Le coureur de Groupama-FDJ a réussi l’exploit dimanche à Mamer de s’imposer au sprint et au bout de l’effort devant un Bob Jungels qui n’a rien lâché et qui, beau joueur, a reconnu que le plus fort venait de l’emporter. À 23 ans, le nouveau champion national ne pouvait rêver à plus beau compliment !
Il est 18 h passées, place de l’Indépendance, lorsque l’hymne national retentit. Un hymne étouffé par la volée des cloches de l’église, légèrement en retard pour le coup.
Au milieu du podium, Kevin Geniets n’avait pas fini de sécher le torrent de larmes qui venait de le submerger dès la ligne d’arrivée passée et cette énorme sensation. Oui, il était bien le nouveau champion du Luxembourg. Oui, il venait de parvenir à s’extraire des griffes du grand Bob Jungels, de briser cette hégémonie car depuis cinq années consécutives, le championnat restait sa chasse gardée.
Vu de près ou de loin, c’était à peine croyable. C’est lui, Kevin Geniets, 23 ans, filiforme coureur de 1,93 mètre (73 kilos), qui venait de lever les bras au ciel après un dernier kilomètre de fou furieux, tout en virages et relances et aboutissant donc à cette ligne d’arrivée plantée rue de Dippach.
Les minutes suivantes, il est resté longtemps interdit. Planté le long des barrières. Aucun son ne sortait de sa bouche ravagée par les pleurs et un filet de sueur qui dégringolait de son front marqué par l’effort. Il se tournait vers Joëlle, sa mère, Daniel, son père, Mandy, sa sœur. Toute la famille avait la chair de poule et se pinçait pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas.
Les données étaient différentes
Ses deux attaques dans l’ascension de la côte de Holzem n’avaient pas eu raison de Bob Jungels, qui ne lâcherait rien. Par deux fois, ce dernier allait donc revenir. Mais il comprenait bien que ce Kevin Geniets était en train de le détricoter. Doucement, mais sûrement. Restait donc ces derniers hectomètres à appréhender. L’an passé, il avait justement terminé deuxième à Soleuvre et l’imprenable Bob Jungels n’en avait fait qu’une bouchée au moment opportun. Au moment de vérité.
Cette fois, les données avaient un peu changé. Bob Jungels revient en bonne forme après un âpre Dauphiné, juste avant le Tour de France qui s’annonce, mais ce sont surtout les classiques, cet automne, qui fixent son attention.
Kevin Geniets vient, pour sa part, de terminer le Tour de Wallonie en boulet de canon. Dans son habit d’équipier qu’il sait faire à merveille. Et le «t’es magnifique» lâché devant les caméras de la RTBF par Arnaud Démare, vainqueur final, pour remercier son équipier luxembourgeois, valait mieux qu’un long discours. D’ailleurs, samedi, les deux avaient échangé. «Arnaud m’avait fait un message, il m’avait écrit qu’avec les jambes que j’avais, je ne pouvais pas perdre ce championnat, je lui avais retourné le compliment. Il est champion de France, moi du Luxembourg, c’est super !»
Pourtant, il mit du temps dimanche pour réaliser. «Non, convenait-il alors, je ne réalise pas encore. Je me sentais super bien, je me suis dit qu’il fallait y croire, c’est juste comme ça qu’on gagne. Mon entraîneur (NDLR : Julien Pinot, le frère de Thibaut) m’avait répété qu’il ne fallait pas avoir de complexes, je pensais à ça. C’était la gagne ou rien.»
Un grand championnat
Reprenons le fil de ce grand championnat. Alors Kevin Geniets n’a pas hésité. Il mit un doigt, la main et bientôt le bras dans le pot de confiture. «J’ai attaqué en haut de la bosse, il y a eu un petit trou, Bob est revenu. Je me disais : « Tu attends le sprint, tu ne fais pas de bêtise. » Je sais que cela n’arrive pas tous les ans dans le championnat de sprinter pour la victoire. J’ai essayé de réfléchir. Il a lancé le sprint, je suis resté dans sa roue et quand il s’est assis, j’ai attaqué. Et ça l’a fait. Ce n’est pas comme l’an passé, où Bob m’était largement supérieur. Ici, lors de mes attaques, j’avais compris qu’il était prenable.»
