Charel Grethen est longuement revenu sur une compétition qui restera à jamais gravée dans sa mémoire.
Vous terminez douzième de la finale des Jeux olympiques avec votre troisième meilleur temps en carrière. Comment avez-vous vécu cette course ?
Je sortais des séries et des demi-finales qui étaient tout simplement les deux meilleures courses de ma vie jusqu’à présent. Et c’est vrai que sur la finale, c’était beaucoup plus compliqué. On ne le réalise pas forcément en regardant la course, mais le premier 800 m est allé presque deux secondes plus vite que lors de ma demi-finale. 1″7 précisément. J’enchaîne trois courses de très haut niveau en l’espace de quelques jours et, à la mi-course, je sens vraiment que c’est très rapide.
C’est pour cela qu’on vous voit à l’arrière du peloton ?
En fait, je n’avais pas d’autre choix. Si je suis deux secondes plus lent, je perds complètement le contact avec le groupe et dans ce cas, ça devient encore plus compliqué. Je dois rester au maximum au contact. Et quand on attaque le dernier tour, je sens encore le fait que c’est parti très vite. Jusqu’aux 1 000 m, j’étais encore plus rapide que lors de ma demi-finale. Je n’ai pas de regret. J’ai tout essayé. Si au début de la course, j’avais tenté de suivre pour passer en 1’51″, j’aurais explosé et ça n’aurait pas été une bonne finale.
Le bilan reste tout de même exceptionnel ?
Bien sûr. Je fais 3’32″ en demi-finale et je me qualifie pour la finale, améliorer encore une fois mon record en finale aurait été quelque chose de trop joli ! C’est quand même une douzième place mondiale aux JO. J’ai eu la chance de réaliser mes deux meilleures courses au moment où ça compte vraiment, en série, puis en demi-finale. Je ne peux pas demander plus que ça. Cette expérience olympique, je ne vais jamais l’oublier. Je n’ai pas de mots pour dire ce que je ressens, même si j’aurais aimé faire une ou deux places de mieux en finale. Mais c’était vraiment le plus haut niveau mondial. Je suis super content. Je n’ai pas commis d’erreur tactique.
Je n’ai pas de mots pour dire ce que je ressens
Vous vous attendiez à un tel départ en finale ?
Oui. Cheruiyot et Ingebrigtsen ne voulaient pas d’une course tactique. Si elle se gagne en 3’35″, il y a trop de gars qui peuvent jouer leur carte et les deux n’en voulaient pas. Je me doutais que ça partirait très vite.
Quel est votre premier sentiment en franchissant la ligne d’arrivée ?
Pendant une seconde, je pense au fait que c’était dommage que ce soit allé aussi vite dans le dernier tour et que j’aie eu tellement de mal. Mais l’instant d’après, je me rappelle ce que j’ai accompli sur ces Jeux. Je ne peux pas demander plus.
Si on vous avait dit, il y a un an, que vous seriez en finale olympique, vous l’auriez cru ?
Bien sûr que non. Même une demi-finale, je n’y aurais jamais cru. Alors une finale, c’est encore le niveau au-dessus. C’est un truc incroyable. Il y a un mois, si on m’avait demandé, j’aurais déjà signé pour une demi-finale. Alors une finale…
Au moment de la présentation des athlètes, on vous a vu sourire, faire un signe à la caméra, vous frapper la poitrine. On a le sentiment que vous avez vraiment profité du moment.
Oui. Avant la course, je n’étais pas particulièrement nerveux. J’avais déjà fait de très belles performances sur ces Jeux et je voulais faire le maximum de ce que je pouvais. Je n’avais pas le même genre de pression qu’un Cheruiyot, par exemple, que tout le monde attendait. Lui avait beaucoup plus à perdre que moi. De mon côté, j’étais à la fois relâché, mais toujours très concentré sur ce que je devais faire.
Quel a été le meilleur moment pour vous dans ces JO ?
Pour moi, c’est difficile d’en choisir un. Mes trois courses étaient géniales. En série, je vis un super moment avec l’accession en demi-finale. En demi-finale, je réalise ma meilleure performance. Quant à la finale, même si j’avais un peu de problèmes à la fin, ça reste une finale olympique. Je crois que n’importe quel athlète rêve de participer, un jour, à une finale olympique. Donc, mes meilleurs moments, ce sont mes trois courses, chacune avait quelque chose de spécial.
