L’un est rabbin, l’autre responsable d’un groupe de supporters du mythique club de foot de l’Olympique de Marseille. Ensemble, ils font leur possible pour que leur ville du sud de la France ne tombe pas dans le « piège à cons » d’une importation du conflit israélo-palestinien.
Loin du soutien unilatéral à un camp ou des polémiques sur les réseaux sociaux, ils ont, le 24 octobre, avec un imam et un prêtre, passé un message de paix au pied de la « Bonne Mère », la basilique symbole de la deuxième ville de France.
Une centaine de personnes étaient présentes. « Pas beaucoup de monde mais c’est comme ça qu’on a pu maîtriser, on avait peur que quelqu’un dise une connerie ou sorte un drapeau » autre que marseillais, se félicite Rachid Zeroual, responsable des South Winners 1987, plus grand groupe de supporters de l’OM avec 7.500 adhérents.
« J’ai grandi avec des Juifs, des Italiens, des Corses, des Espagnols. Etant minot on n’avait pas ce souci de quelle est ta race, quelle est ta religion », explique cet homme d’origine algérienne à la voix rocailleuse.
« Il faut arrêter de parler, de penser au nom de Dieu », embraye le rabbin Haïm Bendao pour qui le conflit opposant Israël aux Palestiniens « n’est pas religieux » mais « politique ».
Sourire indécrochable, souvent en jogging, kippa accrochée au sommet du crâne, il exerce depuis 25 ans dans les quartiers déshérités du nord de Marseille.
Depuis le 7 octobre, jour de l’attaque sans précédent lancée contre Israël par le Hamas et les bombardements massifs de l’armée israélienne qui ont suivi sur Gaza, ils se parlent tous les jours.
La division, la haine, « c’est un piège à cons. Si on tombe tous dedans, on est mort! », lance Haïm qui assume s’inspirer du pape François, venu vanter en septembre la « coexistence pacifique » régnant à Marseille.
La cité portuaire, qui a accueilli des vagues d’exilés d’Arménie, d’Italie, du Maghreb, abrite aujourd’hui les communautés juive et musulmane parmi les plus importantes du pays.
Deux jours après le rassemblement à la « Bonne Mère », lors du match de Ligue Europa contre l’AEK Athènes, il n’y avait pourtant dans la tribune du stade que des drapeaux palestiniens, dont un géant.
« Quand j’ai vu ça, je leur ai dit (aux supporters) : ‘vous le descendez de suite’. Quand c’est des actions individuelles, avec un drapeau sur les épaules, je veux bien (…). Mais si on prend un mat des Winners et qu’on met un drapeau, non ! On met les deux drapeaux », israélien et palestinien, s’emporte Rachid.
« Tout le monde se sent obligé de donner son avis mais quand notre trésorier a sorti la carte du monde aux jeunes au local et leur a demandé où est située la Palestine, ils ne savaient même pas », poursuit cette figure marseillaise.
Le match suivant, le rabbin, supporter de foot, a répondu à sa façon en arrivant au stade avec un drapeau « peace » sur le dos.
« Dialogue constructif »
« Je reste convaincu avec mon cher ami et frère Haïm que la solution est dans le dialogue constructif », souligne l’imam Alain Hassan Rajii, aumônier régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Ce n’est pas facile tous les jours et un autre imam confie préférer « l’invisibilité médiatique » dans un climat qu’il juge « hystérique ».
« La haine, est-ce qu’on y consent ou est-ce qu’on y oppose quelque chose ? Ce serait désolant de construire un face-à-face », analyse Thierry Fabre, organisateur depuis 30 ans des populaires « Rencontres d’Averroès » à Marseille, où dialoguent des gens de toute la Méditerranée, dont des Israéliens et des Palestiniens.
« Il ne s’agit pas de crever séparément mais de vivre ensemble », plaide-t-il, citant l’écrivain français Albert Camus.
Bien sûr, avec « celui qui ne veut pas me serrer la main quand je vais à la mosquée, ça sert à rien », relève Haïm Bendao mais « il y en a un sur 100 ».
« Ce conflit est territorial, politique, depuis des dizaines d’années », dans un monde méditerranéen où les « interrelations entre juifs, musulmans et chrétiens » sont anciennes, rappelle encore Thierry Fabre. À Marseille, juifs et musulmans maghrébins ont souvent connu la même douleur de l’exil.
À l’OM d’ailleurs, le groupe de supporters « s’est construit sur le cosmopolitisme », relève Jules Sitruk, diplômé d’une grande école de commerce et habitué du virage Sud. « Ceux qui ne sont pas dans cette démarche sont exclus ».