L’homme qui a fait tomber Lance Armstrong estime que «le sport en Russie est pourri jusqu’à l’os».
«S’il n’y a pas de changements, les sportifs (propres) vont soit se révolter soit avoir eux aussi recours au dopage», s’inquiète Travis Tygart, directeur de l’Agence américaine antidopage (Usada), dans un entretien réalisé avant la publication vendredi de la version finale du rapport McLaren sur le dopage en Russie.
Comment avez-vous vécu cette année 2016 où l’actualité sportive a été dominée par les révélations sur le dopage en Russie?
Travis Tygart : D’un côté, ce fut une année difficile et, de l’autre, nous sommes en position d’amener un système de dopage d’État à répondre de ses actes. C’est exactement ce qu’il fallait. Nous sommes à un moment charnière, mais la fenêtre de tir pour agir va bientôt se refermer. Nous devons mettre le sport en position de faire les réformes nécessaires pour que ce qu’il s’est passé ne se reproduise plus jamais. Les sportifs propres nous regardent, ils sont très frustrés et très en colère qu’un pays aussi puissant (que la Russie) ait pu mettre en place un système de dopage d’une telle efficacité et d’une telle ampleur. S’il n’y a pas de changements, ces sportifs vont soit se révolter, soit avoir eux aussi recours au dopage et c’est inacceptable.
Lorsque vous parlez de révolte, vous faites référence aux équipes américaines de bobsleigh et de skeleton qui menacent de boycotter leurs championnats du monde prévus en février en Russie…
Exactement. D’après ce que je sais, des sportifs d’autres pays ont les mêmes inquiétudes. C’est la réponse de sportifs qui ne sont pas entendus par leurs dirigeants. Le boycott est leur dernier recours. Le CIO a donné son feu vert au déroulement de cette compétition en Russie alors qu’il avait dit (en juillet dernier) que la Russie ne pouvait plus organiser de grandes compétitions, c’est un camouflet pour les sportifs propres, ils ne sont pas entendus. (…) Pourquoi ces sportifs voudraient-ils participer à une compétition en Russie où il n’y a plus de laboratoire accrédité par l’AMA pour les contrôles antidopage et où il y a le plus total mépris pour les lois et règlements? Ils ont des raisons légitimes d’être inquiets.
Comment interprétez-vous la réaction de la Russie depuis sa mise en cause qui, d’un côté, a suspendu certains dirigeants et, de l’autre, en a promu d’autres cités dans le rapport McLaren?
Les sportifs dopés ont la même attitude : ils font tout pour minimiser ce qu’ils ont fait. Mais la Russie doit reconnaître l’ampleur du problème et assurer qu’elle va agir, et pas seulement parler. C’est inacceptable pour les sportifs russes qui méritent d’évoluer dans un environnement sain et juste, qui n’ont pas à être obligés d’utiliser des produits dopants pour faire de la compétition. Les sportifs du monde entier, eux, ne veulent pas être volés lorsqu’ils participent à des compétitions internationales où ils affrontent des sportifs russes qui ont été obligés de se soumettre à un programme de dopage d’État.
Que faut-il attendre de la version finale du rapport McLaren?
Je ne sais pas ce qu’il y aura dans le rapport, mais il faut se souvenir qu’il s’agira du quatrième rapport concernant la Russie. Ce qui est clair, c’est que le sport en Russie est pourri jusqu’à l’os. Il a manipulé le déroulement de Jeux olympiques (NDLR : en 2014 à Sotchi), des sportifs propres ont été volés et ces sportifs méritent maintenant que justice leur soit rendue.
L’Agence mondiale antidopage (AMA) a elle aussi été critiquée…
Le problème principal concerne sa gouvernance. Il faut retirer les responsables sportifs de la direction de l’AMA, car il y a conflit d’intérêts. Ce n’est pas une question de personnes, mais une question de principes. Vous ne pouvez pas être membre du comité exécutif du CIO et, en même temps, président de l’AMA, vous ne pouvez pas être président d’une fédération internationale et appartenir au comité de direction de l’AMA, car parfois vous devez prendre des décisions dans l’intérêt des sportifs propres qui peuvent être contraires à l’intérêt à court terme de votre sport. (…) C’est comme si le président de l’Union cycliste internationale (UCI) avait fait partie de la direction de l’Usada quand nous avons lancé notre procédure contre Lance Armstrong et son équipe US Postal.
L’AMA a-t-elle vraiment les moyens pour mener à bien sa mission?
Le CIO peut résoudre ce problème demain, le CIO a dans ses caisses 1,4 milliard de dollars. Il pourrait consacrer 500 millions de dollars pour financer l’AMA et pour soutenir le sport propre, sous peine de voir un jour les spectateurs s’éloigner.
Le Quotidien / AFP