Betty Noël, défenseuse centrale du RFCU, aurait dû être un pilier de la sélection dames de Dan Santos, contre l’Angleterre. La FIFA l’a privée de son rêve…
C’est sans doute l’un des coups de téléphone les plus difficiles que Dan Santos ait eu à passer de sa carrière d’entraîneur. La jeune fille qu’il a appelée le jeudi 9 septembre aux alentours de 10 h 55, quelques minutes seulement avant la conférence de presse censée annoncer la toute première liste des Lionnes pour une campagne des éliminatoires de Mondial, s’appelle Betty Noël. Il y a deux ans, cette fille d’un couple de Luxembourgeois a commencé à multiplier les allers-retours avec Paris, où elle évoluait, pour intégrer les rangs de la sélection dès qu’une opportunité de jouer se présentait. Il y a un an, en pleine pandémie, elle se décide à partir trois mois en Suède pour trouver du temps de jeu et se maintenir au niveau dans l’attente de la compétition dans laquelle viennent finalement de se lancer ses coéquipières… sans elle. Il y a six mois, elle effectuait aussi un choix de vie fort, changeant d’emploi, rejoignant le RFCU pour, justement, éviter la multiplication des trajets en vue de ces éliminatoires qui lui tenaient tant à cœur. C’est tout cela que Dan Santos, à 10 h 58, a dû balayer d’un revers de main. «Je savais depuis une dizaine de jours qu’il y avait un souci, raconte Betty Noël. C’est resté secret, mais la fédération a présenté tous les documents possibles et imaginables, même un arbre généalogique. Ça n’a pas suffi. Je l’ai appris deux minutes avant l’annonce de la liste. Il y avait une liste A avec mon nom, une liste B sans mon nom. Vous avez eu la B. C’était horrible.»
L’arrière-grand-mère de Betty était luxembourgeoise. Née sur place. C’est une génération trop tard depuis que le Qatar et quelques fédérations sans foi ni loi ont largement abusé des naturalisations pour se bâtir des équipes nationales sans avoir à se donner la peine de les former et que les instances mondiales ont resserré les critères d’éligibilité sportive. Les grands-parents de Betty, ses parents, ont leur passeport grand-ducal, mais aucun n’étant né sur le sol national, la FIFA exige de Betty, à défaut d’un droit du sol avéré, qu’elle justifie d’une présence continue de cinq ans sur le territoire. Ce qui lui est impossible puisque sa vie, hormis une brève parenthèse de trois ans en Australie où elle a commencé le football, s’est écrite à Paris.
Sans ça, on n’a plus qu’à se tirer une balle
Capitaine face à la Bulgarie (0-3), lors d’un amical de septembre 2020, Betty Noël avait pris la parole dans le vestiaire avant le match, exhortant ses coéquipières à «profiter de chaque minute avec ce maillot», que «chaque match peut être le dernier». Or neuf mois et deux rencontres plus tard, c’est pour elle, que tout s’est arrêté, face à la Belgique, même si elle ne le savait pas encore : «Tout s’est arrêté d’un coup sans que j’y sois préparée. Moi qui passe devant le stade tous les jours pour le travail et qui n’arrêtais pas de me dire que le 21 septembre, il fallait que je sois là, sur cette pelouse, contre l’Angleterre…. ça pique.»
Depuis deux semaines, la famille, des amis, sous couvert de la soutenir, lui demandent si elle ne regrette pas son investissement inconditionnel dans une aventure qui n’a même pas pu commencer. Elle les rembarre d’un grand rire : «Mais si on avait su, il y a deux ans, que ce n’était pas possible pour moi de jouer pour cette sélection, jamais je n’aurais connu tout ça, les matches internationaux, les rassemblements… J’avais un objectif et c’est fini ? Je vais m’en trouver un autre. Sans ça, on n’a plus qu’à se tirer une balle parce qu’on trouve que notre vie est nulle !»
Elle en a d’autres, des objectifs, Betty. Impliquée dans la victoire du Racing, première équipe à passer un tour de Coupe d’Europe (face à Sarajevo), cet été, elle aimerait réussir à franchir deux tours, la saison prochaine. Tout en continuant à piloter à distance son académie de football basée à Paris et baptisée «Seconde chance», afin de parvenir à placer sous l’œil de recruteurs des joueurs et joueuses en rupture de ban(c). Mais à 33 ans, la décision irrévocable de la FIFA a sans doute définitivement mis un terme à ses rêves internationaux, alors qu’elle devait être un pilier de la défense, le dernier rempart devant Lucie Schlimé : «J’ai 33 ans. Je pourrai jouer au mieux à 37. Oui, la question se pose, mais soyons honnêtes : je ne pense pas que je jouerai encore en 2025. Non, la porte s’est fermée définitivement.»
Ça ne l’empêchera pas de supporter les Lionnes. Elle y était d’ailleurs, mardi soir, discrète, non loin du banc de touche des Anglaises. Elle en est sortie avec une analyse claire : «La marche était trop haute, mais c’est le chiffre 10 qui fait mal. La frustration vient aussi de ce qu’on n’a jamais pu retrouver notre jeu, ça allait trop vite. Les filles ont eu raison, d’ailleurs, de jouer si bas, de ne pas laisser d’espaces. Moi, sincèrement, à aucun moment je ne me suis dit que je n’aurais pas aimé y être à cause de la difficulté et du score. Ma frustration, à moi, elle vient de ce que j’aurais pu y être. Que j’aurais dû y être. Même pour en prendre 10.» Merci la FIFA.
Julien Mollereau