, avec les moyens de l’époque, avec le contexte de l’époque, semble hallucinante. «Moi aussi, avoue Scuto, je me suis posé la question de savoir pourquoi ils y allaient. Tout simplement parce que c’était dangereux! Surtout pour un entraîneur juif. La Lituanie venait d’être indépendante, mais c’était une dictature et cela montre bien le pouvoir du football : l’accompagnateur qui faisait des compte-rendus dans le Tageblatt raconte qu’ils ont franchi la frontière à Gdansk sans encombres. Malgré l’antisémitisme de l’époque, malgré le fait que ces territoires allaient collaborer avec les nazis pour l’extermination des Juifs.»
Enterré le jour de son anniversaire, après une collecte de fonds
La Jeunesse gagne ses deux matches en Lituanie. Et tout va tellement bien que l’équipe va tenter de profiter de ce dernier été d’insouciance. Direction le Niemen, le fleuve qui rafraîchit Kaunas. C’est là que se noue le drame. Adelio Mastrangelo, frère d’Helio, boxeur professionnel et maître nageur à Diekirch, va se laisser emporter par le courant sous les yeux de son frère, Claudio, en état de choc et qui ne parlera plus pendant de très longs mois. Les Nouvelles Sportives, un journal des années 30 qui est une émanation du COSL, rapporte qu’on a entendu Adelio crier et qu’on l’a retrouvé mort, deux à trois heures plus tard.
Que faire? Pleurer, oui, mais quoi d’autre? La Jeunesse choisit de finir sa tournée et d’aller, avec un brassard noir sur le bras, perdre ses quatre matches suivant en Pologne, contre Katowice, le Polonia Varsovie… Pendant ce temps, une forme de solidarité magnifique s’organise au Grand-Duché, pour rapatrier le corps du fils perdu. L’argent est un problème. Denis Scuto a retrouvé trace d’une collecte d’argent, avec livre de souscriptions et «on constate que toute la famille du football luxembourgeois a donné». Des photos témoignent de l’émotion que cette histoire suscite : «La rue de l’Alzette est noire de monde, le jour de l’enterrement». On est le 13 juin 1939, le jour où Adelio aurait eu 21 ans. Ce jour-là, ses coéquipiers sont encore en Pologne, en train de jouer. Il en reste des photos de mines sombres dans des maillots noir et blanc.
La suite s’écrira au mois de novembre, quand Denis Scuto nous parlera du destin de Max Gold…
Julien Mollereau