Le football reprend (9e journée de BGL Ligue) mais il n’y a pas de quoi se réjouir. Sans public, sans buvette, certains clubs ont très peur pour leur avenir. Et leur quotidien fait déjà frémir.
Au secours, on rejoue au foot ! Dans une Division nationale à plusieurs vitesses, on a fini par en arriver exactement là où les clubs craignaient qu’on en arrive : le maintien du jeu mais la fermeture des buvettes et une limitation extrêmement stricte des spectateurs, à savoir pas plus de 100 personnes en tribunes. On coupe finalement les petits clubs d’une partie de leurs ressources. Faut-il craindre le drame ?
Tout récemment, les clubs de la Ligue ont calculé une recette moyenne sur la base des huit premières journées de championnat. Un match à domicile représente 7 000 à 8 000 euros mais tout le monde ne regarde pas ce montant de la même manière et un premier président s’irrite : «J’ai bien vu lors de la réunion que certains s’en foutaient complètement de jouer devant des tribunes vides. Ils sont cinq ou six peut-être à ne penser qu’à eux et à leur qualification européenne. Mais même chez les autres, certains n’avoueront même pas leur crainte de cette situation parce qu’ils craignent de faire peur à leurs joueurs… et leur réaction. Mais en vrai, d’ici à mi-décembre, on risque tous de perdre plus de 20 000 euros. Sans compter les manifestations qu’on n’a pas pu organiser cette année. Et là, on approche les 40 000 euros!».
En vrai, d’ici à mi-décembre, on risque tous de perdre plus de 20 000 euros
Il suffit d’ouvrir le répertoire pour trouver un président qui dit les choses ouvertement, et ça fait mal. «Si la situation qu’on nous impose aujourd’hui perdure, il faudra soit augmenter les recettes mais je ne vois pas comment, soit réduire les dépenses. Et notre réflexion est vite faite. Vous voyez où je veux en venir?» Virer des joueurs? «J’ai ma réponse. Mais je ne préfère pas vous la donner.» En janvier ou en juin? «Là encore, j’ai ma réponse. Mais je ne préfère pas non plus vous la donner.» C’est qu’ils sont beaucoup à se demander comment l’on peut, aujourd’hui, leur demander de travailler sur leurs réserves, de jouer à perte. Imaginez un peu les manifestations phares des clubs au Luxembourg. La Jeff Strasser Cup de Mondorf par exemple? À l’eau. La journée du football à Ettelbruck? Aux orties. Et ces clubs qui rivalisent d’inventivité pour mettre du beurre dans les épinards comptent aussi parmi les plus impactés.
Mais leurs présidents se refusent aujourd’hui à prendre la parole de peur de dire des choses qu’ils pourraient penser. Les déboires des autres suffisent à raconter ce que doit être leur quotidien. La palme à ce club dont le président désabusé indique avoir «été acheter des tests antigéniques en Allemagne, dix jours avant qu’ils n’arrivent officiellement au Grand-Duché, pour tester les joueurs et se sentir en sécurité. On a dû déclarer être un hôpital pour pouvoir les acheter». Et l’on sent bien qu’avoir eu recours à ce genre de stratagème lui fait mal au cœur.
Il y en a d’autres qui se retrouvent confrontés aux appels agacés de leurs abonnés qui s’inquiètent de savoir s’ils pourront rentrer au stade. Dur, car ce ne sont pas 100 places qui seront mises à leur disposition, mais 100 places moins 15 octroyées à l’adversaire et quelques autres pour les médias et l’observateur d’arbitre. «On va essayer de mettre en place un streaming, encore une fois à nos frais, pour conserver ce public qu’on a beaucoup travaillé pour fidéliser», balance un dirigeant dont on se demande s’il ne regrette pas que RTL n’ait pas encore rendu opérationnel le système de caméras 4K dont le diffuseur avait dit qu’il serait prêt dès septembre et qui ferait beaucoup de bien pour la visibilité, en temps de crise.
On a dû déclarer être un hôpital pour acheter des tests antigéniques en Allemagne
L’institution médiatique n’est toutefois pas la seule à en prendre pour son grade. Souvent pris pour cible, le ministre des Sports, Dan Kersch, en a repris une couche par un dernier président qui ne comprend toujours pas que son «ministère continue de parler de contrats de travail en BGL Ligue (NDLR : et donc de sous-entendre que le chômage partiel volera au secours des clubs le cas échéant). Moi, dans mon club, on n’en a pas un seu l! Ce que croit Monsieur Kersch n’est pas la réalité ! On a essayé de le contacter pour lui expliquer, mais il n’a visiblement pas le temps. En attendant, ses commentaires nous font mal.»
Tout n’est pas noir. Ou plutôt, tout le monde ne voit pas tout en noir. Les optimistes sont aussi ceux qui espèrent que la FLF ou le ministère finiront inévitablement par voler au secours des clubs. «Non, on n’ira pas au point de limoger des joueurs, lâche un big boss presque serein. Mais entre notre soirée Beaujolais, nos bals, notre cavalcade… on perd un tiers de nos recettes déjà. Je n’ose pas imaginer qu’on nous laisse seuls comme ça, en ne sachant pas où on va, pour boucler la saison. Non, on va nous aider et on va s’en sortir !»
De toute façon, tout le monde aujourd’hui prend ses renseignements et entend lire les informations comme il les entend. «Selon mes infos, c’est fini lundi. Après, on nous empêchera de jouer», croit savoir un président qui a des relais dans les sphères politiques. Pour l’heure, le gouvernement a pourtant redit que les sportifs d’élite ne seraient pas impactés, même si le huis-clos total leur pend pourtant au nez. «Ah parce qu’on est sportifs d’élite, nous ? C’est quoi la définition au juste ? Parce que nous, on joue pour notre public. Et là, on n’en a plus…».
Julien Mollereau