Le plus beau compliment viendra d’ailleurs de Bob Jungels lui-même. «Le plus fort s’est imposé», convenait-il très sportivement. Comment pouvait-il en être autrement? Cet état d’esprit a d’ailleurs magnifié le championnat. La bataille avait été sans merci mais pas question de chipoter, non, la course venait de livrer son verdict le jour J.
Pressé de toutes parts, Kevin Geniets restait tel qu’il a toujours été, avenant, souriant. Il parvenait pour de bon cette fois à rassembler ses esprits. «C’est beau de gagner, mais c’est encore plus beau de se dire que pendant une année je vais rouler dans le peloton avec le maillot de champion du Luxembourg. Je suis très fier de porter ces couleurs même si j’habite en France. Le Luxembourg, c’est beau, tout simplement.»
Madiot : «Kevin aura un maillot sans pub !»
On lui demandait à qui il voulait dédier ce titre. Il hésitait longuement. «Dédier à qui ? C’est beau de voir qu’il y a de nouveau du sport, du public, je dédie ce titre à tous ces gens qui nous respectent en mettant le masque. Ils nous respectent et on les respecte. C’est super beau de voir que ça revit.»
Loin de Mamer et près de Grand-Champ, dans le Morbihan, où justement Arnaud Démare venait de remporter son troisième titre de champion de France, Marc Madiot, charismatique patron de Groupama-FDJ, jubilait dimanche soir lorsque nous l’avons joint. À double titre ! «Je suis évidemment heureux du succès d’Arnaud (Démare) comme de celui de Kevin (Geniets). Je suis très content pour lui, il sprinte devant un bon coureur comme Bob Jungels, ça valorise encore plus son titre. C’est un garçon sérieux, professionnel et qui a un brin de talent. Ça se passe bien dans l’équipe avec lui. Je savais qu’il pouvait gagner. Il va faire son bout de chemin, j’espère qu’il va continuer à s’épanouir avec nous et il pourra jouer sa carte de temps en temps, comme il a commencé à le faire un peu l’an passé et cette année. C’est un travailleur.»
Quant au maillot que portera Kevin Geniets, demain au départ du Grand Prix de Plouay, il sera dépourvu de publicité, une tradition dans l’équipe française. «Ce sera le maillot de champion national, confirme Marc Madiot. Comme le maillot de champion de France, sans pub…»
«Mais pour Plouay, je ne sais pas s’il sera prêt, ça fait un peu court», rigole l’ancien double vainqueur de Paris-Roubaix. Dans ce cas, Kevin Geniets prendra le départ avec le tricot reçu dimanche sur le podium. Car ce matin, au réveil de sa courte nuit, Kevin Geniets a enfin saisi qu’il n’avait pas rêvé. Pour un premier succès, c’était une belle première !
Denis Bastien
Bob Jungels (2e) : «Après toutes ces années, ça fait un peu drôle de lâcher le titre. Le plus fort l’a emporté. J’ai essayé de durcir la course le plus possible. Quand Kevin a attaqué, j’ai compris que ce serait difficile. J’ai décidé de lancer le sprint assez tôt pour espérer le lâcher dans le dernier kilomètre. J’aurais peut-être dû attendre, mais c’est comme ça. Des fois, un petit changement, c’est pas mal. J’ai tout donné, c’était vraiment des championnats animés du début à la fin sur un parcours très venteux. J’ai tenté d’attaquer plusieurs fois, mais mes concurrents ont longtemps résisté.»
Jempy Drucker (3e) : «La forme revient doucement. Il me manque encore une course par étapes pour avoir plus de force. Mais là je vais enchaîner avec Plouay, le championnat d’Europe, Overijse, Brussels Classic et la Coppi-Bartali. Ces deux semaines vont me faire du bien. Sur ce championnat, les plus forts étaient devant. Kevin avait montré sur la dernière étape du Tour de Wallonie en suivant l’attaque de Van Avermaet qu’il était costaud.»
