Alors que se déroulent les championnats d’Europe d’athlétisme en salle à Istanbul, le meilleur coureur de 800 m de l’histoire du Luxembourg revient sur une riche carrière.
Quel est l’adversaire le plus fort que vous ayez affronté?
David Fiegen : Il y en a deux : Mbulaeni Mulaudzi et Mehdi Baala. Le premier à Rehlingen. On m’avait prévenu qu’il avait prévu de partir très vite. Moi je me sentais bien, alors je me suis dit que j’allais tenter de le suivre… et j’ai complètement explosé aux 500 m. Il m’a tué, mais j’ai beaucoup appris de cette course. Notamment que partir sous les 50« , ce n’était pas bon pour moi.
Et Baala, c’était à Metz (en 2006), sur 1 000 m. On entre dans le dernier tour, j’étais dans sa foulée et je me disais qu’il y avait peut-être moyen d’aller le chercher. Mais il a fait une ligne droite opposée de folie et il en a remis un coup à 200 m. Il fait 2’15« et moi 2’17« 51, record national. Je n’ai pas réussi à le suivre alors que je finissais vite.
Et l’adversaire le plus célèbre?
Forcément, Wilson Kipketer (NDLR : le Danois, ancien recordman du monde en 1’41« 11). Je l’ai affronté quelquefois, mais alors qu’il était en fin de carrière. Même s’il n’avait plus le même niveau, il courait en 1’43« /1’45« , son attitude et sa foulée restaient impressionnantes.
La course à jamais dans ma mémoire? Heusden! J’ai pleuré d’émotion
Quelle est la course qui vous a le plus marqué?
Bien sûr, tout le monde pourrait penser à la finale à Göteborg, qui reste forcément un grand souvenir. Mais pour moi, celle qui restera à jamais gravée dans ma mémoire, c’est à Heusden (en 2006), la première fois que j’ai couru sous les 1’45« .
Quelques jours avant, j’avais fait 1’45« 2 et j’avais commis deux ou trois fautes tactiques. En arrivant à Heusden, je me sentais bien. Je savais que ça allait partir très vite, j’étais excité, je n’ai pas dormi la nuit avant. C’est un super meeting, avec un public de malade, une ambiance de fou. Et là, je fais une super course, bien gérée et je passe sous les 1’45« (1’44« 96). C’était clairement la course la plus forte sur le plan émotionnel. J’ai même pleuré.
Aujourd’hui
Après sa carrière, David Fiegen s’est rapidement tourné vers la restauration. Après s’être occupé d’un bar à Esch, il a repris en 2017 avec un associé le Koeppchen, une brasserie à Wormeldange. Il est tous les jours en salle auprès des clients.
Votre plus belle victoire?
Le truc, c’est que je n’ai pas souvent remporté de courses, car je tombais toujours sur des mecs plus forts que moi. Mais pour moi, la finale de Göteborg, c’est ma plus belle victoire! Certes, je termine deuxième, mais j’ai bien géré le stress, les trois courses en quatre jours, la finale en elle-même, les attentes. J’étais en pleine forme. Je n’aurais pas pu faire mieux.
Votre plus grosse blessure?
Pas une blessure, mais une maladie en 2008. J’étais vraiment très fort. À l’entraînement, je faisais des séances de fou. Et lors d’un stage au Portugal, Jimmy (NDLR : Lomba, ancien athlète français avec qui il s’entraînait régulièrement) m’a dit après une séance : « Je ne sais pas où et je ne sais pas quand, mais tu vas courir en 1’43« . »
Je rentre du Portugal, je me qualifie pour les JO en 1’46« . Une semaine après, on a prévu de courir vite, pour la première fois, on part à Oslo et je fais 1’52« ou un truc comme cela (NDLR : en fait 1’48« 55). Je ne me sentais pas bien du tout. Je suis allé consulter un médecin et il se trouve que j’avais attrapé un virus.
Quand tu es blessé, tu peux faire quelque chose. Mais quand tu es dans la forme de ta vie et que tu tombes malade, c’est de la frustration pure. J’étais beaucoup plus en forme qu’en 2006 et j’ai dû renoncer aux JO de Pékin.
