À deux jours de la première journée du 1er tour face à Madagascar, Gilles Muller (n°34) avoue appréhender la pression nationale, malgré son statut de star.
Gilles Muller lors de son 1er tour à Dubai face à Andy Murray : le n°1 luxembourgeois réalise un gros début de saison. (Photo : AFP)
« Ce sera un gros combat », lance Gilles Muller. Madagascar, que le Luxembourg affronte dès vendredi, n’est pourtant pas la sélection la plus à craindre du groupe II, loin de là. Et pourtant, le n°1 luxembourgeois ne semble pas totalement user de la langue de bois. Il s’en explique.
> Le Luxembourg peut-il viser la montée dans le groupe 1 ?
Gilles Muller : Oui, mais cela dépend de plein de choses. Dans l’autre match entre la Bulgarie et la Lettonie, il n’y a ni Dimitrov ni Gulbis. Nous, on doit d’abord gagner contre Madagascar. Mais oui, on a nos chances.
> Vous projetez-vous sur l’ensemble de la campagne de Coupe Davis ?
Non. Le deal, c’était que je joue ce premier tour. Je le dis clairement. Je suis dans mes trois, quatre ou cinq dernières années. J’ai atteint mon meilleur classement (NDLR : 34e mondial). C’est ça, ma priorité. On verra comment cela se passera sur gazon, derrière il y aura la tournée aux États-Unis… J’aurais aussi besoin de repos. Je ne suis plus tout jeune, je l’ai vu ces dernières semaines. J’ai compté : depuis le début de la saison, j’ai pris six jours de repos, durant lesquels je me suis entraîné quatre jours. Je n’ai eu que deux jours « off ». J’ai senti que j’étais au bout du rouleau. Donc, si je fais un bon Wimbledon, sachant que la Coupe Davis, c’est juste après (NDLR : le 2e tour aura lieu du 17 au 19 juillet), cela risque d’être difficile de tout faire. Je peux peut-être supprimer mon premier tournoi aux États-Unis… Mais pour l’instant, je préfère ne pas trop me projeter.
> Sur le papier, une éventuelle montée du Luxembourg dans le groupe 1 semble conditionnée par votre présence, c’est pour cela qu’on vous pose la question.
(Il sourit) Oui, sûrement. Mais Ugo (Nastasi) fait des progrès. Mike (Scheidweiler), s’il s’entraîne bien, peut toujours rendre des services en double et Gilles (Kremer) est en forme en ce moment. Sans Dimitrov, la Bulgarie dispose, en tant que numéro un, d’un joueur classé 500e mondial (NDLR : Martins Podzus, n° 498). C’est quand même un joueur qu’Ugo peut battre. Donc l’équipe est capable de gagner sans moi aussi.
> Cela fait longtemps que vous n’avez plus joué au Luxembourg. Que ressentez-vous ?
C’est quelque chose de beau de jouer devant sa famille, ses copains, d’être supporté. Je n’en ai pas forcément l’habitude. Et d’un autre côté, cela me met de la pression supplémentaire. Les gens attendent beaucoup de moi. Ils se disent que j’ai battu Dimitrov, Isner, et que je suis censé mettre 6-0, 6-0, 6-0 au Malgache qui n’a pas de classement ATP. Cette pression, ça fait un moment que je n’ai pas eu à la supporter. À Pétange, il y a deux ans et demi, je sentais que je n’étais pas aussi à l’aise que d’habitude (NDLR : il avait perdu au 2e tour face au Belge Niels Desein, alors n° 284 mondial, 4-6, 4-6). Quand j’étais jeune, j’étais un peu fou, tout était cool. Aujourd’hui, je réfléchis différemment. Je supporte moins cette pression. Mon week-end sera difficile.
> Vous ressentez plus de pression au Luxembourg, à l’heure d’affronter des joueurs non classés ou très, très loin de vous à l’ATP, que sur des cours de Grand Chelem devant des milliers de spectateurs ?
Vu le scénario ici, oui. Sur le papier, on est favori, on ne peut pas le nier. Je sais comment les gens réfléchissent au Luxembourg. Tout le monde s’attend à ce qu’on gagne tous les matches en trois sets et que cela fasse 5-0. Moi, aujourd’hui, si on me dit qu’on gagne 3-2, je signe. Les Malgaches sont dans une position que les Luxembourgeois connaissent souvent. Ils n’ont rien à perdre. On le voit aux entraînements. Ils s’éclatent, ils sont heureux d’être ici pour jouer ce match. Ce sera un combat, et si on n’est pas à 100 %, ce sera compliqué.
> Lors de votre tout premier match de Coupe Davis, à Mondorf-les-Bains en 2000 face à l’Irlande (défaite 2-3), vous étiez plus fou ?
Je ne ressentais pas cette pression, j’étais juste heureux de faire partie de cette équipe. J’étais le n° 3, derrière Johny (NDLR : Goudenbour, aujourd’hui capitaine) et Mike. Personne ne s’attendait à ce que je gagne un match, encore moins les deux. Là, je sais que si je perds un set, les gens vont râler. Mais au moins, c’est un bon moyen de travailler mon mental.
> Vous semblez rarement pleinement satisfait de vos matches ces derniers temps, en dehors peut-être de celui face à Stan Wawrinka en quart de finale à Rotterdam (défaite 6-7 (3), 3-6). Ce perfectionnisme a t-il toujours été en vous ?
C’est rare que quelque chose soit parfait, mais c’est bien, car cela aide à progresser. En même temps, ça ne m’a pas empêché de faire l’erreur de perdre face à Berankis à Zagreb (6-3, 6-7(5), 4-6) alors que j’avais le match en main. Cela montre qu’on n’est jamais trop perfectionniste.
> À quel rang mondial vous voyez-vous en fin de saison ?
Je ne sais pas (il rit).
> À quel rang aimeriez-vous être, alors ?
Je ne vais pas donner de chiffre, je ne m’en fixe pas un. Ce que je constate, c’est que j’ai battu quatre top 20 en deux mois (NDLR : John Isner (n° 21) et Roberto Bautista Agut (n° 16) en Australie, David Goffin (n° 20) et Grigor Dimitrov (n° 11) à Rotterdam). J’ai accroché des top 10, même si ce n’est pas un terme que j’aime bien, parce qu’accrocher, ce n’est pas suffisant. Et je sens que si je joue comme face à Isner, voire Wawrinka, je peux battre ces gars-là. Je viens de jouer contre Andy Murray (NDLR à Dubai), je n’ai pas été bon, et pourtant, je ne perds que sur deux breaks. Ce n’est pas comme si je n’avais aucune chance. Disons-le ainsi : je peux aller plus loin que le 34e rang mondial. Mais tout va dépendre de mon physique et de ma régularité.
Entretien avec notre journaliste Raphaël Ferber
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