Chris Philipps, en fin de contrat dans un club de Lommel sans licence, dans un championnat belge dont on ne sait pas s’il reprendra, passe une partie de son temps à pratiquer l’e-sport.
Pour l’international, l’incertitude est à son comble. Son club pourrait se retrouver au fin fond des divisions amateurs d’ici une grosse semaine et demie, et si ce n’est pas le cas, il lui faudrait encore négocier la suite de son contrat. En attendant, il se morfond dans un appartement qu’il aura peut-être quitté début mai. Et pourtant, il conserve le sourire : la FLF l’a inscrit en binôme avec xfabinhoo, un gamer luxembourgeois, à un tournoi en ligne, le «eNations stay and play». Il aurait dû être officiel mais des problèmes techniques ont contraint la FIFA à le transformer en tournoi amical. Qu’importe…
Je ne suis pas
dépressif, ça va !
Une étude récente menée par le syndicat des joueurs professionnels a montré qu’un footballeur sur dix présente des symptômes dépressifs et qu’ils sont souvent liés à l’incertitude du moment. Vous qui baignez totalement dans cette incertitude, de par votre contrat, votre club et votre championnat, comment allez-vous ?
Chris Philipps : (Il rit) Je ne suis pas dépressif, ça va ! Mais c’est vrai que ce n’est pas le genre de situation qui peut plaire à grand monde. J’ai souvent Laurent (Jans) au téléphone et en Allemagne, ils ont un vrai projet de reprise, s’entraînent, sont entre amis même si c’est par six. Moi, je cours tout seul et je fais du gainage. Tout ça, ce n’est pas facile. Mes proches s’inquiètent, je leur dis que oui, c’est dur, qu’il faut savoir mettre le football de côté tant qu’on n’a pas de réponses. La seule certitude que l’on pouvait avoir vite, c’était la licence, mais ça non plus…
Vous deviez effectivement passer devant la Cour belge d’arbitrage pour le sport aujourd’hui, mais…
Mais cela a été repoussé d’une dizaine de jours. Comme Lommel est un club en vente et qu’il faut compléter le dossier avec des garanties du repreneur, ils ont obtenu ce délai. Donc maintenant, c’est début mai. Et je n’ai pas envie d’appeler mon directeur sportif, qui a d’autres choses à faire que de me répondre. Pourtant, je me pose des questions. Car si Lommel finit par descendre, alors ce sera de deux ou trois divisions et je ne pourrai pas rester. Aucune chance. Ceux qui me conseillent regardent déjà, parce que je dois y penser. Mais cela veut dire encore beaucoup de changements, une nouvelle ville, une nouvelle vie. Si la décision est négative, je dois déjà refaire mes cartons et appeler mon propriétaire.
L’étude dont nous parlions un peu plus haut dit que les joueurs en état de fragilité psychologique passent beaucoup de temps devant leur console. Or vous, vous êtes engagé dans un tournoi d’e-sport pour le compte de la FLF…
(Il rit) Oui, c’est un tournoi organisé par la FIFA. La fédération a contacté les joueurs de la sélection et comme j’avais envie de le faire, c’est tombé sur moi. J’ai accepté parce que l’e-sport, c’est intéressant et que cela prend de plus en plus de place. Notre pays est souvent en retard sur ce genre de choses alors il vaut mieux sauter dans le train maintenant. C’est un monde qui va grandir.
Mais on a du mal à vous imaginer passionné par ce monde.
Ça nous arrive de jouer des matches de « Play » (NDLR : Playstation) en stage avec la sélection. Mais jouer à FIFA, c’est différent car ça, c’est vraiment du foot. Tous les mecs qui, sur un vrai terrain, sont pas mal tactiquement comprennent ce jeu. Ils ne peuvent pas y être nuls. FIFA 2001, c’est le premier jeu auquel j’ai joué. Mes parents me l’avaient offert comme cadeau et depuis, j’ai joué à toutes les éditions.
J’ai joué à toutes les éditions de FIFA depuis 2001. C’est bien pour décompresser.
C’est comme un monde parallèle.
Souvent ?
C’est bien pour décompresser. C’est comme un monde parallèle qui te permet de ne pas penser à ce que tu vis au quotidien. Il m’arrive d’y jouer une heure ou deux quand je n’arrive pas à dormir, après un vrai match. Pour me vider de ce qui s’est passé sur le terrain. Très sincèrement, pour travailler la concentration, c’est pas mal. C’est même très bien.
L’e-sport comme complément au football ?
Même sur un entraînement, ton cerveau ne travaille pas tout le temps. Là, si. La concentration doit être totale. Je regardais xfabinhoo hier (NDLR : mardi soir) et dans leur match entre gamers, c’était impressionnant : la moindre erreur se paie. C’est comme dans le vrai foot.
Mais c’est vous qui avez affronté la star, dans ce match contre la Belgique.
Oui, moi, j’ai gagné mon match contre Thibaut Courtois (2-1). Il ne joue pas trop mal mais je dirais que la meilleure équipe a gagné.
Vous n’avez pas fait match nul sur l’ensemble des deux matches ?
Si, on a fait 5-5 en score cumulé mais c’est nous qui passons au prochain tour. Parce que quelques heures avant le match, ça a commencé à être le cirque : nous, on avait choisi de jouer avec l’équipe du Real Madrid et apparemment, cela ne semblait pas super fair-play à beaucoup de gens que Hazard et Courtois se retrouvent à jouer l’un contre l’autre dans le jeu. Donc on a opté, nous, pour prendre la Belgique, comme eux. Ainsi, tout le monde avait les mêmes joueurs. Mais voilà, nous, on s’était entraînés avec le Real, on avait mis en place des habitudes, des tactiques. J’imagine que c’est pour ça, par courtoisie, que les Belges nous laissent continuer, par rapport à leur conscience.
Avez-vous pu échanger avec Thibaut Courtois ?
Dans ses paramètres, on ne peut pas lui faire de demande d’amitié. Il faut dire qu’énormément de monde le suit dans ses parties. Mais c’est lui qui m’a « ajouté ». C’est bizarre quand cela s’affiche sur ton écran. C’est marrant quand Thibaut Courtois te demande comme ami. Lui, je crois qu’il joue vraiment beaucoup. Tout de suite après notre partie, il a filé sur Fortnite !
Vous risquez de vous faire pas mal de prestigieux amis virtuels ces prochaines semaines, alors ?
L’Angleterre (NDLR : que le Luxembourg devait affronter mardi soir également) s’est retirée à cause de l’annulation. Mais là, on est en quarts de finale et je crois avoir compris que nous rencontrions la Suède vendredi… Mais bon, à l’heure actuelle, je ne vis pas que pour ça non plus. Enfin… ça reste virtuel mais c’est du football. Et c’est l’occasion de rencontrer des gens. Cela fait de belles petites histoires, des anecdotes. Allez savoir si on rencontre la France ou l’Allemagne (NDLR : défendue par l’international espoir de Fribourg Nico Schlotterbek)…
Vous jouez avec le maillot des Roud Léiwen sur les épaules ?
En fait, je n’ai même pas de caméra sur la Playstation pour que les gens puissent voir ça. Je ne vais pas en acheter une pour trois fois un quart d’heure ! La FLF m’a effectivement demandé si je pouvais mettre un maillot, mais je n’en ai pas à Lommel. Mais je crois qu’ils vont peut-être essayer de m’en envoyer un d’ici le prochain match.
Entretien avec Julien Mollereau