Sébastien Louis, spécialiste luxembourgeois des mouvements Ultras, décrypte les deux matches de Coupes d’Europe de la semaine, à la veille du tirage au sort des éliminatoires du Mondial russe.
Pour le chercheur, il y avait bien des moyens de gérer plus intelligemment l’afflux des supporters du Dinamo Zagreb mercredi puis de Trabzonspor jeudi. Car s’il ne s’est rien passé de grave, l’improvisation en matière de sécurité pourrait un jour coûter cher.
Le football de clubs au Luxembourg sort de deux matches compliqués à gérer en Coupes d’Europe. Comment s’en est-il sorti en termes de sécurité, entre les échauffourées dans la rue entre fans du Dinamo Zagreb et bombes agricoles utilisées par ceux de Trabzonspor ?
Sébastien Louis : J’étais aux deux matches et j’ai été impressionné… par la façon très différente de gérer la situation. Je me dis surtout qu’il faudrait organiser la sécurité dans nos stades de façon bien différente. Au Luxembourg, on gère ce genre de problème au coup par coup et on croise les doigts pour que cela se passe bien, voire pour éviter de tomber contre certaines équipes.
Qu’avez-vous à reprocher à la sécurité mise en place pour la réception du Dinamo Zagreb. Il y a eu des bagarres de rue malheureusement prévues, mais visiblement sous contrôle…
Peu après le tirage au sort (NDLR : le 25 juin), j’ai envoyé un courrier au ministère des Sports et à la FLF. Ils sont tous les deux restés sans réponse. J’y proposais, en tant que spécialiste sur le sujet, de leur faire un rapport sur les groupes de supporters susceptibles de venir de Croatie pour ce match. Et encore une fois, par paresse intellectuelle, on mésestime ce problème du supportérisme radical. La vérité, c’est que cela aurait pu mal tourner. On parle d’ultras qui, quand leur club rencontre l’Hajduk Split, sont capables de s’arrêter sur des aires d’autoroute juste pour se battre.
Cela aurait avancé à quoi de le savoir ?
Le Fola par exemple, et ce n’est pas sa faute, s’est fié aux dires des dirigeants du Dinamo pour organiser sa prévente de billets.
Et c’est dangereux ?
Il y a une fracture à l’intérieur de ce groupe des Bad Blue Boys (NDLR : BBB) qui supporte le Dinamo. Les BBB reprochent au président du club, Zdravko Mamic, sa gestion d’apparatchik. Il vend des joueurs à peine éclos pour s’enrichir. Selon eux, il a racheté le club afin de faire de l’argent, pas pour la gloire du Dinamo. Mais comme les supporters lambda suivent les BBB dans ce qu’ils décident, quand ces derniers ont opté pour un boycott, le champion de Croatie s’est retrouvé à jouer dans un stade quasiment vide.
L’été dernier, il y a eu une réunion secrète entre les BBB et Mamic, qui leur a demandé de revenir au stade. Comme ils ont refusé, il a proposé de les acheter. Et certains, rares, ont dit oui. D’où le conflit entre ces factions et des bagarres jusque dans le stade Maksimir. Et pour ce match retour contre le Fola, les fans croates voulant acheter des billets ont été renvoyés vers la direction du Dinamo, qui n’en a bien sûr vendu qu’aux gens de la faction qui s’était laissé acheter. Ils ont une liste noire – qui bien évidemment est interdite – pour ça. Cette façon de faire n’a pas été intelligente du tout.
Parce que c’était l’assurance que les BBB les plus nombreux, ceux qui avaient refusé l’accord avec Mamic, seraient quand même là, et qu’il y aurait donc des bagarres ?
Je suis ressorti deux ou trois fois du stade au début du match pour voir comment cela se passait. Comme on demandait aux gens de venir avec une pièce d’identité, il y avait encore 150 personnes en train de se faire contrôler alors que le match était commencé depuis longtemps. C’est anormal et dangereux quand on sait que des bagarres peuvent éclater. Et c’est arrivé parce qu’on a joué le jeu des dirigeants du Dinamo. Au final, cela s’est heureusement bien passé, mais il y a eu un déplacement de forces de l’ordre trop important – et coûteux – qui a installé un climat désagréable autour de la rencontre. Le lendemain, avec des supporters turcs bien plus nombreux, l’ambiance était différente. Et c’est aussi parce qu’au niveau de la sécurité, on a bien joué le jeu.
Comment cela ?
