Noël Tosi, nouveau coach de la Jeunesse, a eu un mois et demi pour redresser le moral et le foot d’une équipe qui rêve encore de bien finir la saison. Interview «psychologie magazine».
Quand il est arrivé, début janvier, Noël Tosi a fait de son sens psychologique une de ses vertus cardinales, de celles qui pourraient permettre à la Vieille Dame de faire son introspection et de finir la saison bien mieux qu’elle ne l’a commencée. Après un mois et demi de thérapie, on est donc allé frapper à la porte du cabinet, pour savoir s’il reste des séquelles post-traumatiques.
À quoi cela ressemble-t-il, un premier jour de prise de contact avec une équipe restée sur quatre défaites consécutives en championnat et qui n’a plus gagné depuis le 9 novembre ?
Vous voulez que je vous raconte ? Eh bien j’ai collé un autocollant Panini de Nicolas Huysman dans le dos de Pascal Molinari (NDLR : le directeur sportif du club) avant qu’il ne rentre dans le vestiaire pour saluer les joueurs, le jour de la reprise.
Vous avez fait quoi ?
Ça m’est venu comme ça, au dernier moment. J’ai collé un de ces autocollants qu’on trouve dans l’album du club, dans son dos, sans qu’il s’en aperçoive et quand il est entré, les joueurs étaient morts de rire. Lui se demandait ce qui se passait, s’il avait marché dans quelque chose. Il fallait détendre l’atmosphère et Pascal aime bien rire. Mais là, c’était une façon de faire comprendre aux joueurs qu’on allait travailler mais qu’on pouvait aussi le faire de façon décontractée, sans pression.
Le bonheur, c’est simple comme une petite blague ? Vous n’avez pas eu besoin de séance de team-building ?
Oui, on a bien passé une ou deux petites soirées ensemble mais ce n’était pas l’essentiel. J’avais surtout besoin de connaître d’eux tout ce qui était football. C’est à l’entraînement, quand on les voit se monter les uns sur les autres au moindre petit but, qu’on devine qu’on a atteint l’état d’esprit voulu. Les premières séances, ils étaient en observation, mais ils ont vite compris qu’ils allaient avant tout prendre du plaisir, se régaler, même en bossant tout le reste de la journée.
La préparation s’est donc idéalement passée ?
Super bien. Mais il n’y a que le résultat qui compte. J’ai une grande expérience et je savais que j’arriverais à les remettre dans le bon sens. Quand je vois l’ambiance et l’état d’esprit, je sais que j’ai déjà réussi mon coup, on sent que quelque chose a changé, mais tout ça n’existe pas sans les résultats. Mais je sais que ça va réussir. On ne peut pas avoir aussi bien bossé et afficher une telle mentalité sans que cela marche. Et ces joueurs sont des gars extras, comme j’en ai rarement vu.
Des joueurs intelligents mais que beaucoup d’observateurs trouvent peut-être trop gentils.
Alors je vais vous citer un homme qui s’appelle Alain Cayzac. Il a dirigé Havas (NDLR : la célèbre agence publicitaire française) et le Club Med. Il a aussi été président du Paris Saint-Germain (NDLR : entre 2006 et 2008). Cet homme a écrit un livre intitulé Tout ce qu’on ne m’a pas appris à l’école (Éditions du moment, 2010) en lequel je crois. Ce livre commence comme ça : « Dans la vie, tout ce que j’ai réussi, eu ou gagné, je l’ai obtenu grâce à la gentillesse. » Donc je suis gentil. Après, c’est le charisme et la personnalité qui font la différence. Ce qui ne veut pas dire que je ne sais pas mettre des coups de pied au cul quand il le faut. Mais pour les mettre, j’ai ma propre technique : un coup de pied au cul et après un bisou. Seulement, il ne faut jamais oublier le bisou.
Quel est le mode opératoire d’une reprise en main ? La confiance d’une équipe de football se construit-elle individuellement ou collectivement ?
