Lorentzweiler (division 1, série 1) va monter en PH. Dès ce week-end ? C’est plausible. Mais, auteur jusque-là de 23 succès en autant de matches, il peut surtout envisager d’entrer dans la légende.
On ne sait pas encore exactement ce qui constituera l’événement du week-end à Lorentzweiler. Le club s’est organisé comme pour monter en Promotion d’honneur pour la première fois depuis la naissance du club il y a 78 ans, attendant un peu plus de monde que les 120 spectateurs traditionnels. Mais son président, Jérôme Entringer, n’a pu que constater que sa seule réussite d’ores et déjà avérée, au moment de décrocher son téléphone pour répondre à une énième sollicitation de club sous le feu des projecteurs, est la vente «totale» des stocks de poissons que son comité et lui vont cuisiner ce vendredi au centre culturel. «On les fait frire tous les vendredis de Pâques depuis plus de 30 ans, à manger sur place ou à emporter. C’est bien d’avoir tout vendu. Même de ce côté-là, notre saison marche bien.»
Non, la saison ne marche pas bien. Elle court. Elle galope. Elle dépoussière les statistiques du football grand-ducal et il n’est nullement question de savoir si Lorentzweiler va rejoindre la PH, ni même quand. Mais bien de savoir s’il va finir la saison avec 30 victoires et réaliser un truc dont les gens parleront encore dans 50 ans, quand bien même il ne s’agit que du troisième échelon du pays.
Gagner tous ses matches, c’est… c’est réussir quelque chose d’impossible
Pour l’heure, juste avant la venue du Norden 02 (battu lors des cinq dernières confrontations), avec 23 succès en 23 matches de championnat, Alain Thunus a, oui, il l’avoue, «un peu l’impression d’écrire l’histoire». Et s’est entendu rire – mais s’est senti gêné – quand, pour son anniversaire, en février, un pote lui a lancé : «Si vous faites encore quinze succès sur la phase retour, le club devra t’ériger une statue.» «Vous comprenez, lance l’entraîneur, qui effectue sa deuxième saison seulement, remporter tous les matches de la saison dans son championnat, il suffit d’être dans le milieu pour savoir que ce n’est pas vraiment comme monter l’Everest, mais quand même… Gagner tous ses matches, c’est… c’est réussir quelque chose d’impossible !»
Très concrètement, les chiffres (et l’on ne parle même pas des 4 buts inscrits en moyenne par match) tendent quand même vers une capacité à transcender l’infaisable. En fait, le leader de Division 1 série 1, si l’on prend en compte ses derniers résultats de la saison passée, vient d’enquiller 29 victoires consécutives en championnat. Et, fait assez drôle (ou inquiétant), son dernier «faux pas», un match nul contre Lintgen (2-2), date du… 10 avril 2022. Sa dernière défaite, contre Schieren (0-3) date, elle, du 27 mars 2022.
Samedi soir, après avoir bouclé la semaine passée une année calendaire à ne pas perdre, le club pourrait donc en conclure une autre à ne faire que gagner en Division 1. Sidérant. «Je sais qu’on commence beaucoup à parler de nous à l’extérieur, se régale Jérôme Entringer. Au boulot, même des gens qui ne s’intéressent pas du tout au football viennent m’en parler. On ne peut pas rester insensible à ce genre de considérations et je vois bien que quelque chose se passe : tous nos adversaires, depuis trois ou quatre semaines, jouent bien plus « sec ». Ils veulent tous être LE club qui nous aura pris un point.»
On sent bien que tout le pays est en train de regarder dans notre direction
Est-ce que cela existe, une saison de championnat parfaite ? Il est assez simple de trouver des exemples dans les divisions 1 des pays européens. Et au niveau des grandes nations, un «perfect», il n’en existe a priori… qu’un. En 1943, le club allemand de Dresdner avait fait… 23 victoires en autant de journées de championnat. Toutes proportions gardées, c’est donc aussi un peu une affaire vieille de 80 ans et qui s’est déroulée à 680 kilomètres qu’Alain Thunus et ses gars peuvent «effacer». «Oui, maintenant, on recherche le sans-faute. Quelque chose qui n’a pas encore existé. Mais le fait d’envisager un 30 sur 30, on ne l’a pas théorisé, on ne l’a pas verbalisé. On ne veut pas. Mais on sent bien que tout le pays est en train de regarder dans notre direction en se demandant si on va le faire. On attire l’attention !»
Le match du 5 mars, contre Kehlen, a bien aidé à façonner le mythe. Thunus et ses gars, ce jour-là, perdent 0-2 et sont réduits à dix. Mais sitôt le deuxième but encaissé, le coach voit certains joueurs en haranguer d’autres, et leur dire que non, ils ne vont pas revenir, mais que ce match, ils vont le gagner. «Ce jour-là, il s’est passé quelque chose de très émotionnel», avoue Thunus, qui n’a qu’une crainte avant le match de ce week-end et qu’il aura avant chaque prochain match tant que durera cette folie mathématique : «Je ne veux pas qu’on célèbre quelque chose qu’on n’a pas encore accompli.»
Son président, lui, a fait le job : il a vendu ses 350 «gebakene Fësch» et peut en concevoir une certaine fierté. Pour le miracle en cours de gestation, on attendra encore un bon mois et demi. D’ici là, si Lorentzweiler peut déjà être dès samedi soir en PH, ce serait déjà une bonne chose de faite. Mais ce n’est pas cela qui fascine tout le pays, aujourd’hui.