Alex Kirsch (5e) : «Les plus forts étaient devant. Bob (Jungels) était déjà fort et Kevin (Geniets) a montré qu’il était en grande forme. Il s’agissait des deux favoris. Le parcours était dur, mais pas insurmontable. C’était compliqué de faire une différence. Quand Bob a accéléré à deux tours de la fin, avec Jempy (Drucker) et Tom (Wirtgen), on a marqué le pas. Les deux plus forts étaient devant. Kevin a travaillé fort pour réussir ça. Bravo!»
Arthur Kluckers (8e) : «Je suis content de ma course et de m’être retrouvé dans le bon groupe. La forme est bonne avant les championnats d’Europe, jeudi.»
Michel Ries (10e) : «Je n’avais pas de très bonnes jambes aujourd’hui. Quand il y a eu la première attaque, je n’avais pas les meilleures sensations, et quand tu dois refaire un trou comme celui-là, c’est compliqué de revenir. Après, j’ai tenté de garder ma place et de faire ma course.
Je me suis reposé toute cette semaine après le Dauphiné, et je pensais avoir de meilleures sensations, mais il faut dire que la course est très vite partie, et que c’est très compliqué à gérer, ce n’est pas une course normale où tu roules à un rythme pendant un certain temps, là c’est parti assez rapidement.»
A. A et D. B.
Le classement
1. Kevin Geniets (Groupama-FDJ) les 142,8 km en 3 h 23’12 » (moy. : 42,17 km/h); 2. Bob Jungels (Deceuninck-Quick Step) mt; 3. Jempy Drucker (Bora Hansgrohe) 38 »; 4. Tom Wirtgen (Bingoal) 46 »; 5. Alex Kirsch (Trek Segafredo) 3’21 »; 6. Ivan Centrone (Natura4everRoubaix Lille) 3’47 »; 7. Luc Wirtgen (Bingoal); 8. Arthur Kluckers (Leopard Pro Cycling) 4’32 »; 9. Tom Thill (Xspeed United Continental) 4’58 »; 10. Michel Ries (Trek Segafredo) 10’42 »; 11. Colin Heiderscheid (Leopard Pro Cycling) 11’31 »; 12. Mike Diener (VV Tooltime) 1er élite sans contrat; 13. Pol Weisgerber (LG Alzingen) 2e élite sans contrat; 14. Charel Meyers (LC Tétange) 3e élite sans contrat; 15. Tim Diederich (Team Snooze-VSD); 16. Larry Valvasori (VV Tooltime); 17. Rik Karier (Velo Woolz); 18. Charly Petelin (Amore&Vita Prodir); 19. Misch Leyder (Leopard Pro Cycling); 20. Ken Conter (Leopard Pro Cycling) tous à 11’31 »; 21. Loïc Bettendorff (Leopard Pro Cycling); 22. Jacques Gloesener (VV Tooltime); 23. Jan Petelin (Vine Zabu KTM); 24. Cédric Pries (Leopard Pro Cycling) tous à 13’07’; 25. Max Larry (UC Dippach) 14’29 »; 26. Philippe Schmit (VV Tooltime) 18’15 »; 27. Raphaël Kockelmann (Team Vorarlberg-Santic); 28. Jérôme Ewen (Team Snooze-Vsd) tous à 29’48 »; 29. Scott Thiltges (LG Alzingen); 30. Mik Esser (CT Atertdaul); 31. Ben Philippe (Team Snooze-Vsd); 32. Eric Meyers (LC Tétange); 33. Christophe Braun (UC Dippach); 34. Mathis Weyrich (SAF Zéisseng); 35. Patrick Mersch (LG Bertrange); 36. Sven Schmit (LG Bertrange); 37. Carlos Miguel Moreira Cardoso (CT Atertdaul); 38. Joé Wengler (LG Alzingen); 39. Pit Leyder (VC Diekirch); 40. Paul Mreches (Team Snooze-Vsd); 41. Pablo Blatt (VC Schengen); 42. Sebastian Einsle (CT Toproad Roeserbann); 43. Maurice Thill (VV Tooltime); 44. Philippe Bechtold (VC Mullerthal); 45. Benoït Vervier (LG Bertrange); 46. Pol Flesch (CCI Differdange); 47. Jo Biehl (UC Dippach); 48. Rafael Pereira Marques (LC Tétange); 49. Noah Fries (LC Tétange) ; 50. Félix Schreiber (VV Tooltime) tous à 30′.