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[Cyclisme] Drucker : «Arrivera-t-on vraiment à Nice ?»


Jempy Drucker se pose des questions bien légitimes avant le départ de ce Paris-Nice (photo : D. B.)

C’est dans une drôle d’atmosphère que la «course au soleil» va s’élancer dimanche. Le peloton se pose des questions. Jempy Drucker n’échappe pas à la règle, son discours est d’une grande franchise. Le coureur luxembourgeois sera un des hommes de base de l’équipe Bora-Hansgrohe sur Paris-Nice.

On connaît la problématique du cyclisme qui a largement évolué au fil de la semaine avec l’épidémie de coronavirus. Vous êtes engagé sur Paris-Nice qui va s’élancer dimanche. Quel est votre d’état d’esprit?
Jempy Drucker : Je suis comme tout le monde, un peu dans le flou, je l’avoue. On sentait venir l’annulation des courses italiennes. Maintenant, qui peut dire que Paris-Nice ira au bout? Qui peut dire qu’on verra Nice? Personnellement, j’ai des doutes. Je vois bien un scénario comme sur le Tour des Émirats. Paris-Nice se court souvent par mauvais temps sur les premières étapes. Au fil des jours, les coureurs y tombent généralement malades, toussent, ont des bronchites. Moi, vu ce qu’on a vu avec les coureurs bloqués dans les Émirats, je me demande comment on pourra faire la différence entre un coureur souffrant de bronchite et un coureur atteint par le virus? C’est toujours le cas en début de saison, on a vu Mathieu van der Poel tomber malade en Algarve. J’ai peur que plus on se rapproche de Nice, si la course part bien, plus on ait des coureurs souffrant de refroidissement. Et puis Nice, c’est quand même tout près de la frontière italienne. Le virus ne s’arrête pas aux frontières, je crois. La situation évolue chaque jour, l’épidémie ne cesse de s’étendre. Je n’ai pas peur pour moi, mais j’ai mes doutes quand même pour la course. Et en tant qu’homme, j’estime aussi qu’il y a des choses plus importantes que Tirreno-Adriatico ou Paris-Nice.

Le cœur n’y est pas?
Si je mets un dossard, c’est bien pour faire la course. Mais si je regarde ce qui s’est passé aux Émirats, il se peut que Paris-Nice se termine dans trois semaines pour certains…

J’estime que ce serait à l’UCI de prendre des décisions strictes

Certaines équipes ont décidé de ne pas prendre le départ. Vous pensez quoi de cette position tranchée?
J’ai du respect pour ça. J’estime que ce serait à l’UCI de prendre des décisions strictes. On le sait bien et c’est légitime, un organisateur se bat jusqu’au bout pour maintenir son épreuve. On l’a vu en Italie, la décision est venue au dernier moment. L’UCI aurait dû dire stop voici deux semaines déjà. Et puis, c’est la saison qui est tronquée. Nous, les coureurs qui vont participer à Paris-Nice, si tout se passe bien, on aura de l’avance au moment des grandes classiques sur tous ceux qui n’ont pu courir Tirreno. Et on sait que les équipes ont un impératif économique. Il y a les points UCI, le business. À l’issue de Paris-Nice, tout le monde ne sera pas sur un pied d’égalité…

Chez Bora, on vous a tenu quel discours?
Nos médecins nous ont recommandé de redoubler de vigilance. Ils nous ont rappelé les règles d’hygiène. Mais nous maîtrisons bien le sujet déjà. Cela fait longtemps qu’avant chaque repas, on se lave les mains et on passe du gel hydroalcoolique. On fait attention dans les zones de départ et d’arrivée. Là, c’est clair qu’il faut redoubler d’attention.

Cela génère du stress chez vous?
Le problème, c’est que tu ne sais pas où tu en es. Regardez, jeudi des coureurs ont fait la reconnaissance des Strade Bianche et, au même moment, ils apprenaient que c’est annulé. Je trouve ça dommage. Pour le marathon de Paris, c’était clair, ASO a annulé l’épreuve. C’est annulé, point.

Notre réalité, c’est de voyager beaucoup d’un pays à l’autre. Une équipe est constituée de beaucoup de nationalités. On se retrouve dans des hôtels où on croise d’autres équipes

Se dirige-t-on vers un arrêt temporaire du cyclisme?
C’est possible. Notre réalité, c’est de voyager beaucoup d’un pays à l’autre. Une équipe est constituée de beaucoup de nationalités. On se retrouve dans des hôtels où on croise d’autres équipes. On ne connaît pas la suite, ça reste difficile à imaginer dans ce cas de figure.

Parlons néanmoins de la course. Le plateau, inédit, vous inspire quel sentiment?
Il y a des équipes qui manquent mais toutes les autres équipes, dont la nôtre, ont récupéré des leaders prévus initialement sur Tirreno-Adriatico. Du coup, il va manquer quelques baroudeurs. Si on regarde l’équipe Quick-Step, elle est carrément la plus impressionnante de toutes. Si on me disait qu’ils vont gagner cinq étapes, je ne serais pas surpris. Bon, nous, on a Pascal Ackermann et Peter Sagan pour les sprints. C’est pas mal. Et même si des équipes ne sont pas là, d’autres comme Trek-Segafredo peuvent viser le classement général avec deux coureurs différents (Richie Porte et Vincenzo Nibali).

Le parcours vous inspire quoi?
La météo sera mauvaise au début, le vent soufflera et il y aura sans doute comme chaque année des bordures. On verra de jour en jour quelle carte on va jouer de notre côté.

Pour moi, Paris-Nice reste la préparation idéale avant les classiques

Vous venez de participer aux deux dernières éditions. Vous appréciez cette épreuve?
Oui, beaucoup. Je la préfère à Tirreno-Adriatico qui, généralement, offre des étapes calmes et plates avant le final. Sur Paris-Nice, ça se bagarre presque tous les jours et, des fois, dès le premier kilomètre. Pour moi, ça reste la préparation idéale avant les classiques.

En dépit de la malchance (NDLR : samedi, sur le Het Nieuwsblad, il avait essuyé une crevaison à 90 kilomètres de l’arrivée au moment où la course se débridait mais il était revenu pour terminer 12e), vous avez effectué un bon week-end d’ouverture le week-end dernier. Vous vous sentez comment?
J’ai passé une bonne semaine. J’ai récupéré et je me suis offert une longue sortie mercredi. Tout va bien.

Comment évaluez-vous votre niveau de forme?
J’ai un peu d’avance, je pense, et je préfère ça. C’est toujours plus difficile de courir après la forme. On verra bien ce qui se passe par la suite et si ça va servir à quelque chose ou non, mais il me faudrait encore un peu de chance et ce serait bien.

Entretien : Denis Bastien