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Décès de de René Hoffmann : Chahbi a enterré son copain


Hier, l'intégralité de la sélection nationale a assisté aux funérailles de René Hoffmann en la petite église d'Esch-Lallange. (Photo : DR)

La FLF enterrait hier l’un de ses serviteurs les plus fidèles en la personne de René Hoffmann. Alors qu’elle prépare son déplacement en Serbie, la sélection marchait dans les traces de l’un des très grands amis du disparu, Chahbi Bouchaib, son responsable du matériel.

«La vie, c’est de la merde.» Chahbi Bouchaib, fidèle suiveur de la sélection nationale depuis bientôt dix ans, est anéanti, sa voix presque inaudible, ses yeux rougis et il ne semble pas trop savoir quoi faire de ses mains. Lui d’habitude si rayonnant et alerte, hier bloqué et mutique, est monté en voiture à Lipperscheid après le déjeuner pour faire son boulot et quelque chose qui lui a retourné le bide : «Je dois aller voir le prêtre pour voir s’il est possible de réserver des places sur les bancs de l’église pour tous les joueurs.»

L’homme qu’on enterrait hier, avec les honneurs unanimes de toute la famille du football grand-ducal, était plus qu’un ami, «c’était un frère». René Hoffmann et Chahbi Bouchaib. Deux hommes façon papys faux ennemis que l’on a vu se prendre le chou avec un sourire en coin lors de tous les rassemblements de la sélection nationale depuis 2010.

Le football luxembourgeois les avait en fait unis et rendus inséparables. Et c’est un bout de lui-même que cette maudite anesthésie pour un genou à changer a arraché à l’ancien ailier de Beggen, désormais âgé de 68 ans : «Le mardi, la veille de son opération, j’étais avec lui, à l’hôpital. Je lui disais que je ne savais pas si j’allais continuer longtemps la sélection sans lui, que ce n’était pas pareil. Et lui m’a répondu que non, surtout pas, que dès qu’il avait son nouveau genou, il reviendrait.»

Alors le lendemain, quand il a appelé à la fédération pour recevoir le planning du déplacement en Serbie et que Luca Scornaienchi, en charge des questions de la sélection, lui a dit «Chahbi, René est mort», il n’a rien trouvé d’autre à répondre que «non, ce n’est pas vrai, j’étais avec lui hier». Sa voix en tremble encore.

Il laisse un vide et tout le monde s’en rend compte

Les deux hommes se connaissaient depuis 1973. Dès leur tout premier Jeunesse – Beggen disputé l’un face à l’autre, ils n’ont pu s’empêcher de jouer au chat et à la souris. Le Bouchaib attaquant venu de Florange n’a pas mis énormément de buts au Hoffmann gardien de but grandi à l’ombre des usines de sidérurgie («Un seul», sourit Bouchaib), mais il se rappelle que son aîné de quasiment dix ans était «dur avec (lui). J’étais un grand technicien et les Eschois me détestaient. René m’engueulait souvent sur la pelouse, mais à la fin, on s’excusait l’un l’autre et on s’embrassait».

C’est ce rapport qu’ils ont gardé après leur carrière, une fois réunis pour s’occuper du matériel, un secteur dont Luc Holtz les avaient chargés. Ils dormaient depuis toujours dans des chambres contiguës, s’asseyaient l’un à côté de l’autre aux repas ou dans l’avion. «On ne se séparait plus.» «Il est rare qu’on trouve trace d’hommes comme ça», s’étrangle Chahbi, qui parle encore parfois de son ami au présent. «Il ne se mettait jamais en avant, était travailleur, exemplaire. J’ai un immense respect pour toute cette vie avec lui.»

Posé lamentablement au fond d’un fauteuil de l’hôtel Leweck, dont il a du mal à s’extirper, Chahbi Bouchaib se revoit frapper à la porte du domicile familial, avec l’un des fils de René Hoffmann qui lui ouvre la porte. Il se revoit aussi embrasser Édith, l’épouse, sur le front. «Là, je n’ai pas pu m’empêcher de pleurer. Je n’ai pas pu me retenir. Sa femme, il en parlait tout le temps, il l’aimait. Quand on était en déplacement, des fois, il me disait « je n’aurais pas dû venir, elle est malade en ce moment ».»

Sa présence massive de force tranquille va manquer à ce groupe. Les joueurs s’en rendront vite compte, pense Chahbi. «La vie continue, mais là, c’est autre chose. C’est une partie de l’histoire du football luxembourgeois qui est partie. La Jeunesse Esch aussi a perdu un homme central de son histoire comme elle n’en retrouvera peut-être jamais. Il laisse un vide et tout le monde s’en rend compte.» Lui, surtout, depuis mercredi dernier, c’est-à-dire bientôt presque une semaine, n’a plus personne à taquiner. «Et dire que dans notre dernière conversation, c’est lui qui m’a donné l’ordre de rester…»

Julien Mollereau