Il m’a semblé remarquer que certains stewards, beaucoup même, étaient issus du club differdangeois et pas des malabars de deux mètres, fournis par une société privée et habitués aux boîtes de nuit ou aux concerts. En règle générale, même dans le contexte luxembourgeois, c’est toujours mieux d’éviter de faire appel aux forces de l’ordre. Regardez sur certains Grevenmacher – Jeunesse : la présence de la police ou des vigiles jette plutôt de l’huile sur le feu. Ces supporters-là veulent juste se montrer, faire peur aux bourgeois. Donc la présence des forces de l’ordre leur est utile.
Donc, la méthode differdangeoise que vous pensez avoir identifiée, serait plus porteuse de sérénité ?
C’est une tradition pour les fans de Trabzonspor de faire exploser des pétards et de chanter à la 61e minute. L’attitude des vigiles a là été intelligente : à la 59e minute, ils se sont retirés pour laisser place aux pompiers, et ont eu une certaine tolérance vis-à-vis de cette tradition.
Qui va coûter une amende au FCD03…
Avec la vidéo, même s’il est de son devoir d’éviter qu’on introduise des engins pyrotechniques dans l’enceinte, le FCD03 peut peut-être plaider qu’il s’agit des fans de Trabzonspor. Mais peu de gens ont prêté attention au fait que, juste après, des jets d’objets et une petite tension ont suivi entre les fans turcs et ceux de Differdange, juste à côté. Des supporters de Trabzonspor plus modérés sont intervenus pour que cela s’arrête et je trouve ça intéressant : même stade, même contexte, mais pas le même résultat.
Ce n’est donc pas une question, non plus, de ce qu’il est possible d’éviter ou de ne pas éviter dans ce vieux stade Josy-Barthel ?
Il ne faut pas croire : l’UEFA ne se plaint de ce stade que pour les besoins de retransmission télé. Pour avoir vu des stades au Monténégro ou en Bosnie qui sont dans un état nettement plus douteux, je peux vous dire qu’au niveau sécurité, le stade Josy-Barthel tiendra bien encore au moins une campagne : il est adapté! On ne peut pas en dire autant de notre rapport à la sécurité.
Des exemples ?
Quand l’Ukraine est venue jouer récemment au Luxembourg (NDLR : le 15 novembre 2014), les fans ukrainiens ont défilé en ville avec des croix celtiques et des emblèmes ostensiblement néonazis. Ils les ont cachés dans le stade, mais ils les avaient sur eux. S’ils les montrent? Et puis si un Russe avait réussi lui aussi à faire passer un drapeau de son pays? Parce que les Ukrainiens, on les a laissés grimper au grillage pendant le match et ils auraient pu facilement envahir n’importe quelle partie du stade…
C’était d’ailleurs arrivé avec les supporters russes en octobre 2013 et l’on s’était retrouvés avec une bagarre dans le M-Block…
Oui. Ils avaient brûlé un drapeau luxembourgeois avant d’escalader le grillage. De ce point de vue-là, je ne comprends pas, par exemple, pourquoi on parque les supporters adverses quasiment systématiquement dans des endroits différents alors qu’ils seraient si simple de les installer dans la tribune derrière le but, là où est érigée la flamme olympique? On gère vraiment au petit bonheur, en espérant que jamais rien de grave ne survienne…
Le problème sera-t-il moins grave dans le nouveau stade ?
Il n’y aura pas de grillage. Alors il va falloir commencer à apprendre à anticiper les problèmes. Comme le fait, par exemple, de ne pas mettre de dossier sur les sièges des supporters adverses. Parce que ça ne se casse pas et donc, ça ne se jette pas. Et puis autant la police a bien travaillé contre les fans du Dinamo puisque cela ressemblait presque à un simple exercice, autant déplacer ce genre de souci vers un stade avec des accès uniques le long de l’autoroute, cela peut être compliqué à gérer en cas de gros souci.
Ce samedi a lieu le tirage au sort des éliminatoires du Mondial-2018. Y a-t-il des pays à éviter dans un tel contexte ?
Malheureusement, oui. Car dans les Balkans, en Europe centrale ou en Europe de l’Est, il y a des groupes très bien organisés, violents et qui savent se battre. Heureusement, il n’existe pas au Luxembourg d’organisation semblable. Le M-Block est pacifique et ne représente pas un challenge pour des Ultras. Mais ils trouveront bien un adversaire de substitution avec la police…
Julien Mollereau