Au lendemain de la plainte d’une société d’Éric Lux à l’encontre de Flavio Becca pour «abus de biens sociaux», le mécène du F91 Dudelange serait à l’origine d’une réplique qui a autant secoué le monde du football luxembourgeois que celui des affaires, vendredi : le CS Fola Esch, présidé par Gérard Lopez, est pointé du doigt pour «blanchiment d’argent». Que la fête continue.
Mais où s’arrêteront-ils? Les portefeuilles les plus puissants du pays sont en train de se bagarrer à coups de révélations pas très glorieuses. Après le F91, c’est au tour de son rival, le Fola, d’être sur le devant de la scène.
Attaque, contre-attaque. L’affrontement que se livrent les deux hommes d’affaires Flavio Becca et Éric Lux a connu un nouveau rebondissement vendredi. Après le F91 de Flavio Becca jeudi, c’est au tour du Fola, le club rival de la Métropole du fer de se faire tacler par derrière.
Vendredi, la radio 100,7 a annoncé que la commission de l’octroi des licences UEFA avait dénoncé le club de foot d’Esch-sur-Alzette à la cellule de renseignement financier du parquet de Luxembourg. Selon cette commission de contrôle luxembourgeoise, le CS Fola aurait reçu 2 millions d’euros qui auraient été par la suite remboursés de manière frauduleuse. Une partie de l’argent aurait transité par Lynx Investments Limited, une société basée à Hong Kong. Cette société appartient à Éric Lux, copropriétaire de l’écurie F1 Lotus avec Gérard Lopez, ce dernier étant président du CS Fola. La boucle est bouclée. La commission évoque une possibilité de «blanchiment d’argent». L’accusation est lourde, la deuxième mi-temps du match Becca-Lux peut commencer.
Rappel : la première période a eu lieu lundi. Ce jour-là, une plainte pour «abus de biens sociaux» avait été déposée à l’encontre de Flavio Becca devant le parquet de Luxembourg. Dans ce dossier, les plaignants sont les sociétés Ikodomos Holding et Trivola, pilotées par… Éric Lux. La nouvelle a fuité dans la presse jeudi.
L’histoire est simple : le gardien du club dudelangeois Jonathan Joubert aurait bénéficié d’un cadeau du mécène du F91 Flavio Becca, c’est-à-dire une ristourne d’un peu moins de 45 000 euros sur l’achat d’un appartement estimé à 450 000 euros. Jeudi, le parquet a expliqué que si la plainte avait bien été enregistrée, aucune enquête n’avait été ouverte. Le dossier est actuellement étudié de près. Jeudi, Flavio Becca avait vertement réagi et évoqué sa lassitude «face à ce cirque ignoble». Il avait contre-attaqué en lançant une citation directe devant la chambre correctionnelle contre Éric Lux et ses sociétés pour «calomnie et diffamation».
Vendredi, nouveau rebondissement donc. La radio 100,7 a annoncé que le parquet a reçu un autre dossier à examiner : la dénonciation concernant ce remboursement de 2 millions d’euros au président du CS Fola Gérard Lopez. «Cette dénonciation a eu lieu récemment mais pas ce matin», a précisé, vendredi, le porte-parole du parquet Henri Eippers.
Là encore, les procureurs devront étudier de près les documents avant d’ordonner l’ouverture d’une enquête ou bien de classer sans suite ce dossier. Le parquet s’est, évidemment, refusé à tout commentaire mais semble être, bien malgré lui, l’arbitre de cet affrontement entre Flavio Becca et Éric Lux.
