Christine Majerus participera à Tokyo à ses troisièmes Jeux olympiques dans un contexte particulier. Elle n’exclut pas de poursuivre jusqu’à Paris…
Christine Majerus (34 ans) va s’envoler demain avec la délégation cycliste pour Tokyo. La championne nationale vient d’enchaîner un stage en montagne du côté de Tignes et l’épreuve par étapes Baloise Ladies Tour qui s’est terminée dimanche, en guise de dernière préparation. Elle fait le point.
Dans quelles dispositions vous trouvez-vous avant de vous envoler pour Tokyo ?
Christine Majerus : Je suis un peu fatiguée parce que je sors d’un stage en montagne où j’ai roulé en aérobie et au seuil, c’était important de faire ce travail-là pour les Jeux. Du coup, j’avais délaissé tout ce qui était effort court et intense. J’ai eu un bon rappel à l’ordre, c’était intéressant d’enchaîner avec ce type de course afin de combler le manque de rythme après le stage. Mais c’était prévu, on s’entraîne différemment à la montagne qu’habituellement. J’espère que cela était complémentaire. On verra bien.
Il s’agira de votre troisième participation, mais cette fois le contexte est évidemment différent. Comment appréhendez-vous l’évènement ?
Je n’ai pas vraiment d’appréhension, car je suis préparée à l’idée qu’il ne s’agira pas de Jeux comme les autres. Le côté poétique des Jeux, c’est-à-dire la rencontre entre les athlètes, les différents sports et la bienveillance, je pense qu’on sera loin de ça (elle rit). C’est évidemment dommage, car c’est ça qui fait le charme des Jeux et on va manquer ça. Je l’ai connu avant et je sais ce que c’est. Mais si c’étaient mes seuls Jeux, je ne pense pas que les souvenirs seront ceux qu’on pourrait potentiellement avoir. Voilà, il ne faut pas se prendre la tête, même si on va se trouver sans doute bientôt en état d’urgence (elle rit). Il faut garder en mémoire qu’il faut juste essayer de faire ce qu’on fait depuis un an et demi.
Pensez-vous vivre cela comme justement une simple parenthèse sportive ?
Je ne sais pas trop, en fait. En plus, les cyclistes ne seront pas regroupés au village olympique. Tout le peloton masculin et féminin va se retrouver dans le même endroit, presque dans le même hôtel. En gros, cela va ressembler à une autre course de vélo. C’est comme cela que je le vois. Tout ce qu’on pourra vivre par ailleurs sera du bonus, mais je ne pense pas qu’il faut s’attendre à ce qu’on ramène de vrais souvenirs.
Cela se résumera à une mission, celle de représenter votre pays ?
Oui, au final, je pense que c’est important que les Jeux aient lieu. Important, c’est peut-être un bien grand mot (elle rit). Non, ce n’est peut-être pas très important. J’espère simplement que cela pourra donner de l’espoir par rapport à la situation qu’on vit. Même si j’avoue que là, avec le variant, l’espoir est faible. Mais il faut le garder cet espoir et la tenue des Jeux peut, je l’espère, permettre de véhiculer ce message. Il s’agit d’un évènement mondial où il y aura tout le monde, c’est compliqué de gérer ça.
Au Brésil, avec le beach-volley, j’ai eu l’impression d’assister au carnaval de Rio
Vous évoquiez vos précédents Jeux. Quels sont les bons souvenirs que vous avez gardés ?
J’en garde surtout de Rio. À Londres, j’avais dû repartir tout de suite, car j’avais une autre compétition qui suivait (NDLR : la Route de France, course par étapes de neuf jours). Du coup, à Rio, je m’étais juré que je n’allais pas commettre cette erreur. Que j’allais essayer de profiter. C’est ce que j’avais fait au Brésil et cela m’avait bien plu. J’étais allé voir d’autres compétitions, d’autres Luxembourgeois, pour les encourager. C’était bien sympathique. Après, on peut pousser le truc encore plus à l’extrême. J’avais été sage. C’est juste dommage pour les athlètes qui ne peuvent pas vivre ça comme il faut.
Racontez-nous ce qui vous avait justement marquée à Rio ?
En tant que sportif, on n’a que très peu l’occasion d’être spectateur, c’est une expérience que je n’ai pas eue souvent. J’étais allée voir le sport national au Brésil, le beach-volley. J’ai eu l’impression d’assister au carnaval de Rio. C’était vraiment sympa, un des meilleurs moments que j’ai vécus là-bas.
Et gardez-vous de mauvais souvenirs ?
