Jempy Drucker, finalement reclassé à la 43e place dimanche soir, s’est réveillé en bonne forme lundi. Avec le sentiment d’avoir terminé un Paris-Roubaix historique.
Figurez-vous que lundi matin, Jempy Drucker s’est réveillé presque comme une fleur, chez lui au Luxembourg. Dimanche soir, il avait effectué le trajet retour en voiture et en famille depuis Roubaix, le temps de faire redescendre une pression maximale. Loin, bien loin, de la représentation iconographique de ces coureurs de Paris-Roubaix, mués en guerriers impavides et maculés de terre de la tête aux pieds. C’est évidemment toutes ces images qui resteront pour longtemps encore dans l’inconscient collectif lorsqu’on évoquera ce Paris-Roubaix 2021 disputé au mois d’octobre, ce qui ne manquera d’ailleurs pas d’arriver…
«Tout le public attendait ça depuis longtemps, un Paris-Roubaix avec beaucoup de boue et sur le bord de la route, on ressentait qu’on vivait une course historique, le mythe était poussé à son paroxysme. D’ailleurs, nous aussi, nous étions prêts à vivre ça. On connaissait les prévisions météorologiques, mais dès le réveil, dimanche, lorsqu’on a écarté les rideaux, on savait que c’était le jour J. Et du départ à l’arrivée, il y avait cette atmosphère particulière, une pression différente. Les spectateurs étaient encore plus enthousiastes, ils dégageaient encore plus de chaleur et pour nous aussi, c’était quelque chose de différent, nous étions comme électrisés par tout ça», explique à tête reposée Jempy Drucker.
«Physiquement, je suis agréablement surpris»
Le Luxembourgeois de l’équipe Cofidis dresse un inventaire de son physique comme on constate des dégâts après le passage d’une tempête, mais par bonheur, son patrimoine, si on peut dire, a bien résisté aux bourrasques et à la gadoue. «Ça va d’ailleurs mieux qu’un lendemain de Paris-Roubaix disputé par temps sec ! J’ai bien les mains qui restent un peu enflées, mais rien de bien méchant. La fatigue, elle était surtout mentale dimanche, car dans la boue, au milieu des flaques d’eau, tu dois être encore bien plus vigilant que d’ordinaire. Mais physiquement, je suis agréablement surpris, oui, ça va bien», commente Jempy.
Il n’a ni chuté, ni essuyé de crevaison, et il a même pris le temps d’en profiter, comme les images de la télévision le laissaient entrevoir. «Ah oui, à environ 80 kilomètres de l’arrivée, je me sentais bien, j’étais à l’aise, confiant, j’avais le parfait contrôle de mon vélo…» Mais un mauvais placement avant Arenberg a pénalisé sa progression. «Je me suis retrouvé d’un coup dans un troisième groupe et avec (Philippe) Gilbert, on est revenus progressivement à trente mètres du premier groupe. Mais on n’a jamais pu rentrer, on était bloqués par un barrage et puis on a été gênés par une chute devant nous. La galère a duré vingt kilomètres, je n’avais jamais vu ça, à un moment on zigzaguait entre les voitures on ne voyait plus, c’était un peu fou…»
Pas facile en effet de survivre dans un tel chantier, de surcroît lorsqu’on porte des lentilles de contact. «Il ne fallait surtout pas que j’en perde une car sinon, c’est très délicat, mon champ de vision se réduit trop. Les secteurs pavés étaient complétement différents de ceux qu’on emprunte en avril, car en octobre, les agriculteurs sont en activité dans les champs, il y avait clairement plus de terre dans de nombreux secteurs. Cela ressemblait à du cyclo-cross, je me revoyais des années en arrière (il rit). À un moment donné, j’avais une vision tellement restreinte que j’ai préféré retirer mes lunettes, mais je clignais tellement des yeux qu’Arnaud Démare (NDLR : le sprinteur français de Groupama-FDJ) s’est approché de moi pour me demander ce que j’avais», rigole Jempy Drucker.
Le matériel a fatalement été mis à rude épreuve. «J’avais fait le bon choix de pression dans mes pneumatiques de 28 millimètres avec 4,5 bars. Le vélo a bien tenu le choc, mais je n’avais plus de frein arrière et la terre freinait un peu la roue avant», détaille-t-il.
«Je me suis quand même bien éclaté»
Le coureur de Cofidis, qui était parvenu à réinstaller Christophe Laporte en bonne compagnie, tenait à finir cette édition. Terminer à la 43e place, ce n’était certes pas son meilleur résultat (20e en 2014), et au-delà du top 20, toutes les places sont anecdotiques. Mais lorsque le classement officiel est sorti sans son nom, Jempy Drucker resta un peu interdit. «Au début je rigolais, puis j’ai reçu de plus en plus de messages. On me demandait si j’avais bien abandonné alors que j’avais passé la ligne. Finalement, mon directeur sportif a appelé les commissaires comme c’est la règle et après un nouveau visionnage de la vidéo, ils m’ont reclassé. Le Belge Jasper Philipsen (41e), qui était avec moi à l’arrivée, était dans le même cas», rapporte encore Jempy.
Le voici installé pour l’éternité dans le classement de ce Paris-Roubaix historique. «C’est clair que c’est pas mal de figurer dans le classement de cette édition. D’un côté, j’ai un petit regret, si j’avais eu la forme de certaines années, j’aurais pu faire beaucoup mieux, mais c’est la vie, c’est comme ça, je me suis quand même bien éclaté…»
Jempy Drucker est d’ailleurs un habitué du genre des classiques épiques. En 2015, il avait terminé à la 16e place d’un Gand-Wevelgem remporté par l’Italien Luca Paolini et secoué par une tempête indescriptible, avec des branches d’arbres jonchant la chaussée et des coureurs finissant dans le fossé. Seulement 39 rescapés avaient terminé. L’évènement reste dans les mémoires du milieu du vélo, mais Paris-Roubaix est non seulement un monument, mais surtout la classique la plus suivie dans le monde. «C’est sûr, ce Paris-Roubaix, on va longtemps s’en souvenir et nous le rappeler des années et des années», conclut le coureur de Cofidis. Le héros n’est pas fatigué !
Denis Bastien