À 24 heures près, l’ex-Dudelangeois Danel Sinani aurait joué la saison prochaine en Liga espagnole, à Levante. L’homme qui lui a amené le contrat sur la table ? Le directeur sportif du Titus Pétange !
Cela s’est joué à 24 heures près. Le 23 janvier 2020, Danel Sinani paraphe son contrat de trois saisons avec Norwich, lanterne rouge de Premier League. Le lendemain, à midi, Yassine Benajiba, directeur sportif du Titus Pétange, décroche son téléphone pour appeler l’attaquant du F91 Dudelange. Au bout du fil, la voix est mi-amusée, mi-dépitée : «Ça y est, je viens de recevoir l’offre ferme et définitive de Levante…» Trop tard.
Deux semaines plus tôt, Benajiba était à Valence, avec l’absolution de son président, Jean-Paul Duarte, qui le sait en service commandé pour un joueur qui n’appartient pourtant pas au Titus. «Mais c’est comme mon petit frère», a plaidé Benajiba, qui a fait venir Sinani du RFCU à Dudelange en 2017 et créé avec lui une amitié forte. Lassé par «les blablas des agents qui m’appelaient 50 fois par jour, me demandaient de signer avec eux avant de me trouver un club», Sinani se tourne vers le copain en lui demandant de faire jouer son carnet d’adresses. Trois ans après le transfert d’un gamin de 19 ans qui n’est encore qu’un élément prometteur tout juste dégrossi par 47 matches de DN avec le Racing, voilà donc Benajiba sur les bords de la Méditerranée, dans le bureau de David Navarro, ancien défenseur de Valence, qui lui lâche, tout de go : «On a vu les deux buts de Danel en Europa League contre le FC Séville! Ça nous a fait très plaisir, on les déteste !»
Une success story se dessine
Concrètement, Yassine Benajiba repart avec la conscience que Levante, équipe de milieu de tableau en Liga, est totalement mordu. Pour eux, Sinani a exactement le même profil que le Macédonien Enis Bardhi, illustre inconnu à son arrivée en provenance du club hongrois d’Ujpest, qui a enquillé 85 matches en trois saisons et pèserait aujourd’hui 15 à 20 millions à la revente. La seule déception de Benjiba est de ne pas ramener dans sa valise une proposition ferme et pour cause, Quico Catalán, président du club, est en voyage d’affaires à l’étranger. «Mais concrètement, ils m’annoncent qu’ils vont tout faire pour qu’il vienne.»
À ce moment, Danel Sinani joue sur du velours. Contacté par Zulte Waregem et Saint-Trond en vue d’un transfert à l’été 2019, il est verrouillé par Flavio Becca comme depuis deux ans, qui a refusé plusieurs offres pour son attaquant. «Vous savez, moi, je n’ai jamais vraiment pu en discuter avec lui», constatait vendredi le joueur, sans rancœur. «Il m’a dit « même à un million il ne part pas »», raconte Yassine Benajiba. Dans la foulée d’ailleurs, il ne donnera pas non plus suite à une offre bancale d’un club polonais. Pas un mauvais calcul de la part de celui qui est alors encore le patron du F91 et même s’il a failli se laisser tenter par un échange contre deux joueurs de Saint-Trond (l’affaire a capoté quand le F91 a demandé un pourcentage à la revente de son international) : son attaquant jouera un rôle prépondérant dans la conquête d’une nouvelle phase de groupes européenne qui rapportera finalement bien plus que le million.
En fin de contrat en mai 2020, Sinani songe forcément à l’avenir. Treize buts en deux campagnes d’Europa League, dont un fameux doublé face à Cluj (2-3) et un autre contre le FC Séville (5-2), quadruple vainqueur de l’épreuve, ça se rentabilise.
D’ailleurs, le Standard Liège s’est déjà penché sur son cas. Et le 15 décembre 2019, Benajiba et Sinani sont en tribune pour le choc entre les Rouches et Anderlecht. En marge de l’événement, ils sont reçus par Benjamin Nicaise, team manager du club. Qui ne laisse pas le duo repartir sans une offre concrète de trois saisons.
À ce moment, Levante est encore en phase d’approche. Même si, au milieu des 28 000 supporters du stade Maurice-Dufrasne de Liège, dans une ambiance électrique de Clasico, Sinani, excité comme jamais, a lâché Benajiba «c’est ça que je veux Yassine», il est renvoyé à une interview qu’il nous avait accordée à l’été 2018. «J’aime le football espagnol, c’est celui qui me fait rêver», nous avait-il dit. Alors Yassine Benajiba fait patienter le Standard. Puis lui avoue, en revenant de Valence, que l’offre est clairement insuffisante. Liège renchérit. Pas encore assez mais la proximité géographique autant que les perspectives d’évolution de salaire et de plan de carrière sont très bonnes.
Norwich en mode Kick and Rush…
C’est à ce moment de l’histoire que Norwich entre dans la danse. Le club anglais a fait son scouting lui-même, ne passe par aucun agent et agit vite. Très vite. En dix jours, l’offre est sur le bureau de Danel Sinani. Elle le met à l’abri de tout, lui et sa famille. Il rêve d’Espagne, mais un footballeur ne vit pas de rêves. Le 23 janvier il appelle Benajiba : «L’offre est là. Qu’est-ce que je fais?» Benajiba, qui on peut bien se l’imaginer, aurait reçu sa commission en Espagne, lui dit qu’il ne doit pas laisser passer l’occasion : «J’ai privilégié l’intérêt du joueur!». Malgré le Standard. Malgré Levante, qui se fait attendre et qui a mis un coup de collier quand il a été prévenu de l’intérêt anglais.
Trop tard. De 24 heures. Dommage, voir un gamin formé au RFCU et devenu un homme au F91 aller s’amuser à défier le Barça au Camp Nou ou le Real au Santiago Bernabeu, plutôt que d’éviter les tacles au deuxième échelon britannique cela aurait eu de la gueule. «Oh! ce n’est pas fini, il aura encore des opportunités», rassure Benajiba.
Assis en face de lui, en ce vendredi matin ensoleillé au stade municipal de Pétange, un grand sourire aux lèvres, Danel Sinani semble savourer par défaut ce premier soubresaut marquant d’une carrière qui le destine à de belles choses, à des destinations fortes. Peut-être un jour à cette Espagne qui le fait tant rêver. «C’est un championnat fait pour toi», lui glisse Benajiba. Danel acquiesce sans rien dire d’autre qu’un «oui» songeur. Mais c’est bel et bien vers le nord-est de l’Angleterre que le «petit frère» s’envolera, début juillet, pour commencer l’entraînement dans un groupe à part, constitué des autres recrues des Canaris. Levante sera loin, alors.
Julien Mollereau