Lundi soir, Gianluca Di Marco a qualifié le Luxembourg pour l’Euro au bout de cinq heures derrière sa manette, dans son salon de Remich. Un peu de foot, même virtuel, ça fait du bien. Récit.
Le hasard fait parfois bien les choses, même quand on s’en passerait bien. Alors que le football luxembourgeois est à l’arrêt comme tout le reste de la planète, l’équipe luxembourgeoise d’e-sport en a profité pour se qualifier lundi soir pour la phase finale de l’Euro. Il n’y a bien que ceux qui œuvrent depuis leur salon qui peuvent encore pratiquer, et les Roud Léiwen de la manette ont frappé un très grand coup.
Gianluca Di Marco alias Golf_Rrrrracer (photo en bas à droite), qui a assumé tous les matches retour du groupe (Steve Wissmann alias Tristaan89 était retenu par son travail, photo en bas à gauche), a bataillé cinq heures, concédé le nul à la Lituanie (4-4), battu difficilement le Kosovo (5-4) et l’Irlande du Nord (5-3), mais laminé le Belarus (7-0) et la Géorgie (13-3), permettant de faire passer le Luxembourg de la troisième place (après les matches allers, il y a deux semaines) à la 1re. Le Grand-Duché sera donc représenté les 23 et 24 mai prochains pour la phase finale, au milieu de pays comme la France ou l’Allemagne. Un sacré exploit que nous a raconté dans le détail Gianluca Di Marco. Le héros du jour a 32 ans, vit à Remich et fait concessionnaire auto dans le civil.
Expliquez-nous un peu comment vous avez pu vous retrouver à jouer cinq heures d’affilée, lundi soir, pour décrocher seul cette qualification inespérée ?
Gianluca Di Marco : Tristaan (NDLR : le pseudo de son coéquipier, Steve Wissmann) devait aller travailler. Il est agent de sécurité. Il s’était mis d’accord avec un collègue, il aurait pu disputer une partie si cela avait été nécessaire mais même en début de compétition, ce n’était pas idéal pour lui : il avait son petit garçon à la maison et j’avais donc plus de facilités pour me concentrer.
Cinq heures à jouer ? Apparemment, c’est ce que mon stream dit
La qualification s’est donc jouée entièrement dans votre salon, à Remich ?
(Il rit) J’étais dans mon salon, oui. J’aurais préféré être ailleurs, croyez-moi. Dans l’idéal, Steve et moi, on se serait retrouvés à Mondercange pour jouer ces matches au siège de la FLF, mais bon, la seule condition c’était d’être dans une bulle et d’avoir un mental d’acier.
Et donc, lundi, vous avez joué cinq heures pratiquement d’affilée ?
(Il rit) Apparemment, c’est ce que mon stream dit… C’est long, oui. C’est le genre que je pourrais faire sans problème en mode détente mais cinq heures en restant « focus », totalement concentré sur tout… Je vous avoue : c’est la première fois que ça marche vraiment pour moi sur une durée aussi longue. Pour moi, c’est un exploit. Mais il y a deux semaines, on avait choisi une très mauvaise stratégie avec Steve. On s’était partagé les matches. Chacun faisait une mi-temps. Alors qu’on aurait dû faire des matches en entier, pas changer à la pause. Et moi, dans ce schéma, j’ai merdé. J’avais la rage. Immédiatement je lui ai dit « écoute, si tu veux bien me laisser tous les matches dans deux semaines… ». Sur les premiers matches, j’avais la pression, mais là, j’ai réussi à maîtriser et à bien faire. Pour la nation.
Quel a été le moment le plus sympa de cette soirée ?
Le match le plus émotionnel pour moi, ça a été contre le Kosovo. Même si avec un nul, on se serait qualifié, l’emporter quasiment à la dernière seconde, c’est indescriptible. C’est moche de subir ça, mais magnifique de l’infliger à quelqu’un. Surtout, le Kosovar, c’était le seul adversaire que je connaissais. Il se surnomme kng 45, je ne connais pas son nom. Cela fait quelques années que je l’ai en vue parce qu’il apparaît toujours au classement PES! Après le match, je lui ai envoyé un message qui disait « bien joué, tu es l’adversaire qui m’a le plus mis en difficulté ». Lui m’a simplement répondu avec un pouce levé. Il devait être dégoûté.
Dans le salon, il y avait ma petite copine, Katja, qui m’encourageait
Et donc vous étiez là, seul face à votre écran ?