Ce nouveau coup bas entre les deux hommes a fait bondir les responsables du Fola. Par voie de communiqué, ils ont immédiatement riposté en rappelant que «tous les dons et sponsoring se font au CS Fola par des virements bancaires et toutes les opérations ont donc fait l’objet d’un contrôle par la Commission de contrôle du secteur financier de sorte qu’aucune irrégularité comptable voire même pénale ne pourra être décelée». Ils rejettent toutes les accusations parues dans les médias vendredi : «Il est formellement contesté que le CS Fola ait versé le montant de 2 millions d’euros à messieurs Lopez et Lux!» Le club doyen du football luxembourgeois s’étonne aussi «que des données confidentielles et inhérentes à la commission de contrôle de la licence UEFA de la Fédération luxembourgeoise de football (FLF) aient été rendues publiques». Le champion 2015, qui a succédé au palmarès au F91, a annoncé qu’il exigeait une enquête interne pour «confondre le ou les responsables».
Coup de pouce financier
Interrogé vendredi, le secrétaire général du CS Fola, Pim Knaff, était tout aussi vindicatif. Quand on parle de «blanchiment» dans cette affaire, l’avocat de profession coupe sèchement : «C’est faux! On a remboursé des dettes auprès de notre président qui nous avait prêté de l’argent. On a fait ce que fait tout bon débiteur, on a remboursé .» Et Pim Knaff d’ajouter sans se faire prier : «Le président a prêté de l’argent à son club durant les années 2008, 2009 et 2010, à une époque où on n’était pas où on est maintenant. Nous avons remboursé l’argent sur plusieurs exercices, nous avons remboursé ce prêt il n’y a pas des mois, mais il y a déjà des années !»
Ce coup de pouce financier à la fin des années 2000 a été nécessaire après des aléas économiques qui ont vidé les caisses du club comme la faillite surprise d’un des gros sponsors de l’équipe. Ce prêt de 2 millions était connu de tous selon Pim Knaff, que ce soit à la fédération ou auprès de la fameuse commission de l’octroi des licences UEFA.
« On a reçu la licence le 27 avril »
Selon le secrétaire général du CS Fola, ce type de prêt d’argent avec remboursement a même été recommandé par Price WaterHouse Coopers. Cet auditeur, indépendant, était d’ailleurs la principale caution des dirigeants du club eschois, vendredi, pour montrer leur bonne foi. Il est un acteur incontournable entre les clubs et la commission d’octroi de la licence UEFA.
En effet, c’est Price Waterhouse Coopers qui étudie à la loupe les comptes des clubs avant de dévoiler ses conclusions devant ladite commission. Ses membres suivent ensuite généralement l’avis des auditeurs pour délivrer la licence, le fameux sésame permettant de jouer des matches au niveau européen. Un système simple et clair. « Nous avons reçu la licence le 27 avril », rappelle Pim Knaff. Vendredi, la nouvelle de cette dénonciation a provoqué la surprise et la colère.
Le secrétaire général eschois se pose alors plusieurs questions. Comment la commission peut délivrer une licence UEFA à un club et dénoncer un hypothétique «blanchiment» d’argent à la justice quelques jours plus tard? Comment peut-on parler de «blanchiment» alors que Price Waterhouse Coopers a donné son aval aux membres de la commission concernant la bonne tenue des comptes du Fola.
Une histoire « pour détourner l’attention »
«La commission n’a rien eu à redire et nous a donc accordé cette licence , martèle Pim Knaff. Price Waterhouse Coopers est extrêmement strict et pointilleux. Je peux vous dire que si vous avez dépensé dix euros et que vous ne pouvez pas documenter cette dépense, c’est la catastrophe ». Alors deux millions d’euros… « Tout ça, toute cette affaire, ça va faire pschitt, résume le secrétaire général du CS Fola. Ce prêt avait été débattu, tout le monde était au courant, nous avons été parfaitement transparents.»
Pim Knaff a évidemment une petite idée concernant le commanditaire de ce mauvais coup porté à son club. «Cette histoire est pour détourner l’attention sur son concurrent, c’était prévisible», persifle l’Eschois qui se garde bien de nommer qui que ce soit. Le dirigeant évoquera seulement, tout comme le communiqué du comité du CS Fola, le «premier supporter» et «le mécène de notre plus grand rival sportif manifestement aigri par la défaite». En clair : Flavio Becca. En football, on appelle ça une contre-attaque. En affaires aussi.