Votre plus grande fête?
Quand on est sportif de haut niveau, on est généralement des jeunes. On s’entraîne tous les jours, on fait beaucoup de sacrifices. Nos saisons se terminent par un grand championnat et une fois la compétition terminée, objectif atteint ou pas, on relâche la pression. La première fois, c’était à Vienne aux championnats d’Europe indoor et j’ai vu toutes mes idoles picoler, danser et faire la fête. Au début, j’étais surpris, mais après j’ai compris que c’était normal.
J’ai vécu ça partout, aux Mondiaux, aux JO. Partout sauf à… Göteborg! Après ma finale, j’étais prêt à sortir faire la fête, je suis allé boire deux bières au bar de l’hôtel. Il y avait aussi Daniel (NDLR : Abenzoar, corecordman du 100 m) qui était toujours partant. Seulement tout était fermé. Göteborg est une ville essentiellement étudiante, on était en plein été. Alors… je suis allé me coucher.
Et finalement, alors qu’on avait prévu de terminer la saison, comme je n’avais pas fait d’excès, j’ai décidé de courir à Zurich. Déjà, ce n’est pas souvent qu’on a l’occasion de participer à un tel meeting. Et puis je me suis dit que ma saison était de toute façon réussie et que j’allais prendre ce qu’il y avait à prendre. Et résultat, je signe un nouveau record national (1’44« 81). Si j’avais fait la fête, je ne l’aurais peut-être pas battu.
En tant qu’athlète, tu as des émotions que personne d’autre ne peut connaître. Et celles-là, tu ne les retrouveras jamais
Le jour où vous avez décidé de raccrocher?
Avec mon père (NDLR : Romain, son entraîneur aujourd’hui décédé), on préparait la saison 2012. Et je ne me sentais plus comme avant. On avait discuté, je savais que je ne retrouverais plus mon niveau d’avant. Je lui ai dit que je pouvais vivre avec ça du moment que je puisse encore courir correctement, aux alentours de 1’46″/1’47« . Mais au fond de moi, j’avais du mal à l’accepter. Et puis au printemps, je faisais des séances sur piste et je n’avais aucune sensation. Je n’avançais pas. J’avais déjà du mal à me motiver pendant l’hiver, le froid, la nuit, c’était toujours compliqué.
Un jour, en plein milieu d’une séance, je me suis senti vieux. Et j’ai dit, OK, c’est cuit. Je ne pouvais pas arrêter du jour au lendemain, donc on a organisé une course d’adieu à Esch pour avoir encore un petit objectif. Et après, c’est fini. Et là, c’est très dur émotionnellement. Pendant toute ta carrière, tu t’identifies par rapport à tes performances, à ce qui se passe sur la piste. Et du jour au lendemain, ta vie va changer.
Et là, tu te cherches, tu te demandes qui tu es vraiment. Et où tu vas. Si à ce moment, tu n’as pas un entourage qui est là pour toi, c’est très compliqué. Tu sais que certains ne sont là que parce que tu es sportif de haut niveau. Quand tu te lèves, tu sais exactement ce que tu vas faire, alors qu’après ta carrière, tu dois remplir ta journée. Il faut être vigilant. Pas mal d’athlètes sont tombés dans un trou énorme. Une grosse dépression. Et je peux comprendre cette situation. En tant qu’athlète, tu as des émotions que personne d’autre ne peut connaître. Et celles-là, tu ne les retrouveras plus jamais.
Ses faits d’armes
Meilleur coureur luxembourgeois de l’histoire, David Fiegen est devenu vice-champion d’Europe de la distance en 2006 à Göteborg. Une finale où il est battu par le Néerlandais Bram Som et à l’issue de laquelle il faudra attendre plusieurs heures avant que la cérémonie du podium ne puisse être effectuée. En effet, plusieurs fédérations ont porté réclamation, car le Néerlandais aurait marché sur la ligne, ce qui est interdit.
Mais finalement, le résultat a été validé et David Fiegen décrochera une magnifique médaille d’argent. Il a également participé aux JO d’Athènes et a été vice-champion du monde (2002 à Kingston) et d’Europe (2003 à Tampere) chez les U20.