(Il rit) Non, il y avait ma petite copine, Katja, qui m’encourageait. Heureusement parce que j’ai plusieurs fois failli péter des câbles. Et il y avait Steve aussi, qui m’a soutenu à distance. Il a géré comme un chef. Sur Twitch TV, qui retransmettait les parties et où l’on peut s’inscrire gratuitement, on peut recevoir des commentaires négatifs. Ou positifs si quelqu’un kiffe votre stream.
Des commentaires négatifs ? Comme des supporters qui insulteraient un joueur depuis les tribunes parce qu’il a raté un face-à-face avec un gardien par exemple ?
(Il rit) Oui, c’est ça! Moi, je n’ai pas regardé ça une seule fois pour ne pas me laisser démoraliser ou influencer. Il y avait quand même près de 500 personnes à suivre mes matches, lundi soir. D’habitude, c’est plutôt 15 ou 20. D’ailleurs, je les remercie.
Comment avez-vous fêté votre qualification ?
En fait, avec toute l’énergie que j’ai mise dans ces cinq heures, j’étais très fatigué : je suis allé prendre une douche et me coucher.
On s’est dit que c’était peut-être notre dernière chance…
Une douche et au dodo ? Pour une qualification à la phase finale de l’Europe ?
(Il rit) En fait, j’aurais peut-être dû boire une bière, quand même. En être là pour quelqu’un qui a vraiment commencé l’e-sport il y a quelques mois seulement… C’est à l’automne dernier que Steve et moi avons découvert un peu par hasard les qualifications organisées par la FLF pour former l’équipe nationale. On s’est dit tous les deux que c’était peut-être notre dernière chance de prouver notre valeur, de faire du gaming notre deuxième métier, entre parenthèses. Il y a quelques années, j’avais failli me qualifier pour la Coupe du monde organisée par Konami, mais il y a toujours des tricheurs sur les réseaux.
Racontez-nous ça.
Eh bien, en 2016, je jouais un Macédonien en dernier match de qualification pour le Mondial. Il n’était pas fort mais grâce à sa connexion, il a fait « bugger » la mienne. Tout était plus lent chez moi et il a pris ma place! Là, il faut remercier l’organisation de l’UEFA : ce genre de choses sont interdites. Sinon, votre fédération risque même des sanctions.
Quels seront les objectifs à l’e-Euro ?
Déjà, il n’y a pas grand-chose d’officiel, hormis le fait qu’on jouera online et que, probablement, tous les matches se joueront en deux contre deux, et pas en un contre un. Mais pour nous, cela peut être un gros atout car on se connaît depuis pas mal d’années. Mais en face, il y a de grosses équipes.
A cause du coronavirus, on va devoir le faire online
Vous connaissez des joueurs ?
Disons qu’on les connaît plus qu’en qualifications. Surtout le champion du monde français, Walid Tebane. Il m’a d’ailleurs un peu aidé sur des entraînements. On s’est affrontés et je suis parvenu à faire l’exploit quelquefois. Cela fait progresser d’affronter un champion du monde. Il m’a pas mal aidé pour gérer le stress de la compétition.
Déçu que, coronavirus oblige, cette phase finale n’ait pas lieu à Londres ?
Déçu? Oui, très. Elle devait avoir lieu à Wembley, le jour de la finale de l’Euro. À un moment, il était question de la déplacer en 2021 mais Konami ne dispose que d’un contrat d’une année avec l’UEFA donc il fallait le faire en 2020. Et à cause du coronavirus, on va devoir le faire online alors que cela devait avoir lieu offline devant plusieurs milliers de spectateurs et diffusé à la télé. Ça me soûle.
Le football est à l’arrêt total. Pendant ce temps, pas mal de championnats virtuels s’organisent un peu partout. L’e-sport va-t-il en profiter pour se mettre encore plus en lumière ?
Je ne sais pas trop quoi vous répondre. Là, je sais que Thibaut Courtois (NDLR : le gardien de but du Real Madrid et des Diables Rouges belges) a lancé un stream sur YouTube depuis que l’Espagne a décidé de faire un championnat virtuel. Il a déjà 4 000 viewers (NDLR : spectateurs) en seulement deux semaines. Alors… moi, j’ai fait plus de 400 pour ces matches qualificatifs, j’espère bien en faire plus lors de l’Euro.
Recueilli par Julien Mollereau