(Elle rit) C’est beaucoup d’organisation les Jeux, et on sort du confort qu’on a avec nos équipes habituelles, où tout le monde sait ce qu’il a à faire. On se retrouve dans une structure qui certes est bienveillante et fait tout son possible, mais en tant que professionnel, on vient avec nos habitudes, donc, des fois, c’est compliqué de faire en sorte que tout marche bien. Des fois, c’est frustrant. Il y a des choses à améliorer. Moi aussi, d’ailleurs, en tant qu’athlète, je ne suis pas infaillible. C’est surtout ça le mauvais souvenir de Londres, mais à Rio, c’était déjà beaucoup mieux. On se connaissait mieux. Cette fois, je pense que nous sommes plutôt bien organisés, tout le monde sait ce qu’il a à faire. Cela va bien se passer !
D’un point de vue sportif, cela reste compliqué de se projeter sur les différentes courses. Mais on remarque que lors de vos précédentes participations (21e place dans la course en ligne à Londres, 18e place dans celle de Rio, 22e place dans le contre-la-montre) vous vous situiez aux alentours de la vingtième place, ce qui est toujours très relatif. Vous envisagez quoi cette fois ?
Pour les Jeux 2024 à Paris, je ne dis pas non pour le moment, je ne dis pas oui non plus…
Ce n’est pas que j’y vais de façon défaitiste, mais plutôt réaliste. Je n’ai pas vu encore le circuit en vrai, donc c’est assez difficile de juger. Lorsque je le verrai, je serai en mesure de dire tout de suite si c’est possible ou pas. Je ne sais pas, je m’appuie juste sur ce qu’on m’a raconté. Et on m’a raconté qu’il s’agit d’un circuit exigeant. Dans cette optique, je préfère rester prudente. Je n’y vais pas en me disant que c’est perdu d’avance. Au final, je n’en sais rien, je ne connais pas. Une fois là-bas, je pense que je pourrai en dire plus. De mon côté, je pense avoir fait ce qu’il fallait pour être bien. Je ne serai peut-être pas en top forme. Mais par rapport au fait que ma saison va être longue et que j’ai des objectifs en fin d’année (NDLR : les championnats du monde en Belgique et Paris-Roubaix, reporté en octobre), il faut que je garde ça en mémoire et que je trouve le juste milieu. Ce juste milieu, je l’ai justement trouvé en enchaînant le stage en montagne et la course en Belgique où j’ai travaillé pour mon équipe. J’ai fait le sale boulot, c’est ça qui sera, je l’espère, bénéfique pour Tokyo.
Avec votre expérience, les JO sont-ils, ou non, comparables à des championnats du monde ?
Non, pas vraiment, le peloton est petit aux Jeux. Du coup, les courses sont bizarres. Avec une grande équipe, on peut jouer avant le final, en envoyant des coureurs. Là, les grandes nations sont à quatre. Cela les limite aussi. Les courses sont moins agressives. Moi, ça m’arrange si c’est effectivement moins agressif le plus longtemps possible. Cela veut dire que je peux me découvrir le plus tardivement possible. Mais je sais aussi que mes amies néerlandaises (NDLR : qui sont pour certaines des coéquipières et d’anciennes coéquipières de Christine Majerus) sont en forme, elles sortent d’un grand Giro (remporté justement par sa coéquipière Anna van der Breggen). J’ai un peu peur ! J’espère m’en sortir quand même.
Et en plus elles vous connaissent…
Oh, je ne pense pas que je sois leur souci (elle rit). À vrai dire… Je ne pense pas qu’au briefing elles disent : attention à Christine Majerus (elle rit).
Nous sommes en 2021 pour des Jeux prévus initialement un an plus tôt. Vous parliez de vos derniers Jeux, mais le contexte étant ce qu’il est, seriez-vous tentée désormais de poursuivre jusqu’en 2024 avec les Jeux programmés en France ?
Évidemment on y pense. Si Tokyo s’était déroulé en 2020, j’aurais dit non. Là, cela arrivera plus tôt, dans trois ans. Il y a des moments où je me dis aussi que je ne suis pas sûre de pouvoir garder la motivation pour rester sportive de haut niveau avec tout ce que cela exige. Je ne suis pas certaine de pouvoir garder ça jusqu’en 2024. Mais je ne dis pas non, non plus. Pour moi, ce sera aussi des Jeux à la maison (Christine Majerus réside en France, pas loin de Paris). Je ne dis pas non pour le moment, je ne dis pas oui non plus…
Entretien avec Denis Bastien