Avec ces joueurs, il ne fallait pas parler, il fallait montrer. Ils attendaient quelqu’un sur qui s’appuyer, un chef de file qui les traite comme des gars qui travaillent 8 heures par jour avant d’arriver à l’entraînement. Je vous l’avais dit lors de ma présentation, le job de coach c’est 80% de psychologie et de communication. Et la psychologie, ça se travaille à l’entraînement. On peut bien vendre aux joueurs le fait de jouer avec de l’envie et de la détermination lors du discours d’avant-match, mais si on n’a pas travaillé ça à l’entraînement en semaine, cela ne reste que des mots. J’ai tellement fait de conneries dans ma carrière de coach qu’aujourd’hui, j’en fais beaucoup moins. Alors je sais que la confiance d’une équipe, c’est collectif. L’institution est au-dessus de tout et là, il faut redorer le blason de la Jeunesse. Souder l’équipe passera par la victoire et je suis très confiant.
Pendant un mois et demi, vous avez dû mener une enquête afin de savoir ce qu’il pouvait manquer à ce groupe ?
Les pièces qui manquent au puzzle, ce sont les deux joueurs qui sont arrivés à l’intersaison (NDLR : l’attaquant Michaël Faty et le défenseur Vincent Peugnet). Derrière l’équipe première, il y a également un vivier de jeunes joueurs qui devrait assurer à ce club un avenir à court terme assez sensationnel. Notre recrutement, là, ce sera surtout de parvenir à les conserver.
Puisqu’on parle de Michaël Faty, est-ce un risque pour un coach d’arriver avec un joueur à lui – puisque vous l’aviez eu sous vos ordres les mois précédents du côté de Cherbourg –, se met-il un peu en danger de se retrouver fragilisé si la greffe ne prend pas ?
(Il s’anime) Tous les joueurs sont « mes » joueurs. À mon arrivée, je ne me suis pas prononcé tout de suite sur le recrutement quand j’ai repris le groupe. On a juste observé : on a un joueur puissant et bon de la tête (NDLR : Martin Boakye), plusieurs joueurs qui peuvent combiner dans des petits espaces comme Deidda, Arslan, Klica, Soares… Il nous fallait un gars qui aille vite vers l’avant et qui sache marquer des buts. Quand on a coaché un joueur qui plus est, on connaît son profil psychologique et il n’a pas fallu plus de 48 heures pour que tout le groupe l’adopte. C’est un chien qui ne lâche jamais rien et je savais qu’ici, il ferait l’unanimité. De toute façon, je le redis : tous les joueurs sont mes joueurs. Mettre des gens de côté, c’est un signe de faiblesse pour un coach. Un joueur, même s’il n’est pas en forme, même si on ne le sent pas, même s’il n’adhère pas, on se doit de tout faire pour le rendre titularisable.
Des joueurs « pas en forme », la Jeunesse en avait quelques-uns avant la trêve hivernale. Les avez-vous récupérés ?
Il y en a plusieurs qui ont encore besoin d’une quinzaine de jours. À la reprise, il y avait cinq ou six absents et seulement une grosse douzaine de joueurs aptes. On ne pouvait pas se permettre d’en perdre encore, donc on a fait une reprise plutôt soft. Le travail physique, on ne l’a fait que ces deux dernières semaines et encore, plutôt léger. Une bonne préparation, c’est une préparation sans blessé.
Dans votre carrière, vous êtes souvent arrivé dans des clubs qui allaient mal et cela s’est en général plutôt très bien terminé. Revendiquez-vous le terme de pompier de service ou le trouvez-vous galvaudé ?
Même si effectivement, on ne vient en général pas me chercher quand une équipe est deuxième et qu’il faut la faire terminer première, non, ce terme ne me plaît pas, il est plutôt dégradant. Moi je suis un coach et je fais mon job. J’ai autre chose à faire que de faire le pompier. C’est surtout une aventure humaine. Et en général, la réussite vient de l’extérieur. Il a donc fallu aussi travailler autour de l’équipe, faire de la communication. J’appelle le président tous les deux jours pour lui faire un petit compte rendu. Certains trouvent peut-être que c’est une façon de travailler spéciale, moi ça ne me gêne pas.
Ça ne vous empêche pas d’avoir du succès dans ce genre de situation.
Je ne vois pas comment il n’y aurait pas performance immédiate quand je vois ce groupe, d’autant que j’excelle dans ce genre de situations de crise.
Entretien avec Julien Mollereau