Laurent Duraisin
A quoi joue Michel Wolter ?
Si le CS Fola ne se fait aucune illusion quant à l’identité de la personne qui se cache derrière ces soupçons de blanchiment d’argent, l’un des personnages forts de vendredi n’est autre que Michel Wolter. Le bourgmestre de Käerjeng, président du CSV de 2009 à 2014, a, parmi ses casquettes, une qui fait de lui le président de la première instance de la commission de l’octroi des licences de l’UEFA.
En substance, cette licence est une sorte de «permis de conduire» pour les clubs luxembourgeois et est d’autant plus indispensable pour ceux qui disputent régulièrement des Coupes d’Europe (F91 Dudelange, Fola Esch, Jeunesse Esch, FC Differdange 03). Reste que cette commission – dont la Fédération luxembourgeoise de football (FLF) n’a cessé de rappeler «l’indépendance» ces dernières heures – après la consultation d’un audit financier, dégaine un feu vert à la FLF signifiant que le club peut bénéficier de la licence UEFA pour la saison à venir.
Le CS Fola Esch l’a obtenu cette saison, comme tous les autres clubs de BGL Ligue. La dénonciation de «blanchiment d’argent» auprès du parquet provient étrangement de cette commission. Pour tenter de démêler ce paradoxe, nous avons tenté de joindre Michel Wolter à plusieurs reprises vendredi. L’ancien ministre de l’Intérieur était injoignable.
M. P.
Gérard Lopez a passé « une excellente journée »
Gérard Lopez a beau être un homme occupé, il était surtout un homme heureux, vendredi. «Oui, on peut dire que j’ai passé une excellente journée» , valide l’homme d’affaires. Et pour cause, dans la matinée, lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg, il venait de réaliser un gros coup en signant un accord de partenariat stratégique avec le gouverneur russe de Yamal, Dmitri Kobylkin. «Ce partenariat a été conclu en présence du représentant du président de la Russie (NDLR : Vladimir Poutine) pour le district fédéral de l’Oural, Igor Kholmanskih», précisait plus tôt dans la journée un communiqué envoyé par le porte-parole de Lopez. Le businessman hispano-luxembourgeois paraphait cet accord en qualité de président de Rise Capital, fonction toute fraîche qu’il occupe depuis la semaine dernière.
Objectif : 12 milliards de dollars
Rappel : Rise Capital est un fonds d’investissement russe basé en Suède et détenu à 50% par Nekton Group, dont Lopez est l’actionnaire principal. Nekton est spécialisé dans la levée de fonds pour des projets d’infrastructure pétrolière et dans le négoce de produits bruts et raffinés. «Je suis très content de cette signature. Nous avons eu l’occasion de faire du business ces deux dernières années avec des grosses banques en Russie et avions pu constater que les gens de Rise Capital étaient fiables, explique Lopez. Ils étaient actifs dans cette région du Yamal qui est la plus prometteuse. C’est la région qui détient les plus grandes réserves du monde. Il me semblait alors évident que nous devions nous revoir.»
Rise Capital, engagée en ce moment à hauteur de 2 milliards de dollars dans des projets d’infrastructure en Russie, compte développer ses capacités d’investissements au niveau de 12 milliards de dollars ces prochaines années.
Fatalement, le caractère astronomique de ces chiffres a été suffisamment important pour éclipser, aux yeux de Gérard Lopez, les dénonciations dont le Fola a été victime. Le président du club eschois s’est d’ailleurs refusé à commenter ce nouvel épisode qui malmène le foot luxembourgeois. Pour lui, il était temps d’entonner ce qu’il avait à entonner : hip hip hip Oural!
Matthieu Pécot
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