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[Cyclisme] Frank Schleck : « Non, je ne regrette rien… »


«Essayer de gagner samedi, je pense que c'est un peu trop demander...», confie le Luxembourgeois. (photo Julien Garroy)

Frank Schleck se confesse à trois jours de sa dernière course, le Tour de Lombardie, qu’il va disputer comme un jubilé, en conclusion d’une longue carrière. «J’en profite à fond», dit-il. Entretien.

Aujourd’hui avec la semi-classique italienne Milan-Turin, Frank Schleck, bientôt retraité, prendra le départ de son avant-dernière course. Concernant sa reconversion, il ne veut pas se presser. «J’ai des idées, il faut qu’elles mûrissent», note-t-il. Directeur sportif? «Pas tout de suite, mais je ne dis pas non, non plus…»

Vingtième de la course en ligne des Jeux olympiques à Rio, en vue sur les classiques canadiennes comme samedi au Tour d’Émilie (15 e ), Frank Schleck aborde sa fin de carrière avec l’entrain d’un jeune homme. Car il veut, signifie-t-il, quitter la scène la tête haute, «sans regret».

Le Quotidien : Vous n’avez plus que trois jours à vivre dans la peau d’un coureur cycliste professionnel et deux courses à courir, Milan-Turin ce mercredi et le Tour de Lombardie, samedi. Dans quel état d’esprit vous trouvez-vous?

Frank Schleck  : Figurez-vous que je passe de très bonnes journées ici en Italie depuis notre arrivée jeudi dernier. On court, on s’entraîne, on se repose. Oui, ce sont mes derniers jours de coureur et j’en profite à fond, car je sais que tout va s’arrêter samedi soir. Et samedi, c’est vrai qu’on y est presque…

Cela vous fait quoi?

Difficile pour moi de livrer un sentiment. Je pense qu’il me faudra un peu de temps pour tout digérer. Il faudra du temps pour que tout redéfile. Là, je suis encore dans ma carrière. À la fin. Et comme je suis professionnel, je tiens à le rester jusqu’au bout, en restant concentré. Mais forcément, ces jours-ci, on me le rappelle. Vous me le rappelez, là. Ça fait un peu drôle bien sûr, car ces 25 dernières années, je n’ai presque pensé qu’au vélo. Alors, oui, je peux dire que je suis content de moi. Là, je tente de me concentrer sur le Tour de Lombardie, toujours dans ce même but de ne rien regretter…

Avez-vous déjà pensé à quoi ressemblera votre vie à partir de dimanche?

O ui un peu, mais pas en détail. Il faut que je fasse du sport, je ne pourrai pas m’arrêter comme ça du jour au lendemain et je n’y tiens pas. J’aime bien trop ça. C’est mon style de vie. Alors oui, je continuerai à rouler encore un peu à vélo. Et je ferai d’autres sports sans doute. Mais il me faudra partager mon expérience avec les jeunes. Et je prendrai aussi du bon temps avec ma famille que j’ai peu vue ces derniers temps. Sur les trois derniers mois, j’ai calculé que je n’ai passé que onze jours à la maison!

L a reconversion de Frank Schleck, ce sera quoi?

Là encore, c’est trop tôt. J’ai des idées, il faut qu’elles mûrissent. Je n’ai rien décidé. Bon, je me vois mal dans la finance (il rit) . J’aimerais m’orienter vers quelque chose qui me permette de faire partager mon expérience à des enfants. Pas pour qu’ils deviennent des champions, non, mais pour les aider à appréhender la vie par le bon bout. Car le sport, c’est la clé pour s’élever, surtout pour éviter de faire des conneries…

N e seriez-vous pas tenté de devenir directeur sportif par hasard?

Pas tout de suite, mais je ne dis pas non, non plus. D’abord, j’aimerais travailler avec des jeunes.

Passons à votre fin de carrière qui vous mène au Tour de Lombardie, samedi…

Je suis méticuleux, je tiens à donner le meilleur de moi-même, je ne veux pas avoir de regrets et je sens aussi que j’ai des bonnes jambes. Je suis toujours coureur, et tant que je suis coureur, je ne travaille pas à d’autres projets. C’est le moindre des respects pour mon équipe. Je me dois de rester concentré et de tenir mes responsabilités.

Vous avez choisi de terminer sur le Tour de Lombardie, là où vous avez signé votre premier résultat d’envergure en prenant la troisième place de l’édition 2005 (derrière les Italiens Bettini et Simoni). Est-ce un choix délibéré?

Cette course m’a toujours plu, oui. Elle est comparable aux classiques ardennaises. Ça me plaît d’arrêter là. La décision s’est faite simplement. J’avais beaucoup réfléchi avant d’annoncer mon départ des pelotons. Je n’aurais pas pu arrêter du jour au lendemain. Je ne suis pas « Vino » (NDLR  : Alexandre Vinokourov qui arrêta sa carrière après son succès aux JO de Londres, dans la course en ligne) ou Fabian (NDLR  : son coéquipier suisse Cancellara qui s’est arrêté après son titre à Rio dans le contre-la-montre). On parlera encore longtemps de leurs départs au sommet. Mais je veux raccrocher mon vélo samedi soir en étant fatigué et content d’avoir donné le meilleur de moi-même.

Samedi, vous allez jouer votre dernier top  10?

(Il rit) Je ne sais pas, disons que j’ai envie de faire une belle course et c’est tout. Essayer de gagner, je pense que c’est un peu trop demander…

On vous en parle dans votre équipe de votre dernière course?

Pas tant que ça, car cela fait partie de la vie d’un coureur. Chaque année, des mecs s’en vont. Le vélo ne s’arrêtera pas après mon départ, hein (il rit) . Mais chacun vit ça, chacun son tour. Là, c’est moi qui vais m’en aller après 15  ans de carrière.

Quel succès retenez-vous?

Je ne vais pas faire de comparaisons entre l’Amstel, l’Alpe d’Huez, le Grand Bornand, le podium à Paris, l’étape de la Vuelta, le Tour de Suisse. Non, j’ai vécu de grands moments, différents, tous spécifiques. Il y a ces joies, mais je n’oublie pas que j’ai connu beaucoup de moments difficiles également. J’y repenserai aussi. Mon mérite aura été de toujours continuer à me battre, grâce au soutien de ma famille très proche. Elle m’a toujours donné la force de repartir. Tout ça forge le caractère.

A ujourd’hui, vous allez vous en aller apaisé?

Oui, car je prends la bonne décision. J’ai deux enfants, une famille. Il y a eu toutes ces chutes qui laissent des traces… J’ai pris la bonne décision au bout d’un processus.

Allez, qu’allez-vous faire samedi, après votre dernière course?

J’aurais bien dit que j’aurais aimé finir avec une bonne fiesta entre coéquipiers, mais ma famille sera là, avec Martine, mon épouse, nos deux enfants. Alors, on verra, j’aimerais passer du temps avec tous ceux que j’aime. J’en aurai alors fini et à ce moment-là, je pourrai me dire que je ne regrette rien. Non, je ne regrette rien…

Denis Bastien