Cédric Pries mérite assurément d’être connu. Si le coureur de l’équipe Leopard se montre d’une rare abnégation, c’est aussi parce qu’il revient de loin.
Lorsque ses yeux clairs illuminent son visage taillé à la serpe, vous saisissez instantanément un des principaux traits de caractère de Cédric Pries : la détermination. «Oui, c’est un petit guerrier», sourit Michel Wolter, l’entraîneur national de cyclo-cross qui veille sur son poulain. De la détermination, c’est peu dire qu’il lui en a fallu et qu’il lui en faut toujours d’ailleurs, pour non seulement garder ce fol espoir d’embrasser un jour une carrière professionnelle, mais d’abord et surtout, pour maintenir ce fil ténu de la réhabilitation.
Car si l’enfant de Remich a toujours été doué sur un vélo, sa vie a bien failli s’arrêter net, le 6 mai 2018, dans la désuète clinique d’Ústí nad Labem, une bourgade tchèque où il fut conduit en état d’urgence absolue après une terrible chute survenue dans la quatrième étape de la Course de la Paix, entre Benesov et Terezin.
«Il a chuté en ligne droite, lorsqu’il a voulu prendre un bidon, rapporte Michel Wolter. Ses roues se sont prises dans un trou et il est parti heurter un plot en béton. Le genre de chute qui peut toujours arriver. Après on se pose des questions, c’est vrai qu’il n’était pas loin du gouffre, cela aurait pu être terrible…» Cédric Pries parle lui d’un «combat contre la mort». Ni plus. Ni moins.
Le diagnostic est édifiant. Le jeune Luxembourgeois est rapidement placé en coma artificiel. On relève neuf côtes fracturées. Les deux poumons sont perforés. Avec une triple fracture sur une omoplate et une vertèbre cassée, la note est salée. Faut-il évoquer la commotion cérébrale ? Il raconte : «C’était plus grave pour ma famille que pour moi-même puisque je dormais. Je suis resté deux semaines en soins intensifs dans cette clinique puis Luxembourg Air Rescue m’a ramené aux hôpitaux Robert-Schuman. Où j’ai passé encore six semaines…» Il y sera opéré de main de maître par le Dr Decker.
Je n’étais pas capable de répondre mais j’entendais les discussions autour de moi et toutes les inquiétudes de mes proches
À ce moment-là, il est impensable qu’il remonte sur un vélo. Mais le jeune homme qui a aujourd’hui 20 ans, est armé par cette foi du rescapé. Il est également animé par l’énergie du désespoir, et s’accroche à cette idée folle. «Longtemps après ma chute, reprend Cédric, je n’étais pas capable de répondre mais j’entendais les discussions autour de moi et toutes les inquiétudes de mes proches. Mais je n’avais qu’une seule hâte, entreprendre le travail de rééducation.» Un travail de rééducation qu’il poursuit aujourd’hui, «un travail pour la vie, je sais que cela ne s’arrêtera jamais, je le sais, mais je ne me plains pas», suggère-t-il, puisqu’il a fallu assembler en une sorte de plaque en titane les côtes fracturées aux poumons, une sacrée mécanique de précision !
Lorsqu’en août dernier, les terribles chutes, celle du Belge Remco Evenepoel survenue sur le Tour de Lombardie, et du Néerlandais Fabio Jakobsen lors de la funeste deuxième étape du Tour de Pologne, ont jeté un sacré froid dans le peloton professionnel, cela a forcément fait écho à ce qu’il avait vécu deux ans plus tôt. «Une fois passée l’inquiétude pour la vie, on se souvient des fortes douleurs qu’on a eues à endurer, au soutien psychologique dont on a besoin pour se reconstruire après l’opération, ainsi que du lourd programme de réhabilitation. J’ai, comme tout le monde, eu peur pour eux. Mais nous, sportifs, avons un grand avantage, physiquement on se reconstruit très vite…»
On peut dire aujourd’hui que Cédric Pries est justement sur le bon chemin, même si les aléas du sport lui rappellent des faiblesses passagères. «Voici peu à Termonde, en Coupe du monde, un concurrent l’a heurté justement au niveau du dos, sur les traces de son opération et il a souffert. Quand on voit sa cicatrice de 30 centimètres, on comprend…», rappelle Michel Wolter.
L’étudiant en école d’ingénieur génie civil, est comme bon nombre de cyclistes, un dur au mal, c’est vraiment le cas de le dire. Imaginez-vous en train de disputer des cyclo-cross deux ans après une telle opération, après être passé si près du précipice…
C’est sur la route que je nourris le plus d’ambition
Si dimanche dernier, il se plut à disputer la 4e manche de la Coupe du monde à Hulst avec une 46e place, il a longtemps espéré faire mieux. «Un adversaire m’a percuté légèrement mais a fait plier ma patte de cadre arrière, indique-t-il. Du coup, mon dérailleur arrière ne fonctionnait plus. Mais au mieux, j’aurais pu espérer terminer à la 39e place. Je savais qu’avec les règles actuelles, je devrais m’arrêter avant la fin de course et comme Mathieu Van der Poel était dans une forme exceptionnelle, j’ai vite compris. C’est quand même un autre monde…»
Si contrairement aux purs spécialistes masculins luxembourgeois, actuellement à l’arrêt, il peut prendre part aux manches de Coupe du monde de cross, c’est en vertu de la réglementation en vigueur en ces temps de crise sanitaire. Mais son intérêt n’est pas là. «C’est sur la route que je nourris le plus d’ambition, assure Cédric Pries. Le cross, c’est bon pour le rythme de course et je le pratique également pour le plaisir car à titre personnel, j’aime bien ça.» Si tout va bien, on le retrouvera donc à Overijse, le 24 janvier, pour la dernière manche de Coupe du monde. Puis lors des Mondiaux d’Ostende, si bien sûr, les épreuves espoirs sont maintenues, ce qui reste aujourd’hui encore, à confirmer.
Classé grimpeur-puncheur (il mesure 1,72 m pour 64 kg), Cédric Pries se donne encore trois ans pour espérer décrocher un contrat. Pour le moment, il est heureux de retrouver ses copains luxembourgeois mais pas seulement au sein d’une équipe Leopard très rajeunie. De la saison écoulée qui s’est résumée à seulement six jours de course, à cause de l’épidémie de Covid-19, il ne peut rien dire, si ce n’est qu’il était «très heureux d’avoir terminé Paris-Chauny dans le peloton avec les pros». La saison d’avant, consécutive à sa chute, il avait «apprécié découvrir le Tour de l’Avenir avec l’équipe nationale».
Mais son plus grand bonheur reste ce jour où il entendit Markus Zingen, manager de l’équipe Leopard, lui dire qu’il le retenait pour 2020. «Je n’ai pas pu le montrer car on a peu couru, mais je ferai tout pour donner satisfaction. Chacun le sait, on est dans une équipe très formatrice qui peut ouvrir des portes », promet-il encore en pointant son regard vers la saison à venir. Une saison malheureusement déjà contrariée : «On devait partir s’entraîner en Turquie et disputer le Tour d’Antalya qui vient d’être annulé. Il se pourrait qu’on parte en stage début février à Majorque.» Pas grave, aujourd’hui, «le petit guerrier» Cédric Pries, faites-lui confiance, a appris toutes les vertus de la patience…
Denis Bastien