En demi-finale, vous avez pulvérisé votre record national pour le porter à 3’32″86. Pouvez-vous encore faire mieux ?
C’est dur à dire. Je dirais que pour les prochaines saisons, il est important de confirmer ces performances. Selon moi, c’est dur d’arriver à ce niveau, mais ça l’est encore davantage de s’y maintenir. Le but est toujours de faire mieux d’une saison sur l’autre. Mais si l’année dernière, on m’avait dit que je pourrais courir en 3’32“, j’aurais répondu que c’est bien de rêver, mais qu’il ne faut pas trop rêver non plus. Ce n’est pas qu’une question de physique. Je suis encore très jeune sur le 1 500 m et je vois que je progresse sur le plan tactique également. Je ne peux pas me comparer à des athlètes comme Ingebrigtsen ou Cheruiyot, mais si l’année prochaine je peux me présenter dans une forme similaire à la mienne maintenant et que je parviens à m’améliorer, ce sera déjà très positif.
Je viens d’avoir la confirmation que je serai au meeting de Bruxelles en Diamond League. J’ai hâte de vivre cette nouvelle expérience !
Mais avant de vous pencher sur la prochaine saison, vous avez encore quelques rendez-vous ?
Oui. Je viens de recevoir la confirmation de mon invitation au meeting Diamond League de Bruxelles. C’est la première fois que je vais participer à un tel meeting. En plus c’est tout près du Luxembourg, c’est génial ! J’ai hâte de vivre cette nouvelle expérience. Il y aura aussi la Coupe du Prince et certainement un autre meeting international, mais il n’y a rien de concret pour le moment, je dois voir tout cela avec mon manager.
Donc, pas franchement de vacances après les Jeux ?
Non. Je prends l’avion lundi et, dès mardi, c’est reparti. L’athlétisme est un sport où il faut toujours s’entraîner. Je suis en bonne forme en ce moment, je dois en profiter pour bien préparer les prochaines courses.
Paris-2024, c’est dans trois ans. Vous aurez 32 ans. C’est possible ?
Bien sûr ! C’est tout à fait envisageable. Mais jusqu’à présent, mon attention était entièrement tournée vers Tokyo. Il faut voir comment ça évolue. Je veux continuer, mais il faut voir année après année. Et l’année prochaine sera très riche avec les championnats du monde en salle (NDLR : en mars à Belgrade), les championnats du monde en plein air à Eugene (NDLR : en juillet, pour lesquels il s’est qualifié grâce à ses 3’32″86 en demi-finale alors que les minima étaient fixés, comme pour les JO, à 3’35″00) et les championnats d’Europe à Munich (en août).
Avec un tel record national, les attentes seront forcément plus fortes. Craignez-vous cette nouvelle pression sur vos épaules ?
Non. Cette année, personne ne m’attendait après un an et demi sans compétition, je n’avais pas de pression et j’ai bien géré ça. C’était dur de revenir au plus haut niveau, mais j’y suis parvenu. Maintenant, c’est vrai que la donne est différente, j’ai couru 3’32″ et je dois confirmer. On sait très bien que d’une saison à l’autre, tout peut changer et que ce n’est pas parce que tu as couru une fois 3’32″ que tu vas forcément le refaire. Mais je dois rester positif. Et penser positif.
Pour revenir à la finale, Ingebrigtsen est champion olympique. Vous le connaissez bien ?
Non. J’ai des contacts avec presque tout le monde, je connais bien McSweyn, Rozmys ou encore Fontes, qui étaient tous en finale, mais Jakob lui, ne parle pas trop. Il reste dans son coin. On était tous à Saint-Moritz, mais il était avec son groupe un peu à part.
Vous n’avez pas été désigné porte-drapeau pour la cérémonie de clôture. Est-ce un problème pour vous ?
Pas du tout. Je suis tout à fait d’accord pour que ce soit à Bob que revienne cet honneur. Pendant des années, il a réalisé de super performances et même s’il n’est pas content de ce qu’il a fait à Tokyo, cela n’enlève rien à tout ce qu’il a fait par le passé. Je trouve très cool qu’on puisse partager cette expérience tous les deux. À chaque compétition, on est dans la même chambre, on se connaît très bien, on s’entend très bien. Il est arrivé un jour après moi et tout ce qui m’importait, c’est qu’on termine cette belle aventure ensemble !
Entretien avec Romain Haas